CHRISTINE DELPHY : « PENSER LE GENRE » Note de lecture par Françoise Armengaud
CHRISTINE DELPHY : « PENSER LE GENRE » Note de lecture par Françoise Armengaud Éditions Antipodes | « Nouvelles Questions Féministes » 2002/1 Vol. 21 | pages 126 à 133 ISSN 0248-4951 ISBN 9782940146246 DOI 10.3917/nqf.211.0126 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-nouvelles-questions-feministes-2002-1-page-126.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Éditions Antipodes. © Éditions Antipodes. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Ce deuxième volume contient onze articles 2, sélectionnés parmi les plus théoriques, plus une préface substantielle («à elle seule un court essai problématisant l’ensemble du livre», précise Josyane Savigneau dans le «prière d’insé- rer»), où Delphy indique le fil conducteur de sa recherche au cours des trente dernières années et explique comment elle est passée «de l’étude du travail domestique à l’étude du genre». Elle expose non seulement ses concepts et ses thèses mais aussi sa démarche: Chi va piano… C’est ainsi que «lenteur et précaution» sont maîtres mots. Au résultat se trouve démêlé ce qui était embrouillé (nécessairement embrouillé, par suite des contradictions). On appréciera donc l’extrême clarté de ses analyses nova- trices et sa rigueur logique – qui nous font croire, le temps d’une lecture, que nous sommes enfin devenu·e·s intelligent·e·s – ainsi que sa «colère» et son humour corrosifs 3 – qui nous persuadent contagieusement que nous avons toujours été militant·e·s. On doit en conséquence souligner 126. | NQF Vol. 21, No 1 / 2002 Comptes- Christine Delphy: «Penser le genre» Note de lecture par Françoise Armengaud 1. Voir la revue critique dans les Nouvelles Ques- tions Féministes 1998, N° 1, vol. 1. 2. Christine Delphy: Penser le genre. L’ennemi principal. Tome 2. Collection «Nouvelles Questions Féministes». Paris: Éditions Syllepse, 2001, 390 pages. Il s’agit des articles suivants: «Critique de la raison naturelle» (c’est la préface); «Le patriarcat, une oppression spécifique. Entretien avec Louis Astre»; «Libération des femmes»; «Un féminisme matérialiste est possible»; «Agriculture et travail domestique. La réponse de la bergère à Engels»; «L’état d’exception: la dérogation au droit commun comme fondement de la sphère privée»; «Le patriar- cat, le féminisme, et leurs intellectuelles»; «Penser le genre: problèmes et résistances»; «Égalité, équiva- lence et équité»; «Genre et classe en Europe»; «L’in- vention du ‹French feminism›: une démarche essen- tielle»; «Les femmes et l’État». 3. Parmi les traits savoureux du style argumenta- tif de Delphy, la réduction à l’absurde n’est pas le moindre, en poussant à bout la logique, souvent appuyée sur ce que le philosophe anglais G.E. Moore appelait une traduction en termes concrets – translation into the concrete. © Éditions Antipodes | Téléchargé le 16/04/2022 sur www.cairn.info (IP: 78.196.103.178) © Éditions Antipodes | Téléchargé le 16/04/2022 sur www.cairn.info (IP: 78.196.103.178) rendus l’importance de ce livre, pour le féminisme (cela va de soi), mais aussi pour les études marxistes, comme contribution à une théorie des oppres- sions, et plus généralement comme paradigme d’analyse sociologique et politique. Delphy y continue l’analyse des thèmes traités dans le tome 1. Le propos est toujours de «construire une vision théorique de l’oppression des femmes à partir de prémisses matérialistes, par quoi il faut entendre d’abord non naturalistes». Poursuivre l’analyse de la forme de production patriarcale, «source de la pauvreté relative des femmes et de leur dépen- dance vis-à-vis des hommes». Étudier les mécanismes sociaux qui produi- sent la sujétion d’une catégorie de personnes à une autre, dont les exemples majeurs sont l’exploitation du travail domestique, l’institution du mariage, de la famille, de la distinction du public et du privé. Je voudrais en premier lieu examiner pourquoi ce tome 2 s’appelle Penser le genre, puis envisager quelques aspects de la méthode delphi- nienne, et enfin privilégier certains points de son analyse, tout particuliè- rement ceux qui sont étroitement liés à la critique du naturalisme. Tout d’abord, pourquoi le tome 2 s’appelle-t-il Penser le genre? 1. Le genre est mentionné au singulier, et non pas les genres au plu- riel; c’est qu’il s’agit du genre comme principe de division. «Le genre est le système de division hiérarchique de l’humanité en deux moitiés inégales.» Cette affirmation s’appuie sur une démarche holiste et structuraliste: c’est le clivage d’un tout qui crée ses parties, les deux termes distincts et oppo- sés. Les termes ne préexistent pas à leur partition: ils en découlent 4. 2. La distinction genre/sexe chez Delphy comporte une thèse qui renverse la perspective traditionnelle naturaliste: selon elle, le genre crée le sexe (et non pas le genre est créé à partir des données du sexe et en brodant des variations culturelles). Le genre ne repose pas sur le sexe, il n’en provient pas, ni ne s’ajoute à lui. On voit que parmi les schèmes épistémologiques utilisés par Delphy, le «renversement de perspective» occupe une position clé: ce n’est pas la division du travail qui induit la hiérarchie mais c’est la hiérarchie qui induit la division du travail, et cette division du travail au sens large, on peut l’appeler «genre». Et s’il n’y avait pas de genre, ce qu’on appelle le sexe serait dénué de significa- NQF Vol. 21, No 1 / 2002 | 127. 4. Le structuralisme est un nouveau paradigme de compréhension du monde dont le développement date de la fin du XIXe siècle; on le retrouve dans les mathématiques, les sciences naturelles aussi bien que dans les sciences humaines. Il s’agit de considérer l’ensemble d’un phénomène avant de prendre en compte ses parties. Ce sont l’ensemble, la configuration, qui confèrent une signification à chacune des parties; c’est l’ensemble qui engendre les parties. Il convient de distinguer soigneuse- ment, d’une part entre ce structuralisme méthodo- logique lié au holisme, et un structuralisme qui s’arrête à la différence et repose sur une idéologie de la différence; d’autre part entre ce holisme et les théories globales de la société, de l’humanité, qui invoquent pour toute explication une cause unique. Le holisme structural dont se réclame Del- phy n’est ni un globalisme ni un différencialisme. Édito | Grand angle | Champ libre | Parcours Comptes-rendus Collectifs Christine Delphy, « Penser le genre» Françoise Armengaud © Éditions Antipodes | Téléchargé le 16/04/2022 sur www.cairn.info (IP: 78.196.103.178) © Éditions Antipodes | Téléchargé le 16/04/2022 sur www.cairn.info (IP: 78.196.103.178) tion, et ne serait pas perçu comme important: ce ne serait qu’une diffé- rence physique parmi d’autres. Le sexe fonctionne comme «marqueur» social. 3. Ce genre ainsi défini, il y a une difficulté à le «penser». C’est là pour Delphy un terme fort, lequel n’implique pas seulement conceptualiser et théoriser, mais envisager pleinement avec «les conséquences qui font peur», à savoir: la disparition de ce sur quoi sont fondés «non seulement pour les unes l’oppression et des avantages pour les autres, mais une iden- tité subjective, à quoi on est accoutumé·e, et qu’on ne se voit pas de gaieté de cœur abandonner pour on ne sait quoi». 4. On pourra se demander pourquoi les expressions «genre», «oppres- sion des femmes» et «patriarcat» sont employées de manière quasiment interchangeable. Delphy explique que «patriarcat» est un mot qui désigne le système d’oppression des femmes; il s’agit bien d’un système, et non d’une série de hasards malchanceux, et d’un système politique, comme le suffixe «arcat» le montre. «Patriarcat» doit être maintenu comme une façon d’insister sur l’aspect politique, tandis que «genre» met davantage l’accent sur le caractère de construction sociale de ce système. «Patriarcat» possède, selon Delphy, en tant que terme, un caractère global et fermé, tandis que «genre» dénote un processus, qui se déroule à tous les niveaux, macro et micro, de la société, qu’on trouve à l’œuvre aussi bien dans les institutions les plus durables comme les lois et les règlements écrits, que dans les interactions passagères de la vie courante. Son caractère de pro- cessus, jamais fini, lui donne une dimension dynamique, que le patriarcat ne possède pas. Venons-en à présent aux questions de méthode. Déjà Stevi Jackson avait insisté sur la rigueur, la cohérence et la continuité, ainsi que, pour- rait-on dire, la ténacité avec laquelle Delphy a poursuivi sa réflexion 5. Elle avait noté uploads/Philosophie/ christine-delphy-penser-le-genre.pdf
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- Publié le Mar 29, 2021
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