M Hourya Benis-Sinaceur Lettres inédites de Jean Cavaillès à Albert Lautman In:

M Hourya Benis-Sinaceur Lettres inédites de Jean Cavaillès à Albert Lautman In: Revue d'histoire des sciences. 1987, Tome 40 n°1. pp. 117-128. Citer ce document / Cite this document : Benis-Sinaceur Hourya. Lettres inédites de Jean Cavaillès à Albert Lautman. In: Revue d'histoire des sciences. 1987, Tome 40 n°1. pp. 117-128. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhs_0151-4105_1987_num_40_1_4490 DOCUMENTATION Lettres inédites de Jean Cavaillès à Albert Lautman L'amitié de Jean Cavaillès et de Albert Lautman se doublait d'un commerce intellectuel très suivi, du moins aussi longtemps que les circons tances le permirent à tous deux. Un ensemble d'une trentaine de lettres, envoyées par Cavaillès à Lautman entre 1936 et 1943, témoigne de la proximité affective et de pensée des deux philosophes. Elles sont complét ées par des lettres — un peu moins d'une vingtaine — de Cavaillès à Suzanne Lautman, échelonnées entre septembre 1940 et octobre 1941, période de la première détention de Albert Lautman à l'Oflag IV D. Je dois à la générosité de Catherine Chevalley d'avoir pris connaissance de la plupart de ces lettres. Elle me les remit en effet, après les avoir obtenues de Suzanne Lautman avec certains autres documents (été 1984). Mes remerciements vont donc d'abord à Catherine Chevalley, et à Suzanne Lautman qui a bien voulu mettre entre nos mains une correspondance restée jusqu'ici privée. Je remercie également Jacques Lautman d'avoir bien voulu me confier les originaux des lettres dont la lecture posait quelques problèmes. Je remercie Gabrielle Ferrières de m'avoir aidée à déchiffrer certains mots et de m'avoir autorisée à publier ces lettres. Je remercie Suzanne Bachelard et Georges Canguilhem de m'avoir éclairée de leurs souvenirs personnels. La publication de l'ensemble des lettres à Albert ou Suzanne Lautman pourrait contribuer à donner un portrait vivant de Gavaillès. En attendant, et compte tenu des extraits déjà publiés par Gabrielle Ferrières dans son livre, Jean Cavaillès, Un philosophe dans la guerre (réédité au Seuil, 1982), j'ai sélectionné pour ce numéro de la Bévue d'Histoire des Sciences un certain nombre de lettres où l'on voit la régularité des échanges entre Cavaillès et Lautman, l'association de leurs efforts dans « l'ingrat pays de la philosophie des sciences » (1), l'initiative partagée pour fonder une (1) Lettre du 17 mai 1938, ci-après 121. Rev. Hist. ScL, 1987, XL/1 118 Hourya Benis-Sinaceur collection réservée, chez un éditeur scientifique, à « un groupe de jeunes philosophes » (2), la séparation, dans un cheminement pareillement adossé aux mathématiques et à la logique, de leurs options philosophiques. Quelques lettres montrent de combien près Cavaillès suivait les tr avaux de son ami. Souvent admiratif du « brio » de ses essais, il ne lui ménage pas ses félicitations : ainsi pour la communication au Congrès international de Philosophie scientifique de 1935 (3), ou pour la soutenance des thèses en 1937 (4). D'autres lettres révèlent la longueur des négocia tions avec Freymann, disposé à accueillir aux éditions Hermann, dans la série des Actualités scientifiques et industrielles, une collection philosophique. On peut suivre d'une lettre à l'autre les diverses propositions de titre pour cette collection. Après avoir envisagé successivement Clarté, Eléments (suggéré par André Weil à l'instar du traité des bourbakistes), Libres essais philosophiques, les deux amis se mettent d'accord sur Essais philosophiques, publiés par Jean Cavaillès, ce dernier ayant refusé la mention « sous la direction de... ». Raymond Aron collabora à cette collection qui comprit en tout et pour tout quatre volumes dont deux à titre posthume (5). Cavaillès entendait y affirmer l'indépendance d'un point de vue propre ment philosophique et faire une place à la logique mathématique (lettre du 5 juillet 1938, ci-après p. 121). Son amitié pour les bourbakistes ne l'empêchait pas de refuser l'inféodation de la philosophie aux mathémat iques. Celles-ci lui apparaissent comme un instrument de pensée rigou reuse, non la pensée elle-même ; une « expérience » (6) qui favorise la réflexion et n'en dispense pas. Les lettres des années 1936 à 1938 permettent de suivre la préparation des thèses de Cavaillès. On y relève le « souci » (7) logique partagé par les deux philosophes, l'importance tôt reconnue par Cavaillès des théorèmes de Skolem et de Herbrand (8), les « longues discussions avec Gentzen » (2) Lettre du 6 décembre 1938, ci-après 125. (3; Lettre du 3 septembre 1936, en majeure partie publiée par G. Ferrières, op. cit., 115. (4) Lettre du 29 décembre 1937. (5) Premier volume : A. Lautman, Nouvelles recherches sur la structure dialectique des mathématiques (1939). Deuxième volume : J.-P. Sartre, Esquisse d'une théorie des émotions (1939). Troisième volume : A. Lautman, Symétrie et dissymétrie en mathémat iques et en physique. Le problème du temps (1946). Quatrième volume : J. Cavaillès, Trans fini et continu (1947). (6) Ce terme employé de façon répétée par Cavaillès, recouvre un thème constant de sa pensée. Voir les lettres à son père du 24 janvier et du 11 novembre 1938, dans G. Ferrières, op. cit., 119 et 123. Lettres à A. Lautman de septembre 1938. ci-après 122, et du 7 novembre 1938, ci-après 123. (7) Le terme est emprunté à A. Lautman : lettre du 6 décembre 1938, ci-après 125. (8) Lettre du 13 juin 1936, ci-après 120. Lettres inédites 119 à Gôttingen (9), l'intérêt pour la notion de conséquence logique nouvelle ment définie par Tarski (10). Ici ou là on retrouve les idées maîtresses de Cavaillès : l'impossibilité d'expliquer de l'extérieur les nécessités internes d'un processus singulier (lettre du 6 décembre 1938) ; sa vision « archi tecturale » du développement mathématique (lettre du 13 juin 1936) ; son absence d'intérêt pour une histoire-déroulement (lettre du 5 mai 1937). La lettre du 7 novembre 1938, ci-après p. 123, montre la réserve de Cavaillès par rapport à l'option heideggerienne de son ami. Deux lettres permettent d'identifier les lectures nourricières de Cavaillès tandis qu'il travaille, dans l'isolement d'une détention ou de l'autre : 1 / A la rédaction du cours de logique professé à la Sorbonne en 1940- 1941 et que Gaston Bachelard lui avait demandé pour sa collection des Presses Universitaires de France (11) ; 2 / A la rédaction du texte publié en 1946 par Georges Canguilhem et Charles Ehresmann sous le titre Sur la logique et la théorie de la science. La première de ces lettres, du 4 novembre 1942, a été largement publiée par G. Ferrières dans son livre (p. 164-165 de l'éd. de 1982). La deuxième, du 14 février 1943, est publiée ci-après p. 127. Souhaitons que la publication de ces lettres aide à restituer le climat d'urgence dans lequel travaillait Cavaillès et à saisir d'une façon plus précise ou mieux située certaines constantes de sa pensée. La transcription des lettres manuscrites obéit aux règles suivantes : 1 / Les mots écrits en abrégé par Cavaillès sont restitués dans leur intégralité, les lettres non écrites étant placées entre crochets. Une excep tion naturelle à cette règle a été faite pour les noms propres de la lettre du 14 février 1943. 2 / Parfois une virgule a été introduite là où Cavaillès semblait signi fier une pose par un espace blanc. 3 / Bien sûr, l'article indéfini « un », « une », a été substitué à sa repré sentation par le chiffre « 1 ». 4 / Des notes ont été rajoutées en bas de page là où elles m'ont paru éclairer la compréhension du lecteur. CNRS Hourya Benis-Sinaceur. (9) Lettre du 26 août 1936, publiée par G. Ferrières, op. cit., 110. (10) Lettre du 3 septembre 1936, publiée par G. Ferrières, op. cit., 115. (11) Suzanne Bachelard, qui a suivi ce cours, se souvient qu'y assistaient également G. G. Granger, F. Courtes et Jean Gosset. 120 Hourya Benis-Sinaceur I Angers, le 13 juin 1936 (12). Cher ami, Me voici installé pour encore une dizaine de jours dans cette invra isemblable vie de giberne et de temps perdu (13). Heureusement le trait ement est humain. Tous les jours à 4 h nous pouvons abandonner les sapes et ces rocailleuses explications de contremaîtres. J'ai repris le problème de la représentation de la théorie des ensembles dans le système Hilbert. Ce n'est pas encore parfaitement clair, au moins à dire. Il y a là une dialectique (14) dont il ne faut passer aucun moment ; cela m'a obligé à un retour sur le théorème de Skolem et celui d'Herbrand. Je ne sais si tu as trouvé que l'exposé que j'en donnais (15) était trop bref : j'admettais la théorie des champs comme allant de soi ; c'est en réalité un héritage de la logistique naïve — description des rapports entre ensembles consi dérés comme posés en soi ; le grand mérite d'Herbrand — que je n'ai pas bien marqué — a été de dépouiller le traitement de toute signification intuitive (interprétation des signes de quantité). Je vais refaire cela, en liant mieux avec le travail simultané — et d'inspiration différente — de Gôdel sur la Vollstândigkeit du calcul (un an avant son grand mémoire). Mais je n'ai pas emporté la thèse d'Herbrand : puis-je te demander de m' envoyer ici un de uploads/Philosophie/ lettres-inedites-de-jean-cavailles-a-albert-lautman.pdf

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