Université de Montréal L’Aufklärung kantienne : une quête d’autonomie Par Alexa

Université de Montréal L’Aufklärung kantienne : une quête d’autonomie Par Alexandre Vigneault-Bérubé Département de philosophie Faculté des arts et des sciences Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures en vue de l’obtention du grade de M.A. en philosophie, option recherche Juillet 2014 © Alexandre Vigneault-B., 2014 Université de Montréal Faculté des études supérieures Ce mémoire intitulé : L’Aufklärung kantienne : une quête d’autonomie présenté par : Alexandre Vigneault-Bérubé a été évalué par un jury composé des personnes suivantes : Christian Leduc président-rapporteur Claude Piché directeur de recherche Jean Grondin membre du jury i RÉSUMÉ Michel Foucault fait remarquer qu’il y a dans la conception des Lumières européennes une tension entre la « croissance de l’autonomie » et la « croissance des capacités » par la science et la technique (Foucault, 1994, p. 83). Or, dans « Qu’est-ce que les Lumières? », Kant privilégie clairement le premier volet, l’autonomie, tel qu’en témoigne sa définition : « sortie de l’homme de l’état de minorité, où il se maintient par sa propre faute ». Force lui est toutefois d’admettre que l’autonomie qui s’exprime dans le « penser par soi-même » nécessite un accès à l’espace public, car la liberté de pensée implique la possibilité de publier ses opinions et de penser avec autrui. Le texte de Kant évoque donc les conditions politiques permettant un libre accès au « public des lecteurs ». Il importe ainsi que le despote éclairé, en l’occurrence Frédéric le Grand, gouverne à tout le moins dans un esprit républicain en maintenant un espace public exempt de censure. Il importe en outre qu’il s’abstienne d’intervenir en matière religieuse. Ce n’est pas un hasard si le thème de la liberté de conscience religieuse occupe une large place dans le texte de Kant, car la tentation est grande pour l’autorité politique de bafouer cette liberté et d’instrumentaliser la religion à des fins politiques. Mots clés : Philosophie, Kant, Aufklärung, Autonomie, Espace public, Hétéronomie, Liberté, Lumières. ii ABSTRACT Michel Foucault pointed out that there is in the design of the European Enlightenment a tension between the "growing autonomy" and "growth capacity" by science and technology (Foucault, 1994, p. 83). Now, in "What is Enlightenment?" Kant clearly favors the first part, autonomy, as evidenced by its definition: "out of man's status as such, where he maintains through his own fault." It is bound to admit, however, that autonomy as expressed in the "think for yourself" requires access to public space, because freedom of thought implies the possibility of publishing one’s opinions and to think with others. Kant's text evokes the political conditions for free access to the "reading public". It is therefore important that the enlightened despot, namely Frederick the Great, ruled at least in a republican spirit by holding a public space free of censorship. It is also important that he should refrain from interfering in religious matters. It is no coincidence that the theme of freedom of religious conscience occupies a large place in Kant's text, because the temptation is great for political authority to violate this freedom and exploit religion for political purposes. Keywords: Philosophy, Kant, Aufklärung, Autonomy, Enlightenment, Freedom, Heteronomy, Public Sphere iii TABLE DES MATIÈRES Résumé ................................................................................................................................ i Abstract .............................................................................................................................. ii Remerciements .................................................................................................................. iv Abréviations ........................................................................................................................v INTRODUCTION ....................................................................................................................1 CHAPITRE 1. LES ENJEUX THÉORIQUES ET PRATIQUES DE L’AUFKLÄRUNG : DEUX CONCEPTIONS DE LA RAISON 8 1.1. L’Aufklärung à l’aune de la pensée leibnizo-wolffienne ..............................12 1.2. L’Aufklärung à l’aune du criticisme kantien.................................................17 1.2.1. Penser sans l’autorité d’un autre .......................................................21 1.2.2. L’Aufklärung, première maxime de l’entendement commun ...........24 1.2.3. La volonté libre ou l’autonomie .......................................................26 CHAPITRE 2. LES ENJEUX POLITIQUES DE L’AUFKLÄRUNG : USAGE PUBLIC DE LA RAISON, REPRÉSENTATIVITÉ ET RÉPUBLICANISME 29 2.1. L’accès à l’espace public et l’usage public de la raison ................................30 2.2. Le contractualisme kantien ............................................................................34 2.3. La forme idéale du gouvernement..................................................................38 2.4. La question du droit à la révolution ...............................................................42 2.5. Cosmopolitisme et paix perpétuelle ...............................................................46 CHAPITRE 3. LES ENJEUX THÉOLOGIQUES DE L’AUFKLÄRUNG : L’AUTONOMIE DU POINT DE VUE RELIGIEUX 52 3.1. Conscience morale et religion rationnelle ......................................................53 3.2. La religion « révélée »....................................................................................60 3.3. L’État et l’Église ............................................................................................65 CONCLUSION .....................................................................................................................70 BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................................. vi iv Remerciements Je tiens d’abord à adresser ma plus sincère gratitude à Claude Piché, mon directeur de recherche. Les conseils judicieux, les encouragements, la patience et la disponibilité de ce pédagogue hors pair ont grandement contribué à l’aboutissement de ce mémoire. Je tiens aussi à remercier Carmelle, Gilles et Laurence, pour leur présence bienveillante tout au long de ce travail. Finalement, merci tout spécialement à Marie-Hélène, pour sa présence au quotidien et son support sans faille. v Abréviations À des fins de simplification, les références aux œuvres de Kant seront données en titres abrégés* : A – Anthropologie du point de vue pragmatique C3 – Critique de la faculté de juger C1 – Critique de la raison pure C2 – Critique de la raison pratique FMM – Métaphysique des moeurs I. Fondation / Introduction IHU – Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique (Opuscules sur l’histoire) MM – Métaphysique des moeurs II. Doctrine du droit (DD)/ Doctrine de la vertu (DV) PP – Vers la paix perpétuelle QOP – Que signifie s'orienter dans la pensée? QQL – [Réponse à la question] : Qu'est-ce que les Lumières? RE – La religion dans les limites de la simple raison TP – Théorie et pratique * L’abréviation « AK » réfère à l’Akademie-Ausgabe, le chiffre romain indique le tome et sera suivi de la page. Ex. : QQL, AK VIII, 40. Pour la référence aux éditions précises consultées, se reporter à la bibliographie en fin d’ouvrage. INTRODUCTION ___________________________________________________________ Je suis moi-même par penchant un chercheur de vérité. Je me sens une soif dévorante pour la connaissance et une passion sans repos pour y avancer, ainsi qu’une satisfaction dans chaque pas en avant. Il fut un temps où je pensais que cela seul pouvait faire la gloire de l'humanité, et je méprisais le peuple qui n’a science de rien. C’est Rousseau qui me remit sur le droit chemin. Cette illusoire supériorité qui m’aveuglait disparaît ; j’apprends à respecter la nature humaine, et je devrais me considérer beaucoup plus inutile que l'ouvrier ordinaire si je ne croyais pas que ce point de vue pourrait donner une valeur à tous les autres [et] établir les droits de l'humanité. – Réflexions, AK XX, 44. 1/ Malgré tout ce qui les rapproche des autres bouleversements européens sur le plan des idées, la spécificité des Lumières germaniques, l’« Aufklärung », est une chose communément admise1. On reconnaît à cet élan progressiste du XVIIIe siècle une certaine volonté de ménagement et même d’intégration à l’égard de l’institution religieuse, ce qui contraste en outre avec le mouvement des Lumières françaises plus enclin à une critique radicale de celle-ci, une tendance dont les aboutissements les plus manifestes allaient se révéler avec éclat lors de la Révolution française. C’est donc, au-delà du principe d’égalité, l’idée de tolérance religieuse qui a une forte empreinte en sol germanique. D’ailleurs, le renouveau étant essentiellement l’œuvre de professeurs et de pasteurs souvent fortement influencés par le piétisme2, les idées d’éducation et de liberté de conscience y occupent une place prépondérante. Qui plus est, légèrement plus tardive que chez ses voisins français et anglais, l’Aufklärung compte parmi ses précurseurs le philosophe et mathématicien Gottfried W. Leibniz (1646-1716), ce qui explique sans doute en partie cette propension des Aufklärer aux spéculations de la logique et de la 1 Cf. José Castaing. « Aufklärung et/ou les Lumières », dans Lorenzo Bianchi, Jean Ferrari et Alberto Postigliola, (éd.). Kant et les Lumières européennes. Actes du 7e Congrès de la Société d'études kantiennes de langue française organisé à Naples, 20-22 octobre 2005, Paris : Vrin, Naples : Liguori, 2009, p. 13. 2 Dont notamment Christian Thomasius (1655-1728), marqué par la pensée du théologien luthérien Philipp. J. Spener, auteur de Pia desideria, texte fondateur du piétisme. 2 métaphysique. Enfin, ce qui nous intéresse ici plus particulièrement, l’unicité de l’Aufklärung tient au fait que les Allemands sont à cette époque les seuls à interroger la notion même d’Aufklärung, à questionner le sens de ce vocable et les notions connexes de progrès et de destinée (Bestimmung)3. C’est donc cette interrogation qui occupe la société des lettres prussienne au crépuscule de l’Aufklärung en 1784 et à laquelle Emmanuel Kant répondra par son célèbre texte Qu’est-ce que les Lumières? (Was Ist Aufklärung?). Or si l’ensemble des thématiques propres aux réflexions de ses contemporains Aufklärer y trouvent leur place, force est de constater que se dégage de l’écrit de Kant une pensée qu’il serait sans doute présomptueux de considérer comme une pensée emblématique de son époque. 2/ Dans ce texte concis, Kant situe l’enjeu principal de l’Aufklärung non pas du côté de la philosophie théorique, à l’instar de plusieurs de ses contemporains, mais bien du côté de la philosophie pratique, autrement dit de la philosophie morale. Or dans ce domaine, il est avéré que Kant s’est d’abord intéressé de près à la pensée des philosophes anglo-saxons, notamment à David uploads/Philosophie/ l-x27-aufklaerung-kantienne-une-quete-d-x27-autonomie.pdf

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