HAL Id: hal-00716844 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00716844 Submitted on

HAL Id: hal-00716844 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00716844 Submitted on 11 Jul 2012 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Théorie de l’habiter. Questionnements Mathis Stock To cite this version: Mathis Stock. Théorie de l’habiter. Questionnements. Paquot T., Lussault M. & Younès Ch. Habiter, le propre de l’humain., La Découverte, pp.103-125, 2007. ￿hal-00716844￿ 1 Théorie de l’habiter. Questionnements. Mathis Stock, Laboratoire Chôros, Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL) PRE-PRINT : merci de citer la version originale, telle qu’elle est parue aux éditions La Dé- couverte en octobre 2007. Introduction Comment mettre au point une connaissance scientifique des manières dont les êtres humains ha- bitent ? Cette question est plus difficile à traiter qu’elle n’en a l’air du premier coup d’oeil. Car, si nous disposons de multiples répo nses - modèle des lieux centraux de Christaller-Lösch, mo- dèle proxémique de Heidegger-Moles, modèle des trois modes spatiaux de Lefevbre, modèles chorématiques de Brunet, théorie des régimes spatiaux d’action de Werlen, théorie de la géo- symbolicité de Berque, pour n’en citer que quelques unes - les questio ns auxquelles répondent ces multiples descriptions et explications ne sont pas toujours circonscrites avec soin. D’où la nécessité de poser des questions sur les façons adéquates de penser l’habiter. Avec quels outils conceptuels pouvons-nous appréhender la question de l’espace habité, des styles d’habiter, des pratiques d’espace, des différentes façons de rendre habitable de l’espace, des conditions de pos- sibilité de l’habiter, des technologies d’espace, du rapport à l’environnement et au monde bio- physique ? Voici quelques unes des questions qui me semblent importantes à considérer en tant que problème cognitif. Elles pointent la diversité des questionnements possibles sur l’habiter qui ne réduit pas la question au lien humanité/Terre, la demeure ou la proximité. Ceci prend place dans un contexte contemporain radicalement différent, caractérisé, entre autres, par une mobilité spatiale accrue, une autonomisation accrue de l’individu et la mise en place de sty- les de vie relativement plus différenciés les uns par rapport aux autres ainsi que par l’émergence de qualités nouvelles d’espace. Face à ce champ phénoménal réputé comme étant difficile, fort de contradictions et confus, comment formuler une théorie relativement cohérente de l’habiter qui permette de développer des modèles adéquats par rapport aux processus contemporains? J’oserais la thèse selon laquelle la question de l’habiter – qui devient de plus en plus à la mode, ce qui est posi- tif, car l’expression même, cette forme substantive d’un verbe, donne un caractère plus actif aux rapports à l’espace traditionnellement questionnés -, repose sur des postulats et implicites philoso- phiques, sociologiques et géographiques peu satisfaisants. Un grand nombre de problèmes fonda- mentaux n’ont pas encore été réglés. Notamment, la définition de l’habiter est jusqu’ici celle de la façon dont les individus so nt dans l’espace. Heidegger formulait cela de la manière suivante : habi- ter comme « manière dont les mortels so nt sur la Terre ». Cette tradition qui informe fondamenta- lement la science géographique peut être retracée jusque chez Platon dont le Timaio s travaille, entre autres, la nécessaire localisation dans l’espace des êtres humains et des choses1. Je souhaiterais proposer un déplacement de cette problématique, avec pour ambition un autre fon- dement de la conceptualisation de l’habiter, fondée sur le problème de la pratique : « faire avec de l’espace » au lieu d’être dans l’espace » constitue cette perspective (Stock, 2004). Il ne s’agit pas là d’un questionnement isolé : on peut retracer le questionnement sur la pratique en lien avec de l’espace dans différentes traditions théoriques, qu’elles soient géographiques (Werlen, 1987 ; 1995 ; 1997 ; Lussault, 2000), sociologiques (Löw, 2001) ou philosophiques (Waldenfels, 1984). L’habiter étant un problème d’espace, le questionnement soulève fondamentalement le problème de la conception adéquate de l’espace : non pas comme étendue, contenant ou surface terrestre, mais 1 Cf. Casey (1993 ; 1997) qui en déduit qu’il est temps, en philosophie, de s’occuper du concept de lieu, après avoir investi le concept d’espace. 2 comme une condition et ressource de l’action, comme “médium” (Gosztony, 1976), voire comme “concept” aidant à l’orientation (Elias, 1997). Ces réflexions semblent essentielles pour penser l’habiter, car elles permettent d’une part de prendre un point de vue dans le nécessaire travail de mise à l’épreuve critique des approches existantes et, d’autre part, de contrôler l’élaboration de nouvelles approches de l’habiter. 1. Problèmes du “être dans l’espace” Classiquement, la question du “être dans l’espace” est avancée comme étant centrale pour une phi- losophie, sociologie, anthropologie ou géographie traitant des dimensions spatiales de l’existence ou de la vie quotidienne. La notion d’habiter n’est pas nécessairement attachée à cette problémati- que, car les notions d’espace vécu ou espace de vie, voire de territoire servent également à exprimer le rapport à l’espace. Ces formulations offrent un biais fondamental: elles se concentrent sur l’“être” et sur le “dans”, rendant la conception d’espace statique et pré-déterminée et empêche ainsi de saisir les multiples façons dont de l’espace est mobilisé dans des situations variées. Cependant, d’autres écueils semblent également difficiles à dépasser : habiter comme résider, habiter comme rapport de familiarité avec l’espace, voire habiter comme nexus humain/nature. On examine ici rapidement plusieurs propositions, sans prétention d’exhaustivité, afin d’asseoir cette idée2. 1.1. Habiter co mme être dans l’espace La première proposition à être examinée est celle de Martin Heidegger3. Pour Heidegger ([1952], 2004a), habiter signifie “ die Weise, wie die Sterblichen auf der Erde sind ” (2004a, 142), comme un “ Grundzug des menschlichen Daseins ” (2004b, 183), voire comme “ Bezug der Menschen zu Orten und durch Orte zu Räumen ” (2004a, 152)4. « Menschsein heisst : auf der Erde sein als Sterblicher, das heisst : wo hnen » ([1952], 2004b, p. 141). Cet être-sur-la-Terre, cet habiter, y prend trois expressions : 1) habiter au sens d’avoir des habitudes dans le quotidien, 2) bâtir qui signifie une autre modalité d’être en rapport avec la Terre : “ enclore ”, “ soigner ”, “ cultiver ”, 3) c’est cet habiter qui, à travers le bâtir, mène à la création de lieu (Ort) et d’espace (Raum) sur une Terre pourvue d’emplacements (Stelle)5. Heidegger fait dans ce texte une avancée majeure6: habiter n’est 2 La démonstration de cette thèse demanderait à être plus approfondie, et confronter non seulement quelques philoso- phes du 20ème siècle, mais de reconstituer, dans l’histoire de la philosophie (mais aussi, depuis le 19ème siècle, la so- ciologie, l’histoire, l’anthropologie et la géographie), les façons de conceptualiser cet “être dans l’espace”. Cela irait trop loin ici, mais sera tenté ultérieurement. 3 Travailler sur Heidegger continue à poser problème en raison de l’engagement de celui-ci avec le national-socialisme. Cela ne nous empêche pas d’examiner avec soin les propositions, voire de traduire des éléments de sa métaphysique en propositions scientifiques lorsque cela paraît pertinent. Cependant, il convient d’être circonspect en raison de la rhétori- que empreinte des notions de “lutte” - le Dasein comme “Kampf” - et des reconstructions étymologiques douteuses (cf. Ulrich, 2003). Car, à quoi sert l’étymologie si on se laisse enfermer dans les significations anciennes des mots, sans traduction dans un langage scientifique en adéquation avec le champ problématique ? 4 “ la manière dont les mortels sont sur la Terre ” (2004a, 142), comme un “ trait fondamental de l’être-là humain ” (2004b, 183), voire comme “ rapport des hommes aux lieux et par les lieux aux espaces ” (2004a, 152) ; « Être humain signifie : être sur la Terre en tant que mortel, c’est-à-dire : habiter » (trad. M.S.). 5 Je propose donc ici une autre traduction/conceptualisation des deux termes platoniciens-heideggeriens chôra/Ort et to po s/Stelle que celle d’Augustin Berque (2005) et dans ce livre (p.xxx): au lieu d’utiliser les termes français “milieu existentiel” et “lieu”, je propose “lieu” comme traduction de chôra et “endroit” ou “emplacement” comme traduction de to po s. 6 Cf. Hoyaux (2000; 2001; 2002) dont les travaux visent à développer une théorie de l’habiter au fondement herméneu- tico-existentialiste. 3 pas une activité, à l’instar d’aller au travail ou d’aller chercher les enfants à l’école, mais un concept qui englobe l’ensemble des activités humaines. C’est un “trait fondamental de l’être”7. Cette Daseinsanalyse d’ordre spatial a été prolongée par de multiples auteurs, en philosophie et ail- leurs8. Pour Bollnow (1963, p. 276) habiter est « authentique » : « Wo hnen […] als die echte, dem Menschen angemessene Befindlichkeit im Raum »9. Il développe les notions d’espace vécu – em- prunté à Merleau-Ponty – pour travailler ce rapport entre humains et espace : « Verhältnis, das zwis- chen dem Menschen und seinem Raum besteht, und darin um die Struktur des menschlichen Dasein selber, so uploads/Philosophie/ stock-habiter-preprint 3 .pdf

  • 19
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager