Revue Internationale de Philosophie NIETZSCHE ET L'ÉPISTÉMOLOGIE RÉFLÉCHISSANTE
Revue Internationale de Philosophie NIETZSCHE ET L'ÉPISTÉMOLOGIE RÉFLÉCHISSANTE Author(s): Angèle KREMER-MARIETTI Source: Revue Internationale de Philosophie, Vol. 54, No. 211 (1), NIETZSCHE (MARS 2000), pp. 163-182 Published by: Revue Internationale de Philosophie Stable URL: http://www.jstor.org/stable/23955972 Accessed: 29-09-2016 03:25 UTC REFERENCES Linked references are available on JSTOR for this article: http://www.jstor.org/stable/23955972?seq=1&cid=pdf-reference#references_tab_contents You may need to log in to JSTOR to access the linked references. JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org. Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at http://about.jstor.org/terms Revue Internationale de Philosophie is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Revue Internationale de Philosophie This content downloaded from 128.151.10.35 on Thu, 29 Sep 2016 03:25:04 UTC All use subject to http://about.jstor.org/terms NIETZSCHE ET L'ÉPISTÉMOLOGIE RÉFLÉCHISSANTE Ο Angèle KREMER-MARIETTI Peut-être ! — Mais qui veut se soucier de ces sortes de dangereux «peut-être » ! On doit pour cela attendre la venue d'une nouvelle espèce de philosophes, qui ait des goûts autres et des penchants opposés aux précédents —philosophes du dangereux peut-être, dans toutes les acceptions du terme. Et très sérieusement : je vois monter cette nouvelle génération... Aboutissement radical de la critique kantienne, l'épistémologie de Nietzsche débouche sur la fiction (.Erdichtung) qui nous abuse. Le concept de Reflexion ou Überlegung renvoie chez Kant à la prise de conscience de la relation des représentations aux diverses sources de (1) Voir L'Homme et ses labyrinthes. Essai sur Friedrich Nietzsche, Paris Union Générale des Editions, 1972; La symbolicité, Paris, P.U.F., 1982; Nietzsche et la rhéto rique, Paris, P.U.F., 1992; et quelques-uns de mes articles: «Le 'terrain de l'art', une clé de lecture du texte nietzschéen», (in Nouvelles lectures de Nietzsche, Dominique Janicaud ed., Lausanne, L'Âge d'Homme, 1985, pp. 61-69), dans lequel j'ai montré que toute la philosophie de Nietzsche reposait sur le «terrain de l'art» (notons que mon tout premier ouvrage développait la «nouvelle perception esthétique» propre à Nietzsche); «Theory of Philosophy as a Science of the Symbolic», in Argumentation, 4: 363-373, 1990; «Self interpretation-in-existence and its légitimation», Analecta Husserliana, Vol. XXXIX, 233-238, A.T. Tymieniecka ed, Kluwer Academic Publishers, 1990; «Métaphore, Connaissance», in Mythologies de l'écriture et roman, Etudes romanesques, N° 3, Jean Bessière éd., Paris, Lettres Modernes, 1995 ; « Rhétorique et rythmique chez Nietzsche», in Rythmes et philosophie, P. Sauvanet et J.J. Wunenburger ed., Paris, Kimé, 1996; « Menschliches-Allzumenschliches : Nietzsches Positivismus ? », Nietzsche-Studien, Berlin, New York, Walter de Gruyter, 1997 ; mes réponses à un groupe d'éudiants : «Nietzsche, la vérité et la vie», in Dialectique, juin 1999, chez Gaël Olivier Fons, 69760 Limonest, pp. 27-36; «Nietzsche, The Critique of Modem Reason», in Nietzsche. Theories of Knowledge, and Critical Theory (Nietzsche and the Sciences I, pp. 87-102), B. Babich and R. Cohen Editors, Kluwer Academic Publishers, 1999. Revue Internationale de Philosophie 1/2000 - n° 211 - pp. 163-182. This content downloaded from 128.151.10.35 on Thu, 29 Sep 2016 03:25:04 UTC All use subject to http://about.jstor.org/terms 164 ANGÈLE KREMER-MARIETTI notre connaissance, relatives à l'entendement et à la sensibilité (2). N'ayant pas affaire aux objets eux-mêmes, la réflexion peut donner à voir une 'vérité' multiple ; aussi le perspectivisme nietzschéen dénon ce-t-il la nullité de toute question sur la vérité qui serait indépendante des évaluations ( Werthschätzungen) (3). Nietzsche tendit à édifier, à travers une suite d'observations intem pestives, une 'connaissance au second degré' sur la base d'une épisté mologie réfléchissante (selon le terme de Kant reflektierend, c'est-à dire non déterminante) se réalisant dans la découverte des divers processus de symbolisation et/ou de métaphorisation, concernant autant la formation des concepts que la saisie des actions et de certaines séries événementielles. Nietzsche a toujours cherché à com prendre une «histoire de la genèse de la pensée» (4), une histoire de la genèse du comportement avec la perception adéquate des événements — c'est-à-dire une histoire qui serait susceptible de déboucher sur une connaissance des conditions qui rendirent possible toute «vérité» (5). Telle qu'on peut la suivre au fil des textes, est à l'œuvre une épisté mologie réfléchissante: or, celle-ci procède d'une discipline généalo gique, par définition 'active' ; ce qui signifiait pour Nietzsche 'non réactive' : c'est-à-dire pleinement consciente des impératifs fermes qui présidèrent à la détermination des divers processus d'élaboration. Seulement ensuite les produits ainsi générés du soupçon pourraient s'appliquer avec succès aux différents domaines de la spéculation et de l'action, sinon finir dans l'impasse d'un nihilisme psychologique. C'est ce qui apparaît distinctement dans quelques pages consacrées au «nihilisme européen» (6): (2) Voir, dans la Critique de la raison pure, l'Amphibolie des concepts de réflexion. À propos du rapprochement avec Kant: Jean Granier, Le problème de la vérité dans la philosophie de Nietzsche, Paris, Éd. Du Seuil, 1966, pp. 36-43, 94, 467-470. (3) Cf. Par-delà le bien et le mal, 2 : « Il se pourrait même que ce qui fait la valeur de ces choses bonnes et vénérées consistât précisément dans la manière captieuse qu'elles ont d'être apparentées, nouées, enchevêtrées, peut-être même identiques de nature à ces choses pernicieuses et apparemment opposées. » (4) Humain, trop humain, I, §§. 17, 18. Cf. mon introduction «Le questionnement radical de Nietzsche» (Paris, Librairie Générale Française, Le Livre de Poche, Classiques de la Philosophie, 1995). (5) Humain, trop humain, I, §. 25, op. cit., p. 56. (6) Le nihilisme européen, ma traduction avec notes et introduction («Que signifie le nihilisme?»), Paris, Union Générale d'Édition, Coll. 10/18, 1976, p. 178. Cf. Friedrich Nietzsche, Fragments posthumes, Automne 1887 - Mars 1888 : Textes et variantes établis par G. Colli et M. Montinari. Traduits de l'allemand par Pierre Klossowski, Paris, This content downloaded from 128.151.10.35 on Thu, 29 Sep 2016 03:25:04 UTC All use subject to http://about.jstor.org/terms NIETZSCHE ET L'ÉPISTÉMOLOGIE RÉFLÉCHISSANTE 165 «Que s'est-il passé au juste? Le sentiment de l'absence de valeur a été atteint lorsqu'on a compris que le caractère global de l'existence ne devait être interprété ni avec le concept de 'finalité', ni avec le concept d"unité', ni avec le concept de 'vérité'. Par là on ne vise ni n'atteint rien; il manque l'unité s'engrenant dans la multiplicité de l'événement : le caractère de l'existence n'est pas d'être 'vrai' mais faux..on n'a de toute façon plus de raison de se persuader de l'exis tence d'un monde vrai... Bref, les catégories de 'finalité', d"unité', d"être' avec lesquelles nous avons établi une valeur au monde se détachent de nous — dès lors le monde paraît sans valeur... » Les trois concepts de finalité, unité et vérité, qui deviennent en fin de paragraphe finalité, unité et être, auraient pu convenir à un monde qui aurait impliqué l'idée d'un ordre cohérent, et dont la finalité aurait confirmé à la fois l'unité et la vérité ou l'être. Sans doute, aux origines de son histoire, l'homme a-t-il cru 'reconnaître' un tel ordre cosmolo gique, un tel monde nanti d'un être vrai, dont l'unité aurait eu une finalité évidente, un monde dans lequel l'humain aurait eu la convic tion d'avoir lui-même sa juste place. Les trois concepts de finalité, d'unité et de vérité ou d'être, auraient alors véritablement donné leur pleine valeur au monde et à l'homme dans le monde. Or, selon l'évidence négative qui s'est imposée à lui, Nietzsche nous dit qu'il n'en est pas ainsi. Nous devons nous demander comment une telle évidence a pu se produire en lui, ou par quelle démonstration Nietzsche a pu aboutir à une telle conclusion. Est-ce par la représenta tion du pur et simple abandon des mythes unificateurs, c'est-à-dire de ceux qui présentèrent un tel monde à l'homme des origines? Certes, à l'époque mythique, la 'vérité' du mythe n'était guère mise en doute et probablement l'idée même que le mythe pût être dit faux était-elle absente de toute conscience mythique. Avec les temps modernes, il en alla tout autrement, puisque nous leur devons le concept de 'vérité scientifique' sur la base des notions logiques contradictoires de 'vrai' et de 'faux', déjà mises à nu par Platon et par Aristote. Peut-être est ce le progrès dans la positivité du 'vrai' — avec l'opposition du 'faux' — qui, au lieu d'apaiser les consciences modernes au moyen de la certitude dégagée par Descartes, aurait eu l'effet contraire d'ouvrir des abysses d'incertitude, rendus conscients par Nietzsche? Gallimard, 1976, p. 243-244, Voir ma nouvelle traduction: Le nihilisme européen, avec notes et Introduction(«Le concept de nihilisme européen»), Paris, Kimé, 1997, p. 37. Cf. Nachlass Novemberl887 - März 1888, 11 (99), KWG, VIII, 2, p. 287-288. This content downloaded from 128.151.10.35 on Thu, 29 Sep 2016 03:25:04 UTC All use subject to http://about.jstor.org/terms 166 ANGÈLE KREMER-MARIETTI De la certitude cartésienne à l'incertitude nietzschéenne, le vrai et le faux en tant que valeurs s'imposent au point de faire que l'existence doive nécessairement comporter un 'caractère faux', car le monde jugé vrai, dans lequel les hommes uploads/Philosophie/ angele-kremer-marietti-nietzsche-et-l-x27-epistemologie-reflechissante-2000.pdf
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- Publié le Jan 24, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
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