A. Brenner 2020-2021 M1 –V22PH5 TEXTE 8 : Léon BRUNSCHVICG, « La notion moderne

A. Brenner 2020-2021 M1 –V22PH5 TEXTE 8 : Léon BRUNSCHVICG, « La notion moderne de l’intuition et la philosophie des mathématiques », dans Les textes fondateurs de l’épistémologie française, A. Brenner (éd.), Paris, Hermann, 2015, p.250-251. Éléments d’explication Léon Brunschvicg (1869-1944) est d’abord historien de la philosophie, spécialiste de l’âge classique. On rappellera son édition des Pensées de Pascal, qui fait toujours référence ; on mentionnera également son étude : Spinoza et ses contemporains1. Pourtant, il a également apporté sa contribution à la philosophie des sciences. Brunschvicg, tout comme Louis Couturat, Xavier Léon et Elie Halévy, est marqué par l’influence de son professeur de philosophie au Lycée Condorcet, Alphonse Darlu. Celui-ci rédige l’introduction programmatique du numéro de lancement de la Revue de métaphysique et de morale, qui promeut un rationalisme favorisant le rapprochement entre philosophie et science. Brunschvicg publie son ouvrage sur Spinoza en 1894, avant même son doctorat. Il voit là le point de départ de sa démarche. Constatant la corrélation entre la doctrine métaphysique et le progrès proprement scientifique, il examine le rôle que joue la géométrie cartésienne dans la formation du spinozisme. La thèse que présente Brunschvicg en 1897, La modalité du jugement, porte sur une question de logique générale. La thèse latine qui l’accompagne, La vertu métaphysique du syllogisme selon Aristote, renforce cette orientation. On peut situer l’auteur dans une lignée de penseurs — comprenant Liard, Lachelier, Milhaud et Goblot — qui manifestent l’attention portée à la logique en France à l’époque. La critique du logicisme et des courants philosophiques qui s’en inspire doit se comprendre non par manque d’intérêt, mais dans le contexte d’un débat vigoureux autour de la nature de la logique et de ses applications. Dans sa thèse, Brunschvicg reste discret sur ses prédécesseurs. Mais il est clair que sa méthode, son insistance sur la connexion entre science et 1 la 1ère édition est parue en 1894 sous le titre Spinoza. 2 philosophie, représentent une rupture par rapport à la pratique philosophique antérieure. Dans la préface à la seconde édition en 1934, Brunschvicg ne cachera plus son désaccord avec les initiateurs et les continuateurs de l’éclectisme : Cousin, Renouvier, Taine et Fouillée. En revanche, il se ralliera au mouvement qu’il qualifie de « monisme de la contingence » ; ce mouvement refuse d’opposer science et philosophie comme deux pôles exprimant la nécessité et la liberté. Après des postes d’enseignant dans des lycées en province et à Paris, Brunschvicg est nommé à la Sorbonne, d’abord comme maître de conférence en 1909, puis comme professeur d’histoire de la philosophie moderne en 1927. Ses cours sont le lieu de formation, pendant l’entre-deux-guerres, de plusieurs penseurs marquants du XXe siècle : Bachelard, Sartre, Aron, Levinas, etc. En août 1940, Brunschvicg demande sa retraite et rejoint la zone libre puis la clandestinité pour fuir les persécutions nazies. Il meurt en 1944 à Aix les Bains. Une quinzaine d’années après son doctorat, Brunschvicg fait paraître Les étapes de la philosophie mathématique2. Son auteur s’engage résolument sur le terrain de l’épistémologie. En abordant son sujet par le biais de la notion d’intuition, plutôt que celle de nombre ou de classe, Brunschvicg prétend de façon quelque peu surprenante se situer directement sur le terrain de la « philosophie scientifique ». C’est qu’ainsi il n’est pas tenu de trancher en faveur du platonisme ou de l’aristotélisme. Il peut suivre le mouvement même de la pensée mathématique. L’étude historique, menée sans jugement préalable, permettra d’évaluer la fécondité d’un programme philosophique. Brunschvicg prolonge son travail épistémologique en déplaçant son attention sur la physique. Son ouvrage, L’expérience humaine et la causalité physique (1922), met en œuvre une démarche analogue. La notion d’intuition a donné lieu à un débat au sein de la communauté mathématique à la fin du XIXe siècle. Brunschvicg donne un exemple d’analyse rationnelle relevant à la fois de la science et de la philosophie. Il répertorie les différents sens du mot intuition et retrace l’évolution de son usage. Étymologiquement, ce mot veut dire la saisie d’un objet par les yeux. L’intuition en vient à être associée à la découverte et à l’invention, par contraste avec la 2 Léon Brunschvicg, « La notion moderne de l’intuition et la philosophie des mathématiques » (1911). Repris dans Les étapes de la philosophie mathématique (1912), Livre VII, chap. 20. 3 démonstration logique ou l’exposition pédagogique. De là le sens retenu par les philosophes modernes : « une méthode appropriée à la spécificité de l’objet, apportant avec elle la preuve de son exactitude ». Brunschvicg replace les réflexions des mathématiciens dans le cadre du contexte intellectuel dont elles sont tributaires. La notion d’intuition est invoquée dans le débat qui opposait science et religion au début du XIXe siècle, en réaction contre le rationalisme des Lumières. Les sciences exactes subissent le contrecoup de l’avènement des sciences de l’homme. De nouveaux phénomènes sont soumis à une étude rigoureuse ; la sphère de la science s’élargit. C’est dans ce contexte qu’apparaît l’intuitionnisme philosophique. Dans la seconde partie, Brunschvicg montre comment l’intuition intervient dans les mathématiques elles-mêmes, de sa présence discrète au XVIIe siècle à l’ampleur qu’elle prend dans les mathématiques modernes. Il met en balance l’apport de ce courant intuitionniste et ses difficultés. Il ne s’y rallie pas. Sa position consiste à dépasser ce courant. Ce n’est qu’un moment, qu’une « étape » dans l’histoire de la pensée mathématique. Brunschvicg repère dans le développement des mathématiques un « tournant décisif » : l’écart se creuse entre mathématiques classiques et mathématiques modernes. On passe d’un modèle de savoir unitaire, la mathématique, à une diversité de champs d’étude, les mathématiques. Quelle leçon tirer de cette perspective historique sur l’intuition mathématique ? Tel est le propos de la troisième et dernière partie. Brunschvicg invoque les réflexions de Poincaré sur sa pratique scientifique. Il refuse une opposition stricte entre l’ordre démonstratif et l’ordre intuitif. Les deux ordres peuvent se combiner : l’intuition donne son sens, sa raison d’être à la démonstration. Brunschvicg distingue par là « le travail profond de l’intelligence ». Il refuse les dualismes convenus et se prononce en faveur d’un intellectualisme élargi. Revenons à la philosophie scientifique. L’expression figure au début de l’article (p. 219 dans l’édition citée). Nous voyons un contraste entre la philosophie des mathématiques et la philosophie mathématique ; la première représente une approche classique dont Brunschvicg veut s’éloigner. Le Roy dévoile l’enjeu, même si sa préoccupation première le porte vers les mathématiques pures, abstraction faite de leur histoire : 4 La philosophie « intervient […] non seulement comme philosophie des mathématiques, c’est-à-dire théorie de la connaissance mathématique, mais à la lettre comme philosophie mathématique, ou discipline mêlant dans une indissoluble unité les deux ordres de considérations »3 (La pensée mathématique pure, PUF, 1960, p. 8). Il vient de citer Brunschvicg quelques pages plus haut à propos de « l’affinité singulière entre mathématique et philosophie » (ibid., p. 3). 3 La pensée mathématique pure, Paris, PUF, p. 8. uploads/Philosophie/ texte-8-brunschvicg-e-le-ments-dexplication.pdf

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