La convention sur les droits de l’enfant et ses conséquences déontologiques Une
La convention sur les droits de l’enfant et ses conséquences déontologiques Une autre donnée vient également modifier en profondeur l’éthique traditionnelle de l’enseignement. La convention de 1989 sur les droits de l’enfant, en introduisant l’idée d’une certaine citoyenneté déjà présente (et non pas future) de l’enfant, crée pour les enseignants des obligations nouvelles auxquelles ils devront bien finir par se plier. Ainsi l’article 12 reconnaît à l’enfant capable de discernement « le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité ». Même si les rédacteurs de ce texte pensaient d’abord aux procédures de divorce ou de séparation, au droit de la famille qui jusqu’alors n’accordait que peu de place aux désirs et à la parole des enfants, il est difficile de ne pas reconnaître que l’école est, elle aussi, une question qui « intéresse » l’enfant ! Deux obligations en découlent pour l’enseignant. D’une part, celle de donner à l’élève les moyens matériels, psychologiques et intellectuels d’exprimer son opinion. Ce qui suppose qu’il soit régulièrement mis en situation d’argumenter, de discuter, de se confronter à ses pairs et aux adultes. Or c’est peu de dire que la pédagogie traditionnelle, « frontale », qu’elle soit expositive ou maïeutique, ne permet guère cela. Le débat en classe (« quoi de neuf? », philosophie pour enfants, etc.), le travail de groupes, le conseil, la classe coopérative acquièrent ainsi désormais le caractère d’obligations déontologiques, sinon même juridiques, pour l’enseignant. Dans la mesure où, comme on le sait, les conventions internationales priment sur toutes les législations nationales, il n’est pas utopique d’imaginer qu’un élève ou ses parents attaquent un établissement scolaire devant le tribunal international de La Haye pour non- respect de cet article de la convention. D’autre part, le texte stipule que les opinions de l’enfant doivent être « dûment prises en considération ». Ce qui suppose, ici encore, que des institutions soient mises en place dans chaque classe et chaque école pour permettre cette participation des élèves aux décisions les concernant. L’élection de délégués, la participation aux conseils, et d’une manière générale la « démocratie scolaire » deviennent ainsi des exigences juridiques et morales auxquelles les enseignants ne sauraient se soustraire. Elles ne sont plus des choix pédagogiques personnels contingents laissés à l’appréciation et à la liberté de chacun (modèle libéral), mais des devoirs indiscutables s’imposant à tous. Pareillement, l’article 13 stipule : « L’enfant, a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen au choix de l’enfant ». Ici encore, un tel droit suppose que l’élève trouve à l’école les moyens de rechercher et répandre des informations. La recherche documentaire, l’initiation aux technologies modernes de communication (presse écrite et multimédia, internet), le journal scolaire, la correspondance scolaire constituent ainsi des exigences incontournables. Une classe ou une école où l’on n’étudierait jamais la presse, où l’on n’apprendrait pas à échanger des idées ou des expériences avec des correspondants lointains, où l’on n’utiliserait pas les outils permettant la communication à distance, est et sera de plus en plus en contradiction avec les dispositions de la convention. Enfin, l’article 16 précise que « nul enfant ne fera l’objet (...) d’atteintes illégales à son honneur et à sa réputation ». Certaines pratiques ne sont-elles pas ainsi condamnées de la part des enseignants ? Par exemple, dire devant toute la classe à un élève qu’il est nul ; proclamer publiquement les notes de chacun ; les assortir de commentaires ironiques, etc. Le respect de la dignité de l’élève - thème récurrent lors de la récente consultation lycéenne – ne bannit pas seulement les châtiments corporels ou les punitions humiliantes ; il suppose une adhésion effective au « postulat d’éducabilité », le refus de tout fatalisme biologique, culturel ou social (« il ne peut pas »), mais aussi le refus de se réfugier derrière l’alibi de la liberté de l’enfant pour justifier un immobilisme pédagogique (« il ne veut pas »). Derrière ces nouvelles exigences déontologiques qui se profilent, c’est au fond une nouvelle éthique de l’enseignant qui émerge. Celui-ci ne doit plus tant être, comme dans le Code Soleil , un modèle doté d’une force d’attraction ( le « rayonnement ») suffisamment forte pour susciter l’imitation ( selon l’adage : « penser devant les élèves pour les faire penser »), mais plutôt un metteur en scène capable d’inventer des dispositifs et des procédures suffisamment riches et variées pour permettre aux élèves les plus difficiles de dépasser leur situation d’échec. Se dessine ainsi ce qu’on pourrait appeler un devoir d’imagination : la pédagogie n’est plus seulement pour l’enseignant une panoplie de moyens parmi lesquels il lui faudrait choisir pour atteindre certaines fins (intellectuelles, morales, sociales) extérieures et antérieures à elle. Elle devient désormais une fin en soi, l’exigence éthique de ne jamais considérer le choix d’autrui comme définitif et irrévocable, de ne jamais s’incliner devant lui comme la marque d’une impuissance sans retour. uploads/Philosophie/ la-convention-sur-les-droits-de-l-x27-enfant.pdf
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- Publié le Nov 23, 2021
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