LA PENSÉE POLITIQUE DE SCHELLING Franck Fischbach Presses Universitaires de Fra

LA PENSÉE POLITIQUE DE SCHELLING Franck Fischbach Presses Universitaires de France | « Les Études philosophiques » 2001/1 n° 56 | pages 31 à 48 ISSN 0014-2166 ISBN 9782130517221 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-les-etudes-philosophiques-2001-1-page-31.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses Universitaires de France. © Presses Universitaires de France. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Alors que Fichte déclare être redevable à la Révolution française des « premiers signes, des premiers pressentiments de [son] sys- tème » en tant que celui-ci devait s’affirmer comme le « premier système de la liberté »1 ; alors que Hegel de son côté affirmera, dans une lettre fameuse à Schelling, que sa « formation philosophique a commencé par les besoins les plus élémentaires de l’homme », ce qui impliquait d’étudier sa vie sociale, politique et religieuse comme un nécessaire préalable permettant l’élé- vation à la forme scientifique du système à partir de laquelle il faut, dit encore Hegel, « trouver un moyen de revenir à une action sur la vie de l’homme »2– alors donc que Fichte et Hegel reconnaissent que la politique a joué un rôle majeur dans leur formation philosophique, Schelling quant à lui semble avoir eu un accès direct et précoce aux plus purs problèmes méta- physiques, et cela dans la plus complète indifférence à l’égard de la politique. Cela ne laisse pas d’être surprenant quand on pense à ce que furent les années durant lesquelles il accomplissait sa formation. La conséquence de cette indifférence pour ainsi dire originelle à la politique est que Schelling est aussi le seul des trois grands idéalistes allemands à n’avoir écrit aucun ouvrage, ou plus exactement aucun ouvrage achevé, de philosophie politique ou de philosophie du droit. À l’époque où sa philosophie adopte encore la forme commune à tout l’idéalisme allemand, c’est-à-dire la forme de l’exposé systématique, Schelling fait certes un sort à la philosophie du droit et celle-ci trouve en effet sa place aussi bien dans le Système de l’idéalisme trans- cendantal que dans la philosophie dite de l’ « Identité ». Dans l’Idéalisme trans- cendantal, Schelling propose ainsi une philosophie du droit qui, dans la déduction du droit qu’elle effectue, s’inspire directement du Fondement du droit naturel de Fichte : mais en même temps, cette déduction du droit perd chez Schelling le caractère proprement architectonique qu’elle possédait dans le premier système fichtéen où le droit permettait l’articulation de la Les Études philosophiques, no 1/2001 1. Fichte, lettre à Baggessen, avril 1795, in Fichtes Briefwechsel, hrsg. von H. Schulz, Leipzig, 1925, p. 142. 2. Hegel, lettre à Schelling du 2 novembre 1800,in Hegel, Correspondance, trad. J. Carrère, Paris, Gallimard, 1962, p. 60. © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 25/07/2021 sur www.cairn.info (IP: 78.202.78.51) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 25/07/2021 sur www.cairn.info (IP: 78.202.78.51) liberté et de la nature 1 : à la différence de Fichte, c’est à la philosophie de l’art et non à celle du droit que Schelling reconnaît une telle fonction archi- tectonique dans l’économie du système. De même, à partir de 1800, le sys- tème de l’Identité saura également faire un sort à la théorie du droit et de l’État, mais à aucun moment Schelling n’a ressenti le besoin qui sera plus tard celui de Hegel, à savoir celui de présenter pour elle-même la philo- sophie du droit et de l’État, ce que Hegel fera en extrayant de la Philosophie de l’esprit de l’Encyclopédie les Principes de la philosophie du droit. Par ailleurs, si l’on peut dire que Fichte et Hegel doivent leur pérennité philosophique pour une large part à leur philosophie politique, le premier grâce au Fondement du droit naturel et plus encore aux Discours à la nation allemande, le second grâce aux Principes de la philosophie du droit ou aux pages de la Phénoménologie consa- crées à la relation de maîtrise et de servitude, Schelling quant à lui doit sans doute son relatif effacement dans l’histoire de la philosophie à l’absence dans son œuvre d’une pensée politique formellement exposée. C’est seulement récemment, notamment avec Jürgen Habermas et Man- fred Frank, qu’une réception plus politique de la pensée schellingienne a pu avoir lieu. On sait que Habermas a consacré à Schelling sa dissertation inau- gurale2 et l’on pourrait montrer que l’opposition, qu’il déploie dès ses pre- miers écrits, entre le travail et l’interaction3 trouve sa source bien plus dans le Système de l’idéalisme transcendantal de Schelling que dans les Premières philoso- phies de l’esprit de Hegel. La thèse de Habermas, restée inédite, a trouvé en 1963 son prolongement dans un article consacré au « Dialektischer Idea- lismus im Übergang zum Materialismus »4 : cet article, et à sa suite les tra- vaux de Manfred Frank5, tentent de montrer que la dernière philosophie de Schelling témoigne d’un épuisement de l’idéalisme qui rendrait compréhen- sible le passage au matérialisme historique de Marx. Faute donc d’avoir eu lui-même une véritable pensée politique, Schelling aurait ainsi néanmoins joué un rôle dans l’histoire de la pensée politique : entre Hegel et Marx, il serait le maillon manquant. Même s’il est significatif que ni Habermas ni Manfred Frank ne peuvent montrer la moindre référence positive de Marx à 32 Franck Fischbach 1. Cf. Alain Renault, Le système du droit. Philosophie et droit dans la pensée de Fichte, Paris, PUF, 1986. Qu’on nous permette aussi de renvoyer à notre étude Fondement du droit naturel. Fichte, Paris, Ellipses, 1999. 2. J. Habermas, Das Absolute und die Geschichte. Von der Zwiespältigkeit in Schellings Denken, Inaugural Dissertation, Bonn, 1954. 3. Cf. J. Habermas, « Arbeit und Interaction. Bermerkungen zu Hegels Jenenser Philo- sophie des Geistes » (1967), in Technik und Wissenschaft als Ideologie, Frankfurt a. M., Suhrkamp, 1968. 4. J. Habermas, « Dialektischer Idealismus im Übergang zum Materialismus. Ges- chichtsphilosophische Folgerungen aus Schellings Idee einer Contraktion Gottes », in Theorie und Parxis. Sozialphilosophische Studien, 1963, Frankfurt a. M., Suhrkamp, 1978. Cette étude de Habermas a fait l’objet d’un commentaire critique précis de la part de Marc Maesschalck, L’anthropologie politique et religieuse de Schelling, Louvain/Paris, Peeters/Vrin, 1991, chap. 6, p. 92-114. 5. M. Frank, Der unendliche Mangel an Sein. Schellings Hegelkritik und die Anfänge der Marxschen Dialektik, 2. Aufl., München, Wilhelm Fink Verlag, 1992. © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 25/07/2021 sur www.cairn.info (IP: 78.202.78.51) © Presses Universitaires de France | Téléchargé le 25/07/2021 sur www.cairn.info (IP: 78.202.78.51) Schelling, nous n’entreprendrons pas pour autant ici de discuter le rôle his- torique que ces deux auteurs attribuent à Schelling. En revanche, nous cher- cherons à vérifier ce que Habermas admet plus qu’il ne le démontre, à savoir l’absence chez Schelling non pas de toute pensée politique, mais du moins d’une pensée politique cohérente – une absence supposée qui fait dire à Habermas que « Schelling ist kein politischer Denker »1. Mais avant de chercher à « sauver » Schelling en l’inscrivant même malgré lui dans la grande tradition qui va de Hegel à Marx, et avant de donner ainsi extérieurement à sa pensée un rôle politique supposé compenser l’absence en elle-même d’une doctrine politique cohérente, c’est cette absence même qu’il s’agira de vérifier en par- courant patiemment une œuvre dont il n’est pas indifférent de constater qu’elle se déploie pour l’essentiel entre 1793 et 18482. Le premier texte consacré par Schelling à la philosophie du droit est la Nouvelle déduction du droit naturel. Cet ouvrage, probablement rédigé en 1795, fut laissé inachevé par Schelling qui n’en publia que deux parties en 1796 et en 1797 dans le Philosophisches Journal de Niethammer. Le texte de Schelling parut donc la même année que la première partie duFondement du droit naturel de Fichte, et ces deux œuvres précédèrent de peu la Doctrine du droit de Kant. Le point de départ de Schelling dans la Nouvelle déduction de 1796 est le même que celui de Fichte en 1794 dans les Conférences sur la destination du savant : Schelling part du Moi fini et de son aspiration pratique à l’in- conditionné, c’est-à-dire au Moi pur ou absolu3. Dans cette aspiration au Moi absolu, le Moi fini rencontre une résistance qui le découvre à lui-même en tant que Moi fini : la résistance rencontrée ici n’est pas la résistance phy- sique que uploads/Philosophie/ schelling-fisch.pdf

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