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13/11/2022 11:17 La critique de la métaphysique www.daniel-pimbe.com/pages/cours-et-conferences/page-5.html 1/11 LA CRITIQUE DE LA MÉTAPHYSIQUE Le mot « métaphysique » désignera dans cette conférence la prétention de fournir d’authentiques connaissances sur des objets supposés réels, mais échappant par principe à l’expérience. Toute spéculation sur les premiers principes ou sur l’essence des choses, toute démonstration de l’existence de Dieu ou de l’immortalité de l’âme, relève ainsi de la métaphysique. Par « critique de la métaphysique », on entendra le projet de disqualifier une telle prétention, de montrer que les spéculations ou démonstrations en question ne fournissent aucune connaissance véritable. Cette disqualification ne pourra toutefois être nommée « critique de la métaphysique » que si elle est spécifique, discriminante : une philosophie soutenant qu’aucune connaissance, quel que soit son objet, ne nous est accessible, ne serait pas, à proprement parler, une « critique de la métaphysique ». En d’autres termes, la prétendue connaissance métaphysique ne sera dite « critiquée » que si elle est contestée au nom d’une autre connaissance, jugée véritable, celle qu’on appelle communément la « science ». La critique doit alors montrer que ce qui garantit la possibilité, pour la science, de connaître ses objets, établit du même coup l’impossibilité, pour la métaphysique, d’atteindre les siens, bref que la métaphysique n’est pas une science. C’est par rapport à cette exigence que l’on jugera le succès ou l’échec de l’entreprise : il est clair qu’une critique de la métaphysique échoue complètement si l’argument qu’elle utilise pour disqualifier les propositions de l’ontologie, ou celles de la théologie rationnelle, pourrait tout aussi bien être utilisé pour disqualifier les propositions de la physique, ou celles des mathématiques. Tel est précisément le reproche que Popper adresse à la façon dont ceux qu’il appelle les « positivistes » (essentiellement Wittgenstein et Carnap) mènent leur critique de la métaphysique. Ils ont certes raison de vouloir établir que la métaphysique n’est pas la connaissance qu’elle prétend être, ils ont également raison de recourir pour cela à un « critère de démarcation » entre la science véritable et la métaphysique, mais ils se fondent sur une mauvaise démarcation, si bien qu’en fin de compte, écrit Popper, « la métaphysique n’est pas la seule à être ruinée par ces méthodes : la science naturelle l’est aussi »[1]. Or il est remarquable que cette objection de Popper à Wittgenstein et Carnap soit comme la reprise d’une objection que Kant avait adressée à Hume dans l’Introduction de la Critique de la raison pure. Hume a certes raison, reconnaissait également Kant, de vouloir établir qu’il ne peut pas y avoir de connaissance métaphysique, du moins pas au sens où les métaphysiciens le prétendent, mais il n’a pas « vu que d’après son argument il ne pouvait y avoir non plus de mathématique pure »[2]. Quelles que soient les différences considérables dans le contexte et même dans le contenu de ces deux objections, l’analogie mérite d’être relevée. Dans les deux cas, un argument destiné à disqualifier la métaphysique au nom de la science est accusé de disqualifier également, et absurdement, la science elle-même. Et dans les deux cas, cette accusation justifie la recherche d’un argument différent pour atteindre l’objectif. À un siècle et demi d’intervalle, le camp des critiques de la métaphysique semble divisé par la même scission, due à la même difficulté : comment ruiner la prétention scientifique de la métaphysique sans risquer de ruiner du même coup la prétention scientifique de la science ? Deux conditions doivent toutefois être remplies pour qu’une telle analogie soit vraiment éclairante. Il faut d’abord s’assurer que Kant et Popper adressent bien deux objections semblables à des arguments eux-mêmes semblables : entre la raison qui justifie, selon Hume, l’exclusion de la métaphysique, et celle qu’invoquent de leur côté Wittgenstein et Carnap, y a-t-il une parenté telle qu’il soit permis de leur imputer la responsabilité du même échec ? Il faut ensuite vérifier que la similitude de leurs objections conduit bien Kant et Popper à chercher une issue dans la même direction : veillant l’un comme l’autre à ce que la nécessaire critique de la métaphysique ne se retourne pas contre la science, ont-ils trouvé des moyens semblables de l’éviter ? L’examen des textes nous montrera jusqu’à quel point ces deux conditions sont remplies. Passant de l’étude du couple Hume – Kant à celle du couple Carnap – Popper, nous verrons certes apparaître un nouveau langage, de nouveaux concepts, de nouveaux problèmes. Mais nous constaterons surtout la répétition d’une remarquable structure argumentative, et des contraintes qu’elle impose. * ** L’ultime paragraphe de l’Enquête sur l’entendement humain illustre brillamment, avec un brin de provocation toutefois, la critique humienne de la métaphysique[3]. Ce paragraphe propose une sorte de test auquel seraient soumis les livres rassemblés dans les bibliothèques, autrement dit tout ce qui prétend occuper une certaine place dans l’univers du savoir. L’enjeu du test est précisément de détecter les intrus, les usurpateurs, ceux n’ont pas, en réalité, leur place dans cet univers : de savoir quels livres il faut « détruire », mettre « au feu », sans qu’une telle destruction fasse perdre quoi que ce soit, car ces livres étaient en trop. Le test lui-même consiste en deux questions sur le contenu de chaque ouvrage. La première question est : « Contient-il des raisonnements abstraits sur la quantité ou le nombre ? » La seconde est : « Contient-il des raisonnements expérimentaux sur des questions de fait et d’existence ? » Il est clair que dans l’esprit de Hume ces deux questions forment une alternative parfaite, recouvrant tout l’univers du savoir possible, qui se trouve ainsi strictement délimité. Chaque élément de cet univers, donc chaque livre méritant sa place dans la bibliothèque, doit appartenir à l’une des deux catégories, contenir soit des raisonnements abstraits sur la quantité et le nombre, soit des raisonnements expérimentaux sur des questions de fait et d’existence : il n’y a pas de troisième possibilité. Tout livre prétendant justement développer une troisième possibilité doit être jugé comme ne relevant ni de la première, ni de la seconde, comme ne contenant ni raisonnements abstraits sur la quantité et le nombre, ni raisonnements expérimentaux sur des questions de fait et d’existence, donc comme ne contenant rien de ce qui peut constituer un savoir. Ce livre est alors repéré comme un intrus dans la bibliothèque, un livre dont il faut se débarrasser. C’est le cas, affirme Hume, de n’importe quel volume « de théologie ou de métaphysique scolastique ». Regardons de plus près l’alternative humienne, cette stricte délimitation de l’univers du savoir, partagé en deux régions dont chacune est définie par un certain type d’objet, auquel se rapporte un type déterminé de raisonnement. Le point important est l’interdiction de tout « croisement », de toute association d’un raisonnement avec l’objet qui ne lui convient pas. En conséquence, dans une bibliothèque parfaite, on ne devra trouver aucun livre contenant des « raisonnements expérimentaux » sur « la quantité ou le nombre », mais aussi aucun livre contenant des « raisonnements abstraits » sur « des questions de fait et d’existence ». Il n’est guère besoin de stipuler la première de ces deux interdictions, car personne n’aurait l’idée d’interroger l’expérience pour savoir si « trois fois cinq est égal à la moitié de trente ». La vérité de cette proposition est inscrite dans les nombres eux-mêmes, si bien qu’il suffit d’une inspection de la raison pour savoir qu’il ne peut en être autrement. C’est seulement quand cette inspection laisse l’esprit dans l’incertitude que le recours à l’expérience s’impose, autrement dit pour toutes les questions de « fait » : toute la valeur d’un fait, ce qui le rend si précieux, vient précisément de ce qu’a priori son contraire eût été possible. Mais si l’interdiction de tenir des « raisonnements expérimentaux » sur « la quantité ou le nombre » est superflue, il n’en va pas de même de l’interdiction de tenir des « raisonnements abstraits » sur « des questions de fait et d’existence ». Voilà en effet le domaine propre de la métaphysique, et la façon dont elle justifie sa prétention d’être une science. Pourquoi, demande le métaphysicien, serait-il interdit d’appliquer au rapport entre le monde et Dieu un raisonnement aussi éprouvé que celui qui nous fait remonter d’un effet à sa cause ? Parce qu’un tel raisonnement, répond Hume, n’est pas de la compétence de notre raison. Quand elle inspecte l’idée de « trois fois cinq », notre raison peut y découvrir l’idée de « moitié de tente », qui s’y trouve contenue. Mais l’inspection de ce que nous appelons une « cause » ne nous donnera jamais la moindre notion de la réalité complètement différente, complètement nouvelle, que nous appelons son « effet » : nous devons attendre le fait, attendre l’expérience, attendre d’être assez accoutumés à ce qui arrive pour que l’idée de la cause nous fasse irrésistiblement penser à l’effet. C’est cette accoutumance qui nourrit tous les « raisonnements expérimentaux ». En conséquence, lorsque le métaphysicien prétend raisonner sur l’existence de Dieu, ce qu’il uploads/Philosophie/ la-critique-de-la-metaphysique 1 .pdf
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- Publié le Mar 28, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
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