1 PHILOSOPHIE ÉPREUVE COMMUNE : ÉCRIT François Calori, Marc Crépon, Frédéric Ke
1 PHILOSOPHIE ÉPREUVE COMMUNE : ÉCRIT François Calori, Marc Crépon, Frédéric Keck, Catherine Larrère, Quentin Meillassoux, Alain Petit, Philippe Sabot, Ivahn Smadja Coefficient : 3 ; Durée : 6 heures SUJET : « FAUT-IL AVOIR PEUR DE LA NATURE ? » I-Un rappel préliminaire Si les résultats de l’épreuve se maintiennent au niveau des années précédentes, il faut encore remarquer le nombre élevé de copies très mauvaises, voire indigentes, qui ne semblent pas du tout être du niveau d’une seconde année de classe préparatoire. Dans ces copies (304 copies – sur 1065- notées de 0 à 4) s’accumulent tous les défauts : orthographe et syntaxe très approximatives, manque criant de cohérence argumentative (les paragraphes se succèdent sans vraiment s’enchaîner), connaissances philosophiques manifestement de seconde voire de troisième main (Heidegger devient l’auteur d’un étonnant Etre étant, Hume affirme que “l’homme est un loup pour l’homme”, etc.), aucune élaboration problématique du sujet. Comme certains de ces défauts se retrouvent dans des copies moyennes, qui s’en trouvent par là affaiblies, alors même qu’elles témoignaient d’un effort certain de problématisation, il nous paraît bon de commencer par un certain nombre de remarques qui touchent aux exigences générales de la dissertation (problématisation, conceptualisation, argumentation) et à ses règles, trop souvent méconnues par les candidats. 1 — Trop de copies ne savent pas construire une introduction. On ne rappellera jamais assez que a) celle-ci doit comporter impérativement un premier examen des termes du sujet et de la question qu’ils forment, b) cet examen ne consiste pas en une simple reformulation de la question en d’autres termes, mais doit tenter de la justifier —c’est-à-dire d’en analyser les enjeux philosophiques, c) cela conduit à la formulation d’un problème que le devoir se propose d’examiner de façon ordonnée, selon un plan qui doit être clairement indiqué. 2 — Les références philosophiques mobilisées par les candidats restent souvent beaucoup trop allusives et approximatives. Il ne suffit pas d’aligner des noms propres ou des citations pour faire montre de connaissances philosophiques. L’ usage des auteurs se réduit le plus souvent à la mention d’un titre de livre et d’une seule idée, à peine développée: l’homme “comme maître et possesseur de la nature”, l’état de nature du Léviathan, gouverné par la peur de la nature humaine, l’homme pascalien perdu entre deux infinis, le bon sauvage du Supplément au voyage de Bougainville, etc. Très généralement, les philosophes sont réduits à une sorte d’image d’Epinal théorique, sans que leurs conceptions soient un tant soit peu développées. Par ailleurs, les références se concentrent systématiquement autour de quelques auteurs privilégiés (toujours les mêmes) : Platon, Hobbes, Descartes, Rousseau et Kant, la philosophie des XIXème et de XXème siècles restant assez largement négligée. L’épreuve de philosophie ne semble toujours pas être considérée par de nombreux candidats comme une épreuve où les connaissances sont requises, autant qu’en histoire, pour réussir une dissertation. Un candidat, manifestement en peine de trouver des références philosophiques, n’analyse longuement qu’Astérix et le devin... 2 3 — La très grande majorité des copies se distingue par l’absence complète de connaissances empiriques. Etant donné le sujet de cette année, qui demandait un certain nombre de références précises (de quoi a-t-on peur quand on a peur de la nature ?), les copies capables de traiter, de façon précise et rigoureuse, d’exemples empruntés aux sciences de la nature ou à l’histoire des techniques ont été très peu nombreuses. Les exemples d’actualité sont récurrents et extrêmement schématiques : le tsunami fait l’objet de descriptions qui reprennent de façon trop visible le langage des médias, alors que – allez savoir pourquoi ? - la grippe aviaire et ses menaces n’ont été que très rarement mentionnées. 4 — Les propos sont trop souvent décousus: on passe d’un lieu commun à un autre, sans développer aucune idée- a fortiori sans les développer suffisamment pour en faire saillir les difficultés propres et légitimer éventuellement la progression de la discussion vers une nouvelle thèse capable de les surmonter. On raconte plus qu’on n’argumente (le sauvage avait peur, puis l’homme moderne accéda au savoir scientifique, puis la pollution, etc.). Le “et puis” gouverne la logique de la dissertation plus que le “donc” ou le “mais”- même lorsque le candidat fait un usage extérieur de ces conjonctions. 5 — Les fautes d’orthographe, les fautes de syntaxe abondent, y compris dans des copies par ailleurs honnêtes. II- Les difficultés du sujet Beaucoup de candidats ont été décontenancés par l’énoncé d’une question qui leur a paru mal posée, voire, pour certains, carrément absurde. Loin d’introduire à une réflexion, leur lecture de l’énoncé tendait à la dire impossible ou mal engagée par la formulation du sujet. “Faut-il...?”: l’expression renvoie à une prescription: mais est-ce un impératif moral, un conseil de prudence, une obligation tenant de l’un et l’autre cas? Une telle interrogation sur la nature même de la question, ne fut que trop rarement tentée, le sujet étant placé d’emblée dans une perspective brutalement morale, qui paraissait d’autant plus absurde aux candidats qu’il était question d’avoir peur. Comment un sentiment, irrationnel et de surcroît négatif, pourrait-il être l’objet d’une obligation ? Beaucoup de candidats n’ont pas semblé voir qu’une réponse négative (il ne faut pas avoir peur) supprimait le paradoxe (puisqu’elle incitait à la maîtrise de soi). Ils ne se sont pas non plus avisés que, de fait, de telles incitations à avoir peur existent, et que cela pouvait mériter réflexion. Que la nature puisse être l’objet de la peur ainsi prescrite a renforcé le désarroi des candidats. Trop de copies, en effet, ont tenu pour allant de soi que seule une causalité intentionnelle fait peur et que, donc, on ne pouvait pas avoir peur de la nature, ou alors que, si on en avait peur, on ne pouvait que la méconnaître en lui prêtant des intentions inexistantes. Une analyse de la peur aurait pu permettre de lever les paradoxes de l’énoncé. Ce ne sont peut-être pas toutes les formes de peur qui peuvent faire l’objet d’une prescription. Mais le concept de peur n’a fait que très rarement l’objet d’analyses et de développements — comme ceux qui auraient permis de distinguer « peur », « angoisse », « frayeur » et « terreur ». La plupart des candidats, même quand ils opposent de manière fine la crainte et l’effroi en évoquant une gradation du sentiment de peur, ou quand ils cherchent à clarifier le statut psychologique de la peur - passion ou émotion - pour lui opposer l’angoisse comme “Stimmung”, ne parviennent pas à faire servir clairement ces analyses à la compréhension du sujet dans sa formulation impérative (pourquoi faudrait-il avoir peur de la nature ? ). 3 Sans doute le terme de « nature » a-t-il fait l’objet de plus d’analyses, mais celles-ci sont restées souvent formelles ou inabouties. Très peu de candidats se sont aperçu que la nature en jeu dans l’intitulé- moins que la matière, plus que le vivant- était tout sauf une notion évidente, tout sauf un donné immédiat... Ils ont juxtaposé et souvent confondu différentes acceptions de la notion de nature, seulement décrite sous certains de ses aspects et aucunement problématisée : les phénomènes naturels, l’état de nature, la nature d’une chose, la nature humaine – quand ils n’identifiaient pas subrepticement la “nature” à une notion supposée équivalente : monde, vie, etc. Cela pouvait conduire à un élargissement inutile du sujet, quand la nature était identifiée au tout de l’Univers, et que des questions du type: faut-il avoir peur des étoiles, ou des protons?..., devenaient possibles. Certains candidats, à l’inverse, restreignaient excessivement le concept de nature, posant que la nature ne s’identifiait qu’au monde vivant et non humain (faune et flore terrestre). Mais dès lors, les “catastrophes naturelles” si volontiers citées- volcans, tremblements de terre, etc.- se trouvaient artificiellement exclues des objets possibles d’une peur de la nature. Peut-être découragés par la polysémie du terme, certains candidats se sont raccrochés à une des oppositions dans lesquelles le terme se présente, sans que celle-ci soit toujours pertinente pour l’examen du sujet : le dualisme massif nature/culture conduisait presque systématiquement à des contresens, que la notion de seconde nature aurait permis d’éviter ; mais celle-ci n’a été qu’esquissée et n’a pas donné lieu à suffisamment d’analyses. Les candidats ont, par ailleurs, admis comme allant de soi la dualité de la nature hors de nous et de la nature en nous, ce qui les a conduits à passer d’une interrogation sur la nature objective, phénoménale (que la science et la technique peuvent mettre à la main de l’homme, même si elle continue de réserver des surprises), à une réflexion sur une nature humaine dont l’inépuisable mystère ne devrait pas conduire à un effroi irrationnel (l’inconscient étant considéré comme l’expression à la fois de cet irrationnel en nous et de notre véritable, intime, profonde, essentielle “nature”). Privilégiant un des sens du mot, d’autres candidats transformaient la question en: faut-il avoir peur de la nature des choses? Faut-il avoir peur des essences? La confrontation entre “phusis” et “eidos” (qui pouvait amener à réfléchir sur le statut ontologique de uploads/Philosophie/ philosophie-epreuve-commune-ecrit.pdf
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- Publié le Sep 26, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
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