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HAL Id: halshs-00004041 https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00004041 Submitted on 8 Jul 2005 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. L’Argumentation: genèse d’une anthropologie du convaincre Gwenole Fortin To cite this version: Gwenole Fortin. L’Argumentation: genèse d’une anthropologie du convaincre. 2005. <halshs- 00004041> 1 « Moi je considère comme mon devoir, 100 minutes pour convaincre, c’est de convaincre, et qu’on ne convainc pas dans les salons. Et donc oui, pour la deuxième fois, je revendique de débattre avec vous. Je n’ai pas vos idées, mais bien sûr (…) », Nicolas Sarkozy L’Argumentation : genèse d’une anthropologie du convaincre 1. Introduction Dans Les grands sophistes dans l’Athènes de Périclès1, Jacqueline de Romilly montre combien l’invention de la rhétorique par Corax, en Sicile grecque au Ve siècle av. J.-C., est intimement liée à la naissance de la démocratie, et pensée comme élément clé de la révolution démocratique. Aussi, réfléchir sur les pratiques argumentatives dans les débats politiques télévisés aujourd’hui, oblige à porter un regard rétrospectif sur la co-émergence de la démocratie et de la rhétorique en Grèce classique ; et en particulier sur le débat opposant Platon aux sophistes, parce qu’il consacre en occident notre rapport du langage (et des pratiques argumentatives en l’occurrence) au politique.2 La rhétorique classique ― et ce jusqu’à son renouvellement au siècle dernier ― constitue en effet le socle idéal des théories de l’argumentation en tant qu’elles s’intéressent au mécanisme global qui va de l’invention d’un argument à son acception ou son rejet par ceux qui le reçoivent. L’argumentation est peut-être co-extensive à l’existence du langage, mais la codification de la réflexion sur l’argumentation remonte à l’apparition de techniques de vérité dans la pensée grecque classique. (WOLFF, 1995 : 63) Héritier de la culture grecque — tronc commun de la pensée occidentale — les théories modernes de l’argumentation s’inscrivent dans la perspective logocentrique de la rhétorique — héritée des premières conceptions platoniciennes et aristotéliciennes sur le langage et fondées sur la mythologie du logos, relevant ainsi d’une sorte d’anthropologie du convaincre. Ce regard porté sur la co-incidence de la démocratie et de la rhétorique doit ainsi permettre de dégager et d’expliciter quelques grands traits de notre rapport à la politique et à son expression télévisuelle, telle que l’actualisation du débat politique sur le mode agonistique :  100 minutes pour convaincre — le 20 novembre 2003 — Invité : Nicolas Sarkozy Nicolas SARKOZY Disons que je pense que le combat est beaucoup plus physique, à tous les sens du terme, avec Jean-Marie LE PEN, et que Monsieur RAMADAN j’ai dû me donner du mal pour le débusquer. Les débats télévisés renvoient en effet à une esthétique de la confrontation qui tend à assimiler 1 ROMILLY (Jacqueline de), Les grands sophistes dans l’Athènes de Périclès, Bernard de Fallois, Paris, 1988. 2 Voir MEYER (Michel) (éd.), Histoire de la rhétorique des grecs à nos jours, Librairie Générale Française (Le livre de Poche), Paris, 1999. 2 la démocratie à un combat.3 De la même façon, dans le corpus journalistique, la manière dont on parle des débats (et la façon dont ils sont rapportés) renvoie à cette esthétique de l’affrontement — illustrée par des métaphores issues du champ lexical sportif. En témoigne par exemple cet extrait de la chronique de Marie Colmant, publié dans Télérama4, consacrée à l’émission 100 Minutes pour convaincre du 20 novembre 2003 : Vainqueur par KO. […] Tandis que la fièvre montait autour de l’émission de télévision qui faisait débat jusque dans les couloirs de l’Assemblée nationale, et que les députés tous courants confondus s’interrogeaient sur le bien-fondé d’un face-à-face Sarkozy versus Ramadan, je misais gros sur Nicolas. Bosseur, endurant, master des médias (avocat de formation), l’homme était prêt à la course de fond qui l’attendait. […] De ces 100 minutes pour convaincre qui se transformèrent en 145, on retiendra que Nicolas Sarkozy […] a surtout mis Jean-Marie Le Pen au tapis. […] Ramadan accuse le coup, et s’englue dans des explications peu convaincantes. C’est dorénavant un boulevard dans lequel Nicolas s’engouffre à tombeau ouvert. […] Le deuxième piège est affûté, Tariq Ramadan refuse de prononcer la phrase magique. Fin de l’entrevue. Nicolas sort vainqueur […] Ce retour sur notre héritage culturel est pertinent dans la mesure donc où il éclaire la façon dont la politique est aujourd’hui mise en scène, mise en mots, ainsi que les critiques virulentes que son expression télévisuelle suscite : des hommes politiques privilégiant le fond sur la forme, la communication sur les idées, attachés à séduire plus qu’à convaincre, etc. 2. La construction historique du paradigme persuasif Cela étant, j’ai bien conscience aussi que, d’une façon générale, parler « d’origines » revient à construire un récit mythologique. Il ne s’agit donc pas ici de « s’enfermer » dans la recherche des origines mais d’insister sur le fait que l’Argumentation (au même titre que tout objet scientifique) est une construction historique, et relève d’une perception sociale qui s’inscrit dans une histoire en train de se faire. Car les savoirs se construisent et se développent dans un paradigme, ou une épistémè ― pour reprendre la terminologie foucaldienne ― à savoir des cadres généraux de la pensée propres à une époque, formant les soubassements des discours sur un objet, le socle sur lequel s’articulent nos connaissances. C’est-à-dire qu’il existe une historicité des champs du savoir, procédant à partir de ruptures, ou de discontinuités.5 Il s’agit donc ― non pas de chercher les origines ― mais de construire une archéologie, ou une généalogie des théories de l’argumentation : c’est-à-dire décrire les conditions d’apparition des discours sur l’argumentation (paradigme persuasif) et cerner les contextes d’émergence de cette anthropologie du convaincre ; non pas s’interroger sur ce qu’est l’argumentation, mais bien plutôt observer les pratiques discursives tout en questionnant leurs modes de fonctionnement. Le retour aux sources, aussi pertinent qu’il soit, est donc néanmoins périlleux (et je ne suis pas historien) parce qu’il nécessite une culture classique que je n’ai pas ; je me contenterai donc ici d’en saisir les grands mouvements. On peut schématiquement distinguer, dans cette perspective, trois périodes fondamentales dans la construction historique du paradigme persuasif : 3 Espace discursif où s’exhibe une démocratie fondée sur l’interaction conflictuelle ; voir FORTIN (Gwenole), « L’interaction conflictuelle : mode d’expression symbolique du jeu politique démocratique », in Cahiers de l’Institut de Linguistique de Louvain (CILL) — n° à paraître. 4 Télérama, article de Colmant Marie, 100 minutes pour vaincre les cons, n° 2811 — 26 novembre 2003, p. 110. 5 Au contraire de l’historiographie traditionnelle qui envisage l’histoire selon un écoulement linéaire et cumulatif d’événements. 3 • la période fondatrice : celle des premiers manuels de rhétorique jusqu’à Aristote6 ; • la période romaine de la rhétorique, qui systématise et codifie les différentes normes du discours persuasif (suivra la période de déclin de la théorie argumentative au sein de la rhétorique ― de la fin de l’Empire jusqu’au milieu du XXe siècle ― ce qui témoigne d’une évolution non linéaire mais faite de ruptures) ; • le renouveau épistémologique et culturel de la rhétorique, symbolisé par la « nouvelle rhétorique » — qui tient pour beaucoup aux travaux de l’école anglo-saxonne et en particulier de Stephen Toulmin et du philosophe et juriste Chaïm Perelman qui renouent, vers la fin des années 50, avec la tradition rhétorique aristotélicienne. 2.1. La période fondatrice Le système métaphysique occidental — système logocentrique qui institue comme origine et fondement de toute vérité le logos — repose depuis Platon sur la distinction entre le domaine de l’expérience et celui de l’Idée, définissant la philosophie comme effort pour passer du Sensible à l’Intelligible. Platon envisage comment se fait l’union du discours et de la Raison, distinguant deux formes de persuasion : la rhétorique, qui produit la croyance sans la Science, et la dialectique, qui produit la Science. La dialectique platonicienne est ainsi primitivement « l’art du dialogue ou de la discussion » : elle traduit le mouvement de l’esprit qui s’élève des Sensations aux Idées pour passer du monde Sensible au monde Intelligible. Logos/Doxa Le logos platonicien signifie que quelque chose qui lui est extérieur pré-existe à la discussion ou à l’action. Au contraire, selon la version platonicienne de la position sophistique, la conception sophiste du discours est le signe que rien n’existe avant la parole, et que seul le discours produit la réalité. Les Sophistes, s’opposant […] radicalement à PLATON, prétendent qu’il n’y a qu’illusion, et une illusion mortifère comme la suite le prouvera, à affirmer détenir la Vérité. Ce que les hommes peuvent atteindre, par la réflexion, le dialogue et la mise à distance, c’est une ou des vérité(s) dont l’expression est uploads/Philosophie/ argumentation-pdf 1 .pdf

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