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Tous droits réservés © Laval théologique et philosophique, Université Laval, 1965 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 18 jan. 2022 06:14 Laval théologique et philosophique Matérialisme dialectique et humanisme Saint-Jean-Elzéar Volume 21, numéro 1, 1965 URI : https://id.erudit.org/iderudit/1020069ar DOI : https://doi.org/10.7202/1020069ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Laval théologique et philosophique, Université Laval ISSN 0023-9054 (imprimé) 1703-8804 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Saint-Jean-Elzéar (1965). Matérialisme dialectique et humanisme. Laval théologique et philosophique, 21(1), 43–62. https://doi.org/10.7202/1020069ar Matérialisme dialectique et humanisme 1. Le sens de l’humanisme marxiste. Pour assurer la supériorité de l’homme, c’est à la pensée que nous recourons spontanément ; mais il ne saurait en être ainsi pour le marxisme, qui ne peut, sans se renier, fonder son humanisme sur des valeurs spirituelles. La pensée laissée à elle-même est, dans l’optique matérialiste, source de déshumanisation : elle détache l’homme de son être, pour le subordonner à de soi-disant réalités transcendantes. La connaissance purement spéculative, considérée par Aristote comme l’opération la plus élevée et la plus parfaite de la nature humaine, est incompatible avec la réalisation de l’homme marxiste. Celui-ci n’est pas l’homo sapiens, qui trouve sa perfection et sa béatitude dans un devenir immatériel, une communion spirituelle aux réalités des choses ; c’est Yhomo faber, en qui doivent se mani­ fester sans entrave le dynamisme, la puissance et la fécondité de la matière. Ce n’est donc pas par référence à un humanisme défini radicale­ ment par la pensée que nous pouvons parler d’humanisme marxiste. C’est à la condition d’élargir à l’extrême la signification classique du mot, de l’étendre à tout effort tendu vers le libre et complet épa­ nouissement des puissances et des énergies que l’homme porte en lui-même. Dans ce sens, le marxisme est un certain humanisme, humanisme de type nouveau, centré sur des valeurs matérielles et purement terrestres. C’est, selon l’expression même de Marx, en tant que « naturalisme achevé » qu’il est un humanisme. La lutte révolutionnaire qu’il mène est tout entière dirigée contre les structures aliénantes qui arrachent l’homme à lui-même, contre les forces d’op­ pression qui empêchent le parfait accomplissement de son être. Cette lutte acharnée n’a pas d’autre fin que « l’appropriation de la nature humaine par l’homme et pour l’homme )> .* Délivré de toute servitude et en possession de sa propre nature, l’homme pourra alors développer librement ses puissances essentielles et prendre conscience de sa force transformatrice, jusqu’à la maîtrise parfaite de l’univers, « vraie solution de l’antagonisme entre l’homme et la nature, entre l’homme et l’homme )> .2 1. Karl M a r x , Manuscrits de 1844 (Économie politique et philosophie), trad. Bottigelli, Paris, Éditions sociales, 1962, p.87. 2. Ibid. « Science parfaite et définitive le marxisme devait être l’explication de tout. Il devait être avant tout un humanisme. Puisque le principal crime du capitalisme, suivant Karl Marx, avait été l’aliénation de l'essence de l’homme, comment n’aurions-nous pas considéré la récupération de cette essence comme la mission principale de la révolution ? 4 4 L A V A L THÉOLOGIQUE ET PHILOSOPHIQUE 2. L’homme et son histoire. Dans la perspective marxiste, l’homme apparaît comme l’agent de transformation de l’univers. Que l’homme soit tel, ce n’est pas en raison de sa nature, de sa forme substantielle. Une explication de ce genre ne serait pas cohérente avec les postulats du matérialisme et les lois de la dialectique. Ce serait voir, en effet, dans une cause formelle (et non dans la cause matérielle) le principe premier du devenir et du mouvement d’un être, poser en l’homme une essence immuable (objet de contemplation), antérieure à l’activité et aux opérations humaines. Pour Marx, comme pour Hegel d’ailleurs, aucune quiddité, aucune essence n’est par elle-même principe d’être : toute forme est le résultat d’une genèse, d’une évolution, et « rien n’existe que le processus ininterrompu du devenir et du transitoire )).' L’homme, avant d’être producteur, est lui-même le produit d’une activité : celle de la matière. Tout le développement humain, selon Marx, consistera à renverser les termes, à dégager l’homme de sa dépendance vis-à-vis de la matière, pour que celle-ci lui devienne parfaitement soumise. L’homme primitif, au dire des marxistes, est un patient par rap­ port à l’action de la nature. Mais ce patient reçoit si bien l’action des forces matérielles qu’il devient comme un recueil des activités de la nature, lesquelles se réunissent, s’universalisent et se parachèvent en lui. Il est doué d’une puissance de réaction telle qu’il transforme ces forces inscrites en lui et passe progressivement à l’état de pro­ ducteur, mettant dès lors sur la nature sa propre marque, une marque qui est plus de lui-même que de ce qu’il a reçu. C’est ainsi que se forme, que naît l’homme, comme agent de transformation. Ce n’est plus l’homme primitif, subissant l’action de la nature, c’est l’homme agent, qui transforme le monde et se découvre comme agent au milieu de ce monde. « En agissant sur la nature qui est hors de lui et en la transformant, il transforme aussi sa propre nature. Il développe les puissances endormies en lui et il soumet le jeu de leurs forces à sa propre autorité. » 2 Alors que, pour le matérialisme de Feuerbach, l’homme n’est qu’un être existant en face d’un « monde donné de toute éternité et sans cesse semblable à lui-même )> ,3 l’homme auquel le matérialisme pratique prétend donner naissance est un être qui n’existe, comme Il fallait détrôner tous les dieux, détruire tous les fétichismes, afin de faire — encore selon la parole de Marx lui-même — « de l’homme pour l’homme l’être suprême. » Ignace L e p p , Itinéraire de Karl Marx à Jésus-Christ, t.I, Paris, Aubier, 1955, p. 184. 1. Friedrich E n g e l s , Ludmg Feuerbach et la fin de la philosophie classique allemande, Paris, Éditions sociales, 1946. pp.7-8. 2. Karl M a r x , Morceaux choisis, N. R. F., Paris, Gallimard, 1934, p.103. 3. Karl M a r x et Friedrich E n g e l s , L ’idéologie allemande, trad. Renée Cartelle, Paris, Éditions sociales, 1962, p.45. M ATÉRIALISM E D IALECTIQ U E ET HUMANISME 4 5 homme, que dans la mesure où il agit sur la nature, lutte avec elle, la transforme et prend conscience de plus en plus que « cette activité, ce travail, cette création matérielle incessante . . ., cette production, en un mot, est la base de tout le monde sensible tel qu’il existe de nos jours »-1 Par rapport à cet homme, réalisant qu’il est l’agent transformateur de l’univers et de lui-même, nous n’avons eu jusqu’ici que la pré- humanité. « L’humain véritable n’existe encore que dans des vir­ tualités et des pressentiments > > .2 Il revient au matérialisme marxiste de révéler à l’homme ce qu’il est : une activité sensible, une force de production, et ce qu’est le monde : « la somme de l’activité vivante et physique des individus qui le composent )> .3 C’est au fur et à mesure qu’il se découvrira dans son action que grandira cet homme et, lorsqu’il comprendra de façon absolue qu’il est l’auteur et le maître de l’univers, sa formation sera parfaite, il parviendra à la pleine maturité. C’est précisément la tâche du communisme de réaliser cet épanouissement humain : « Ce communisme, étant un naturalisme achevé, coïncide avec l’humanisme )> .4 3. Le sort de la pensée dans l’histoire humaine. « On peut distinguer les hommes des animaux par la conscience, par la religion, par tout ce que l’on voudra. Eux-mêmes commencent à se distinguer des animaux dès qu’ils commencent à produire leurs moyens d’existence. » 5 Ces paroles de Marx nous livrent, une fois de plus, la formule matérialiste de l’être de l’homme. L’homme est fondamentalement un animal producteur, qui se définit par son activité économique. « La façon dont les individus manifestent leur vie reflète très exactement ce qu’ils sont. Ce qu’ils sont coïncide donc avec leur production, aussi bien avec ce qu’ils produisent qu’avec la façon dont ils le produisent )> ,6 déclare Marx, et, comme pour prévenir les objections « idéalistes », il affirme encore très explicite­ ment : « Le premier acte historique de ces individus, par quoi ils se distinguent des animaux, n’est point la pensée, c’est le fait qu’ils commencent à produire leurs moyens d’existence. » 7 Si, aux yeux de Marx, la production spécifie l’homme, c’est que celui-ci est un être de besoins. 1. Ibid., p .4 6 . 2. N. G u t e r m a n et H. L e f e b v b e , Préface aux uploads/Philosophie/ materialisme-dialectique-et-humanisme-saint-jean-elzear.pdf

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