1 SYLLABUS CM LECTURE PHILOSOPHIQUE ECUE LEC5509.1 M 2 R 2019-2020 FATIMA DOUMB

1 SYLLABUS CM LECTURE PHILOSOPHIQUE ECUE LEC5509.1 M 2 R 2019-2020 FATIMA DOUMBIA 2 Le cours « Lecture philosophique » vise à fournir des matériaux afin de lire de manière philosophique un texte non philosophique. Après avoir, en 1ère année, étudié la méthodologie de lecture des textes philosophiques, et rappelé qu’un étudiant en philosophie ne devait pas se limiter à la lecture unique des textes dits de philosophie, nous verrons cette année, comment lire ces autres textes et l’apport de ces lectures dans un cursus philosophique. Ce que nous dit la thématique de lecture philosophique c’est qu’il y a une manière philosophique de lire. Cela nous plonge immédiatement dans l’idée que ce dont il s’agit est une manière de lire avec les yeux de la philosophie ce qui ne serait pas à proprement parler de la philosophie. Comment dire cela sans s’interroger sur ce qui est de la philosophie, à savoir ce dont la nature constitue de la matière philosophique ou ce dont l’espace renvoie à celui de la philosophie. Cela reviendrait donc à délimiter, circonscrire un espace de la philosophie. Or, qui dit délimitation dit limite, frontière, autrement dit inclut tout en excluant. Il sera de ce fait d’abord nécessaire de nous interroger sur la nature même de la philosophie mais aussi ses prétentions afin de tenter de comprendre ce qu’elle exclut de sa nature. Si nous nous accordons avec Hegel et Marx pour dire que la philosophie pense le réel, alors les différentes philosophies doivent être comprises comme des lectures différentes du réel, tout dépendant de l’angle d’analyse, autrement dit de la problématique. Cela reviendrait donc à dire que tout dans le réel peut être problématisé et lu de manière philosophique. Cette lecture au sens d’analyse peut aussi bien toucher le cinéma, la musique, des discours politiques, l’œuvre d’art ou de manière plus concrète ce qui se lit (toutes les œuvres, qu’elles soient littéraires, autrement dit de fiction, politiques, ou même religieuses). Le mythe d’Adam et Eve interroge la responsabilité et la liberté humaine et Kant en donnera une lecture singulière. Les Fleurs du mal de Baudelaire sont, selon la lecture de Walter Benjamin, une critique de « l’expérience catastrophique de la ville » en tant que ce qui tue en l’homme la sensibilité. Il est difficile d’écouter les chansons de blues des années 60 sans s’interroger sur la problématique noire. S’ouvre ici une perspective de questionner la thématique de la couleur et de l’identité telle que posée par un Richard Wright avec son Black boy ou Ralph Ellison lorsque la noirceur glisse à l’invisibilité. Nous commencerons, avant d’en venir à la lecture de ce roman, par délimiter les champs de la philosophie et de la littérature afin de comprendre les rapports qu’elles entretiennent. Cela nous amènera à un retour à Platon qui a imposé le logos philosophique comme ce qui permet d’atteindre la vérité, et, ce faisant, a condamné tous les autres discours (à l’exception des mathématiques) comme fallacieux car relevant de la doxa. C’est principalement la raison pour 3 laquelle Platon bannira de sa cité idéale les poètes car, non seulement ils tiennent un discours sur les apparences des choses (en reproduisant les apparences du monde sensible, ils sont des imitateurs d’imitations) mais en plus, ils reconnaissent et acceptent que leurs discours soient des créations fictives, des techniques de création provenant de l’imagination. Le rejet de la poésie et par-là de l’art littéraire dans son ensemble a pour conséquence une compartimentation des savoirs et une hiérarchie des ordres de discours. Aristote, dans la lignée de Platon, perpétuera cette démarcation en distinguant trois niveaux hiérarchiques de l’activité humaine, celui de la théorie avec la pensée, de la praxis avec l’action et enfin de la poesis avec le produire ou le reproduire. Le philosophe obtient ici, encore, une place privilégiée puisque désormais, il sera le seul à contempler le vrai, le juste, le bien et le beau. Jusqu’à la modernité cartésienne, la pensée philosophique restera supérieure à la pensée artistique. Mais, lorsque la philosophie devient incapable de comprendre l’existence et demeure dans des systèmes trop rigides, pour en percevoir la complexité, un vide s’installe. Et la responsabilité de ce discrédit de la philosophie et de cette perte de la pensée est, selon Milan Kundera (écrivain tchèque, naturalisé français né en 1929), à imputer aux philosophes eux- mêmes. Car, précise-t-il, la pensée qui simplifie ne suit plus le rythme complexe de l’existence, avec ses paradoxes, ses contradictions. Voilà la raison pour laquelle Nietzsche est à ses yeux, l’un de ceux qui questionne l’existence sans l’enfermer dans un système clos qui au final ne saurait la comprendre ni même la dire, et d’où elle serait absente. Ce qui rend possible la lecture philosophique de textes littéraires vient du fait qu’il y aurait dans la littérature non seulement une dimension que la philosophie peut comprendre et interroger à partir de ses concepts, mais cela va même au-delà car ce que révèle cette possibilité offerte de lecture est que la littérature contient une dimension qui interroge le philosophe et l’amène à faire avancer sa pratique. Cela signifie que dans cette lecture philosophique, il ne s’agit pas seulement d’apporter un plus à la littérature, mais aussi de se laisser imprégner par cette dimension autre. Nous montrerons avec Philippe Sabot que l’on peut lire les textes selon 3 schèmes : didactique, herméneutique ou productif. La deuxième partie de ce cours sera une lecture philosophique d’Homme invisible pour qui chantes-tu ? de Ralph Waldo Ellison, écrivain noir américain, né en 1914 à Oklahoma City et mort en 1994 à New-York. L’ouvrage publié en 1952 chez Random house est reconnu comme l’un des plus grands textes de fiction d’après-guerre. Il remporte le National Book Award (l’une des plus prestigieuses distinctions littéraire aux Etats-Unis) en 1953 et est considéré par le 4 Magazine Time en 2010, comme l’un des 100 meilleurs romans de langue anglaise depuis 1923. Il y est même classé 19ème. Seul roman écrit et publié par lui de son vivant, ce roman suffit à faire de lui l’un des premiers et meilleurs écrivains noirs américains. Ellison a du roman et du romancier une haute idée et lui attribue un rôle d’élévation et de révélation. Il faut comprendre que le roman paraît dans une période bouillonnante où les peuples d’Afrique commencent à lutter pour leurs indépendances. Aux Etats-Unis, Harlem est pris d’une grande agitation politique lors de la seconde guerre. La protestation contre le racisme et la misère aboutit à la grande émeute de 1943. Même si à cette date le mouvement Back to Africa de Marcus Garvey s’était effondré depuis un moment, l’idée de se battre pour la dignité était restée dans les consciences. Les dirigeants de l’Université réservée aux noirs que fréquente l’auteur prônaient l’idée que les Noirs devaient s’accommoder des lois de discrimination et de ségrégation et chercher leur avancement individuel au sein de cette société, en acceptant et s’adaptant aux lois en vigueur. C’est ce conservatisme et ce cynisme que dénonce avec force et talent Ellison en critiquant l’attitude des intellectuels-notables noirs, enfermés et préoccupés par leur propre confort au sein d’une société injuste. Comme un fin analyste de la situation de son pays, le livre préfigure ce qui se passera 3 ans après lorsque Rosa Parks brave l’interdit en s’asseyant dans un bus sur un siège réservé aux blancs, évènement qui sera le début d’un vaste mouvement de lutte pour les droits civiques dans les années 60 et 70. Ce roman est l’histoire d’un jeune noir américain, pauvre mais plein de volonté qui lutte dans un monde qui lui est hostile, un monde-piège afin de s’en sortir. Mais luttant contre la société, la lutte traduit déjà un déséquilibre. Le héros anonyme qui dit « je » n’a pas de nom. La question de l’identité qui est centrale dans ce livre renvoie aussi à une identité non plus individuelle mais collective. Nous ferons une lecture herméneutique du prologue du roman ; lecture soutenue par le concept d’invisibilité sociale et de non-reconnaissance de l’homme noir. Cette expérience de mépris social peut être une illustration de ce que vit le groupe dominé, situation ressentie comme une atteinte à la dignité, ou encore ce que Axel Honneth appelle la « conscience de tort » ou « conscience d’injustice. Chez Ellison, l’homme invisible est celui-là même à qui est refusé intentionnellement, la reconnaissance de sa capacité à s’autodéterminer, donc la liberté et qui 5 finit par l’accepter. Cette acceptation de sa situation n’est-elle pas comparable à l’acceptation de l’esclave de Hegel dans la crainte de sa mort ? Si l’un, le Blanc, refuse de voir le Noir ou peut regarder à travers lui, ici, le Noir, accepte de ne pas être vu : « et à contrecœur j’ai accepté le fait », nous dit-il. Lorsqu’il est déterminé par le regard des autres, le protagoniste ne s’est pas encore éveillé à la conscience de soi. Pire, il participe lui-même au phénomène d’invisibilisation. Cet homme invisible est un homme que l’on voit sans voir, mais il est uploads/Philosophie/ syllabus-lecture-philosophique-m2r-2019-2020.pdf

  • 11
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager