Champ pénal / Penal field, nouvelle revue internationale de criminologie Numéro

Champ pénal / Penal field, nouvelle revue internationale de criminologie Numéro Vol V (2008) Vol V ............................................................................................................................................................................................................................................................................................... Jean Danet La dangerosité, une notion criminologique, séculaire et mutante ............................................................................................................................................................................................................................................................................................... Avertissement Le contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive de l'éditeur. 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Référence électronique Jean Danet, « La dangerosité, une notion criminologique, séculaire et mutante », Champ pénal / Penal field, nouvelle revue internationale de criminologie [En ligne], Vol V | 2008, mis en ligne le 07 octobre 2008. URL : http:// champpenal.revues.org/6013 DOI : en cours d'attribution Éditeur : Association Champ pénal / Penal field http://champpenal.revues.org http://www.revues.org Document accessible en ligne à l'adresse suivante : http://champpenal.revues.org/6013 Document généré automatiquement le 03 novembre 2009. © Champ pénal La dangerosité, une notion criminologique, séculaire et mutante 2 Champ pénal / Penal field, nouvelle revue internationale de criminologie, Vol V | 2008 Jean Danet La dangerosité, une notion criminologique, séculaire et mutante 1 La dangerosité n’est pas un concept juridique. Ni l’origine de la notion, ni son histoire, ni ses définitions ne peuvent la rattacher au droit pénal. C’est bien une notion criminologique, et c'est dire qu’elle est née avec la criminologie, qu’elle prend source du côté de l’aliénisme et qu’elle a servi à définir une politique criminelle. Elle a mis quelque temps à être repérée, elle n’a pas été immédiatement dénommée « dangerosité » alors même que le contenu de la notion était là. Elle a pu ensuite connaître des éclipses au moins partielles, c'est-à-dire qu’à certaines périodes, elle ne fut plus totalement visible dans le champ pénal. 2 Mais on voudrait tenter de démontrer ici qu’elle est demeurée constamment présente en tout cas dans ce champ, depuis le positivisme, notamment depuis 1890 avec les écrits de Garofalo jusqu’à aujourd’hui, en passant bien sûr par la phase des États autoritaires des années trente, mais aussi, après guerre, par le courant de la défense sociale nouvelle. 3 La voici aux premières loges dans les réformes d’aujourd’hui après qu’elle ait muté ; non pas tant peut-être en raison des évolutions de la psychiatrie qu’au regard des dispositifs de normalisation et nous y reviendrons. Plutôt que de s’attacher à repérer ce qui la fonde ou non au plan scientifique, tâche qui revient aux psychiatres et sûrement pas aux juristes, il est ici proposé de repérer comment cette notion est devenue depuis un peu plus d’un siècle un opérateur externe au droit mais constamment présent dans le champ pénal (I). Rendre compte ensuite si possible de ses éclipses et de ces mutations (II) avant de conclure brièvement sur les défis qu’elle pose aujourd’hui à la défense. Car nous ne pouvons pas faire comme si la loi du 25 février 2008 avait soulevé en France des vagues d’indignation. Ce ne fut pas le cas. Ses opposants ont, de toute évidence, eu quelque mal à se faire entendre. Il faut tenter de comprendre pourquoi. 1. Un opérateur externe au droit 4 En cette première partie, nous nous proposons de lire ou relire deux auteurs. Les deux sont juristes. L’un est aujourd’hui un obscur magistrat du XIX e siècle. Il s’est pourtant battu contre les thèses de l’école positiviste. L’autre, dont le nom demeure très connu plus d’un demi- siècle après la parution de son livre, est cité comme le théoricien de l’école qui a inspiré le législateur français d’après 1945. Il n’est pourtant pas inutile de le relire avec nos yeux de 2008. Cette relecture va nous aider à réaliser que nous avons vécu insouciants dans un monde où la dangerosité (c’est de la notion criminologique qu’on parle ici) rôdait toujours et encore, jusqu’à resurgir tel le virus mutant de la grippe. 1.1. Une notion criminologique séculaire 5 Cherchez dans le Littré, cherchez dans le dictionnaire « Trésor de la langue française » édité par le CNRS, le mot dangerosité n’existe pas. Les grands dictionnaires boudent ce néologisme. En revanche, chez les juristes, depuis la fin du XIX e siècle, vous trouvez deux mots qui semblent bien des synonymes de « dangerosité » : la nocuité et la périculosité. Le « TLF » connaît la notion de nocuité. C’est, nous dit-il, un synonyme rare de nocivité, et la nocivité est définie comme le caractère de ce qui est nuisible à la santé, avec un sens figuré, et c’est alors le caractère de ce qui est dangereux pour la santé intellectuelle ou morale de l’individu 2. À l’évidence, nous approchons. En criminologie, la nocuité pourra désigner tout aussi bien le caractère de ce qui est dangereux pour la société ou pour les individus qui la composent sur la base d’un métaphore de la société, pensée comme un corps vivant. Quant à la périculosité, c’est la traduction littérale, par création d’un néologisme, de la periculosità italienne, notion La dangerosité, une notion criminologique, séculaire et mutante 3 Champ pénal / Penal field, nouvelle revue internationale de criminologie, Vol V | 2008 employée en 1890 par Garofalo, magistrat, l’un des trois auteurs-clés de l’école positiviste avec Lombroso et Ferri. La périculosité n’est rien d’autre que la dangerosité. 6 Ni chez les auteurs du XVIII e siècle, les réformateurs tels Beccaria 3, Bentham 4, ni du côté de ceux qui leur résistent, Muyart de Vouglans, Jousse 5, on ne trouvera la moindre trace de ces notions. Pas davantage chez les juristes de l’école de l’Exégèse. C’est à la fin du XIX e siècle qu’il faut se porter pour découvrir que cette notion, sous les dénominations diverses évoquées plus haut, nocuité, périculosité, et enfin, état dangereux, dangerosité, surgit au cœur d’un enjeu politique essentiel : le combat entre ceux qui en tiennent pour le droit pénal néo- classique et ceux qui se posent comme le camp du Progrès, les positivistes. Jusque vers 1914, le combat doctrinal fit rage. Dès 1885, le camp positiviste enregistra en France une traduction législative de ses théories avec la loi sur la relégation, mais cette victoire demeura isolée. C’est entre 1914 et 1940 que les victoires de l’école positiviste et de la défense sociale vont marquer les législations de très nombreux pays, en Europe et bien au-delà. 7 Il n’est peut-être pas inutile de retracer ce que furent les termes du combat des juristes néo- classiques contre l’école positiviste parce que nous avons là, nous semble-t-il, de quoi réfléchir sur les termes du débat actuel et sur ses enjeux. On a ici choisi un héros discret de ce combat, un magistrat, conseiller à la Cour d’Aix-en-Provence. Il avait, lorsqu’il écrit le livre sur lequel on va s’appuyer, occupé les fonctions de juge d’instruction, de procureur et, en tant que conseiller à la Cour, il avait présidé la Cour d’assises. Il se nomme Louis Proal et son livre s’intitule sobrement Le crime et la peine 6. C’est un gros livre de 540 pages, écrit par un homme très cultivé, d’une culture classique et contemporaine, philosophique et scientifique, très au fait des évolutions de la pensée pourtant foisonnantes à cette époque, et qui se revendique des Lumières et du camp républicain si l’on en croit les citations mises en exergue de l’ouvrage : l’une est tirée de Diderot 7 et l’autre de Jules Simon 8. Ce livre est un livre de combat : il est publié chez Félix Alcan dans la collection même où les auteurs qu’ils critiquent, Lombroso, Garofalo, Maudsley et d’autres, sont publiés. L’introduction intitulée « La crise actuelle du droit criminel » campe une opposition entre, d’un côté le législateur, un législateur qui croit au libre arbitre mais qui est peut-être trop oublieux, dit l’auteur, des liens entre « l’âme » et le cerveau et, de l’autre, les théories déterministes qui expliquent le crime par l’organisme, le tout sur fond de progrès des sciences naturelles, du positivisme et du darwinisme. Proal, sous la réserve faite à l’instant, se range dans le premier camp, celui des notions de responsabilité morale, de culpabilité et de peine, et ce qu’il critique c’est le caractère systématique des théories déterministes mais sans nier toutefois l’intérêt des sciences à condition qu’elles ne servent pas une théorie toute faite, un a priori. Position nuancée donc, mais ferme. Lorsqu’il publie la seconde édition, Proal peut penser que son combat sera victorieux : le second Congrès d’anthropologie criminelle n’a-t-il pas, après tout, vu l’échec de Lombroso dont la doctrine n’a pas convaincu ? 8 En tout cas, il ne masque pas son objectif et dès l’avant-propos de uploads/Philosophie/ jean-danet-la-dangerosite.pdf

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