L’orientation lacanienne La théorie du partenaire Jacques-Alain Miller Introduc
L’orientation lacanienne La théorie du partenaire Jacques-Alain Miller Introduction La question du vingtième siècle a été celle du réel dans la mesure même où le discours de la science, singulièrement, s’est emparé du langage, qu’il l’a ravi à la rhétorique, et qu’il a entrepris de mesurer le langage, non pas au vrai, mais au réel*. Ce qui l’annonce, dès le début du siècle, et comme surgeon de l’entreprise de Frege, c’est la fameuse théorie des descriptions définies de Bertrand Russell (1905) concernant le nom propre et évaluant dans quelle mesure le nom propre serait faire nom à ce qui est vraiment, c’est-à-dire à ce qui est réel. La réflexion philosophique qui procède de cette tradition a comme cœur la théorie de la référence. Dans quelle mesure le langage peut-il ou non toucher au réel ? Comment se nouent le langage et le réel ? – alors que le langage est puissance de semblant – alors que le langage a le pouvoir de faire exsister des fictions. D’où l’idée qu’il se pourrait qu’au regard du réel le langage soit malade, malade de la rhétorique dont il est gros, et qu’il faudrait le guérir par une thérapeutique appropriée, pour qu’il soit vraiment conforme au réel. C’est toute l’ambition de Wittgenstein et de ses héritiers que de réaliser une thérapeutique du langage, jusqu’à considérer la philosophie elle- même comme une maladie qui témoigne de l’infection que véhicule le langage comme puissance des fictions. Non pas résoudre les questions philosophiques, mais montrer qu’elles ne se posent pas si on se guérit du langage, si on le met au pas du réel. C’est ce qui conduit Lacan à passer du Nom-du-Père au Père-du-Nom. Ce n’est pas vaine rhétorique. La nomination – donner des noms aux choses, qui est le biais même par lequel Frege et Russell ont entrepris leur questionnement du langage commun – n’est pas la communication, n’est pas la parlotte. La nomination, c’est la question de savoir comment la parlotte peut se nouer à quelque chose de réel. Dans notre vocabulaire à nous, c’est la fonction du père qui permet de donner un nom aux choses, c’est- à-dire de passer du symbolique au réel. Ce Nom-du- Père – Lacan l’a dit une fois et Éric Laurent l’a fait passer dans notre usage courant –, on peut s’en passer à condition de s’en servir. S’en passer veut dire que le Nom-du-Père, dérivé du concept de l’œdipe, ce n’est pas du réel. Le Nom-du-Père est un semblant relatif, en effet, qui se fait prendre pour du réel. Le Nom-du-Père n’est pas de l’ordre de ce qui ne cesse pas de s’écrire. C’est pourquoi Lacan a promu, à la place du Nom- du-Père, le symptôme comme ce qui, dans la dimension propre de la psychanalyse, ne cesse pas de s’écrire, c’est-à-dire comme l’équivalent d’un savoir dans le réel. Quand il y a Nom-du-Père, c’est en tant qu’une espèce de symptôme, rien de plus. Est-ce une loi, le symptôme ? Si c’est une loi, c’est une loi particulière à un sujet. Et on peut se demander à quelle condition il est pensable qu’il y ait du symptôme pour un sujet. Si c’est du réel, c’est un réel très particulier, puisque ce serait du réel pour Un, donc pas pour l’Autre. C’est du réel qui ne peut s’aborder que un par un. C’est de beaucoup de conséquences de le constater. Cela met en question ce qu’il en est du réel pour l’espèce humaine. S’il y a du symptôme pour chacun de ceux qui parlent, cela veut dire qu’au niveau de l’espèce il y a un savoir qui n’est pas inscrit dans le réel. Au niveau de l’espèce qui parle, il n’est pas inscrit dans le réel un savoir qui concerne la sexualité. Il n’y a pas à ce niveau-là ce qu’on appelle « instinct », qui dirige, de façon invariable et typique pour une espèce, vers le partenaire. Le désir ne peut pas du tout en tenir lieu, parce que le désir est une question. C’est la perplexité sur la question. La pulsion n’en tient pas davantage lieu, parce qu’elle ne donne aucune assurance quant à cet Autre au niveau du sexuel. Autrement dit, dans ce qui l’anime d’une compétition, d’une référence avec la science, 4 Accueil Cliquer l’existence du symptôme oblige à modifier le concept que nous avons du savoir dans le réel. S’il y a symptôme, alors il n’y a pas savoir dans le réel concernant la sexualité. S’il y a symptôme comme ce qui ne cesse pas de s’écrire pour un sujet, alors, corrélativement, il y a un savoir qui ne cesse pas de ne pas s’écrire, un savoir spécial. Ce n’est pas le savoir dans le réel en tant qu’il ne cesse pas de s’écrire. S’il y a symptôme, c’est qu’il doit y avoir, pour l’espèce humaine, un savoir qui ne cesse pas de ne pas s’écrire. C’est là la démonstration que Lacan essaie de faire sourdre de l’expérience analytique. S’il y a symptôme, alors il n’y a pas rapport sexuel, il y a non-rapport sexuel, il y a une absence de savoir dans le réel concernant la sexualité. Il est très difficile de démontrer une absence de savoir dans le réel. Qu’est-ce qui nous met, dans l’expérience analytique, devant cette absence de savoir dans le réel ? Ce dont nous avons l’expérience par la psychanalyse, dans chaque cas qui s’expose dans l’expérience analytique – Lacan nous en fait apercevoir la valeur, et il fallait qu’il le formule pour que cela devienne une évidence –, c’est de la fonction déterminante, dans chaque cas, d’une rencontre, d’un aléa, d’un certain hasard, d’un certain « ce n’était pas écrit ». Cela s’expose, se met en évidence avec une pureté spéciale dans le récit que peut faire un sujet de la genèse de son homosexualité, ou la mauvaise rencontre, qui est une instance en quelque sorte qui éclate à laquelle le sujet attribue ensuite volontiers son orientation sexuelle, mais aussi bien la rencontre de certains mots qui vont décider pour un sujet d’investissements fondamentaux qui conditionneront ensuite le mode sous lequel il se rapportera à la sexualité. Et puis, toujours, dans tous les cas, la jouissance sexuelle se présente sous les espèces, on le sait, du traumatisme, c’est-à-dire comme non préparée par un savoir, comme non harmonique à ce qui était déjà là. Autrement dit, la constance propre que nous pouvons repérer dans l’expérience analytique est précisément la contingence. Ce que nous repérons comme une constance, c’est cette variabilité même. Et la variabilité veut dire quelque chose. Elle veut dire qu’il n’y a pas un savoir pré-inscrit dans le réel. Cette contingence décide du mode de jouissance du sujet. C’est en cela qu’elle met en évidence l’absence de savoir dans le réel quand il s’agit de la sexualité et de la jouissance. Elle met en évidence un certain « ce n’est pas écrit ». Cela se rencontre. Dès lors, ce qui fait fonction de réel de référence n’est pas un « ne cesse pas de s’écrire », c’est un « ne cesse pas de ne pas s’écrire », c’est-à-dire exactement le rapport sexuel comme impossible. Lacan s’est posé la question, sur un mode que j’oserai dire torturé, de savoir dans quelle mesure c’était démontrable. Le réel dont il s’agit là est d’une espèce tout à fait différente du réel de la science. Comment démontrer une absence de savoir ? Il reste volontiers un peu en retrait de ce terme de démonstration. C’est pourquoi il peut dire : « L’expérience analytique atteste un réel, témoigne d’un réel. » C’est comme si, dans notre champ, la contingence, régulière, que nous rencontrons dans tous les cas, attestait de l’impossible. C’est en quelque sorte une démonstration de l’impossible par la contingence. J’écrirai ce triangle. L’impossible, le « ne cesse pas de ne pas s’écrire », qui est le propre du non-rapport sexuel que j’abrège NRS. Le nécessaire pour chacun est le « ne cesse pas de s’écrire » du symptôme. Et si nous constatons le fait du symptôme, il nous renvoie dans chaque cas à ce NRS. Le contingent du « cesse de ne pas s’écrire » fait en quelque sorte preuve et apparaît sous ces deux espèces essentielles : la rencontre avec la jouissance et la rencontre avec l’Autre, que nous pouvons abréger sous le terme d’amour. L’amour veut dire que le rapport à l’Autre ne s’établit par aucun instinct dans ce contexte. Il n’est pas direct, mais toujours médié par le symptôme. C’est pourquoi Lacan pouvait définir l’amour par la rencontre, chez le partenaire, des symptômes, des affects, de tout ce qui marque chez lui et chacun la trace de son exil du rapport sexuel. 5 Accueil Cliquer Il apparaît que le partenaire fondamental du sujet n’est dans aucun cas l’Autre. Ce n’est pas l’Autre personne, ce n’est pas l’Autre comme lieu de la vérité. Le partenaire du sujet est au contraire, comme cela a toujours été aperçu dans la psychanalyse, quelque chose de lui-même : son image – uploads/Philosophie/ jacques-alain-miller-theorie-du-partenaire.pdf
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- Publié le Dec 06, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
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