1 L’imaginaire artistique du surréalisme belge. Du lisible au visible Le surréa

1 L’imaginaire artistique du surréalisme belge. Du lisible au visible Le surréalisme ou la quête de liberté Le surréalisme a commencé par refuser toute convention dans la création artistique et dans la réception de l’art. Cette aversion contre L’Institution artistique, littéraire, est tributaire d’une tradition de la subversion commencée par Rimbaud et Lautréamont, avec qui la révolte artistique se nuance par des attitudes iconoclastes, en devenant négation du passé. Pour Nietzsche, « celui qui veut être créateur dans le bien et dans le mal devra d’abord être destructeur et briser des valeurs »1. Il est donc question de la destruction définitive de la tradition pour pouvoir commencer une expérience originelle et originaire. Le geste n’est pas tellement surprenant, chaque fois que des artistes ont voulu imposer de nouvelles démarches, ils se sont vus obligés à renverser la Doxa, à se délimiter des ancêtres. Mais ce qui distingue la révolte surréaliste de tous les autres mouvements radicaux, c’est la véhémence de la négation et de la révolte. En 1924, dans le Manifeste du surréalisme, André Breton explicite pour la première fois l’idée surréaliste et recense les surréalistes vivants ainsi que leurs ancêtres ; il se paie aussi le luxe de définir « une fois pour toutes » le mot « surréalisme », formule très canonique, en effet, qui sera reprise et remise en discussion par les surréalistes mêmes. SURRÉALISME, n.m. Automatisme psychique pur par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale2. Une définition qui mêle la psychiatrie et la psychanalyse à la philosophie. Évidemment, la question est pourquoi Breton use d’une terminologie savante pour annoncer un nouveau mode d’être, un nouvel état d’esprit qui ne se réclame d’aucune mouvance idéologique ou philosophique. Ne voulant confondre l’« automatisme psychique pur » au modèle mécanique, biologique ou naturel, Breton le considérera plutôt comme un mécanisme irrégulier, une spontanéité naissante défiant les conformismes sociaux, les habitudes de la pensée ou les lois de la nature. Mais les quêtes surréalistes ne peuvent pas être uniformisés. 1 Friedrich Nietzsche, Ecce homo, traduction en français par Henri Albert, Paris, Denoël / Gonthier, 1982, p. 155. 2 André Breton, Manifestes du surréalisme, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1985, p. 36. 2 * * * Deux attitudes balisent toute entreprise avant-gardiste: les gestes iconoclastes, le refus du passé, la destruction du système conceptuel et culturel traditionnel, et, d’autre part, l’affirmation d’une nouvelle cosmogonie. Ion Pop met l’accent sur ce double aspect du mouvement d’avant- garde qui se construit entre négation et affirmation: La conscience autoréfléchie de la littérature n’a jamais été si forte, intéressée par la dynamique de sa propre genèse, par les dangers possibles de l’enlisement dans des « formules » et des « conventions », dans la subtile « chimie des mots » qu’elle l’est dans l’avant-garde. Exacerbation, donc, de la conscience de la convention, exaltation d’autre part de la volonté novatrice. Rimbaud – le précurseur savait déjà qu’il travaille pour devenir voyant, Lautréamont – que la poésie doit être faite par tous, non par un [...]3. [Notre traduction] Le langage ne représente plus, il est conçu comme un jeu autonome par rapport à la référence. Hugo Friedrich explique l’obscurité et la dissonance de la poésie, à commencer par Baudelaire et jusqu’à nos jours, par la perte de la fonction représentative du langage, secondée par la dépersonnalisation. La poésie de Baudelaire, de Rimbaud et de Mallarmé constitue les trois étapes vers ce que Friedrich appelle « la poésie ontologique »4. On observe que « l’état d’esprit » avant-gardiste se construit selon les mêmes paramètres : la négation absolutisée de la tradition, la démarche anti-littérature, refus de toute autorité, de toute servitude dogmatique, affirmation, d’autre part, de la nouveauté artistique. L’engagement à une tradition, image d’une réalité artistique dépassée par la vie, supposerait le renoncement à la réalité du présent et surtout de l’avenir. Refus de la tradition signifie, pour l’art avant-gardiste, la rupture nécessaire pour une autre genèse. La nouveauté, dépositaire de l’esthétique de l’imperfection, sera le mot d’ordre de ces artistes révoltés. En fait, cet état d’esprit est généré par une disponibilité créatrice absolue, doublement marquée par l’artiste et par l’œuvre, par le dynamisme, car la hantise la plus bouleversante est la stagnation. En d’autres mots, l’avant-garde met en équation une rhétorique de la rupture et le mythe du commencement absolu, permanent, la volonté d’effacer le passé et la 3 Ion Pop, Avangarda în literatura română, Bucureşti, Minerva, 1990, p. 397-398: «Nicicînd înainte conştiinţa autoreflexivă a literaturii n-a mai fost atît de marcată, interesată de dinamica propriei geneze, de posibilele pericole ale împotmolirii în «formule» şi «convenţii», de subtila «chimie a cuvintelor». Exacerbare, deci, a conştiinţei convenţiei, exaltare, pe de altă parte, a voinţei transformatoare. Rimbaud - precursorul ştia deja că munceşte ca să devină vizionar, Lautréamont - că poezia trebuie făcută de toţi nu de unul[…]». 4 Hugo Friedrich, Structures de la poésie moderne, Paris, Denoël/Gonthier, 1976. 3 nécessité de détruire l’Institution littéraire. Il y a dans la quête surréaliste ce goût de la rupture, du refus de la forme, de la destruction et de l’anarchie, de la dé-création. Cette perspective consacre un culte pour l’anti-formule, pour le désordre absolu. L’esthétique surréaliste de l’imperfection cherche non seulement à contester un système de valeurs figées par la convention, mais il s’agit surtout de mettre en doute son propre statut, sa propre ambition. Et néanmoins, on peut parler d’un but, d’une aspiration du surréalisme: l’ambition de « rendre exemplaire ce qui a de tout temps été ressenti comme anormal de faire de l’exception la règle »5. Dans tout ce tumulte révolutionnaire, le surréalisme s’est imposé comme revalorisation de l’homme et de l’art, il vise une connaissance révélatrice des mystères du monde. Le principe d’analogie, fondamental pour le surréalisme, comporte trois directions essentielles : magie – ésotérisme – gnostique, tous ces éléments se rapportant à la psychanalyse, car il faut souligner de prime abord le rôle important que joua la théorie de Freud dans la doctrine de ce mouvement. Il faut dire que le rêve, pour les surréalistes, n’est pas une modalité d’évasion, l’expérience onirique reste une possibilité de mieux connaître l’univers, le rêve fait partie d’une réalité qui doit absolument provoquer la conjonction des contraires : l’imaginaire a toujours un pied dans le réel. Ce que les surréalistes prônent c’est un monde de la liberté, de la pleine expression où l’art disparaît comme fin, où ce n’est que la connaissance profonde et subtile de la vie qui compte. Le sous-conscient et l’inconscient deviennent pour les surréalistes source de la dictée automatique, l’inconscient est, pour André Breton (dans Nadja), – « la grande inconscience vive et sonore » – une sorte de réservoir de puissance mentale enfouie dans la conscience. Chez Freud, l’inconscient équivaut aux coulisses de la conscience, sa psychanalyse étant une thérapeutique où les rêves sont des signes cliniques. Les thèmes et les mythes favoris des surréalistes ramènent tous – selon l’opinion de Robert Bréchon – à ceux de la quête. Rêve, folie, imaginaire s’y définissent comme moyens de connaissance du monde. Cette quête se prolonge également dans l’expérience de l’amour, car l’éros surréaliste signifie aussi moyen gnoséologique, modalité de ré-sacralisation de la vie humaine. Le surréalisme part à la reconstruction de l’espace mythologique dans la conscience collective par « le refus de l’idée de nation ou de patrie » et par la construction d’ « une nouvelle image de l’homme à l’échelle planétaire »6. 5 Robert Bréchon, Le Surréalisme, Paris, Armand Colin, 1971, p. 9. 6 Ibid., p. 138. 4 Ce « mythe du nouveau » propose une rhétorique de l’anarchie, de la rupture : la raison, la logique, les catégories, le temps, l’espace, le deux et deux font quatre ont fini par s’imposer comme les seules réalités vivantes. La voie d’accès à la vraie réalité de l’homme est de détruire ces conventions. Et le slogan de Breton (« Lâchez tout ») constitue le début d’une nouvelle manière de vivre, de vivre et d’écrire. Pour Paul Nougé, ce qui compte ce n’est pas exactement de se comprendre ou de comprendre l’homme, mais plutôt de faire susciter en l’homme tels points de poésie libératrice. Ces « points lumineux » rappellent sans doute le Manifeste de Breton de 1924: Tout porte à croire qu’il existe un certain point de l’esprit d’où la vie et la mort, le réel et l’imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l’incommunicable, le haut et le bas cessent d’être perçus contradictoirement. Or, c’est en vain qu’on chercherait à l’activité surréaliste un autre mobile que l’espoir de détermination de ce point7. Issu de « l’Esprit dada », lui-même tributaire du dégoût qu’inspirèrent à quelques artistes les valeurs morales, politiques et artistiques responsables de la catastrophe de 14 – 18, le surréalisme veut, d’une part, prolonger et même accentuer cet état d’esprit et, d’autre part, expérimenter uploads/Philosophie/ l-x27-imaginaire-artistique-du-surrealismee.pdf

  • 26
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager