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Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : erudit@umontreal.ca Article Pierre Lerat Meta : journal des traducteurs / Meta: Translators' Journal, vol. 47, n° 2, 2002, p. 155-162. Pour citer cet article, utiliser l'adresse suivante : http://id.erudit.org/iderudit/008005ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI http://www.erudit.org/apropos/utilisation.html Document téléchargé le 23 May 2011 08:28 « Vocabulaire juridique et schémas d’arguments juridiques » Vocabulaire juridique et schémas d’arguments juridiques pierre lerat Université Paris XIII, Paris, France RÉSUMÉ Les principales difficultés de la traduction juridique sont les dénominations, les cons- tructions et les compatibilités sémantiques. Une méthodologie issue de Zellig Harris offre un cadre approprié: les «schémas d’arguments» (expressions prédicatives et clas- ses d’objets), avec des applications aux constructions (le «figement ») et à la dérivation (la «condensation de schémas»). Le dictionnaire juridique français (Laboratoire de lin- guistique informatique, Paris 13, dir. G. Gross), avec des équivalents en anglais, utilise cette approche. ABSTRACT The main difficulties in legal translation are names, constructions and semantic compat- ibilities. A methodology inspired by Zellig Harris offers an appropriate framework: “sche- mata of arguments” (predicative expressions and classes of objects), with applications to constructions (“frozen phrases”) and to derivation (“condensation of schemata”). The French Legal Dictionary (Laboratoire de linguistique informatique, Paris 13, dir. G. Gross), with equivalents in English, uses this approach. MOTS-CLÉS/KEYWORDS schéma d’arguments, classe d’objets, dérivation, condensation, lexicographie juridique 1. Les difficultés de la traduction juridique L’importance des conditions culturelles préalables en la matière est assez connue pour que je n’y insiste pas. Elle fournit des arguments dignes de considération à la thèse (défendue par d’éminents traductologues) selon laquelle avec une bonne connais- sance de deux langues et une forte culture générale le reste sera donné par surcroît. L’intérêt de travailler à un outil d’aide à la traduction et à la rédaction spéciali- sées pour des agents économiques ordinaires (d’entreprises et d’administrations) et pour des personnes en formation est de devoir rendre explicites des faits de langue spécialisée. On s’aperçoit alors de l’absence d’évidence pour le «non-initié ». 1re difficulté: les dénominations Si l’on partage l’avis de Sager pour qui «un terme est une variété fonctionnelle du nom commun» (2000 : 53), la connaissance des termes est affaire d’expérience des choses et des concepts dénommés par des noms. Mais si l’on admet qu’abrogation est un terme puisque c’est un mot juridique «fonctionnel», on voit mal pourquoi abroger n’en serait pas un également (ainsi, d’ailleurs, qu’abrogatif et abrogatoire). Disons qu’abroger est un mot spécialisé, même si (voir Lerat 2001) les spécialistes du domaine auteurs de dictionnaires (V, Q1, par exemple) croient avoir assez fait en traitant du nom d’action sans prendre en compte le verbe. Linguistiquement, ce sont deux Meta, XLVII, 2, 2002 156 Meta, XLVII, 2, 2002 expressions prédicatives équivalentes (avec les mêmes arguments), deux dénomina- tions différentes d’un même concept. En outre, et surtout, les textes juridiques sont remplis de noms propres, d’expressions mixtes (comme Traité de Rome), d’abrévia- tions, de sigles plus ou moins ésotériques. Bref, l’encyclopédie mord sérieusement sur la langue spécialisée. 2e difficulté: l’inventaire des formes La question de la féminisation lexicale fait sauter aux yeux le déficit de féminins juridiques dans les textes. Ce qui est moins voyant mais tout aussi réel est la défectivité morphologique dans les conjugaisons. Ainsi, la forme usuelle du verbe juridique échoir est échu, qui fait à juste titre l’objet d’une entrée dans P et dans LS ; en cherchant bien, on peut encore attester échet (Code pénal) et échoient (S982), mais ce sont des survivances dont la rareté ne doit pas faire négliger échu (or les adjectifs, participiaux surtout, sont aussi des oubliés des dictionnaires de spécialistes). 3e difficulté: les constructions Il ne va pas de soi, pour un non francophone, que le sens de réputé est particulier dans la construction «être réputé + attribut», ou que l’on dit plutôt « être tenu de + infinitif» et «être tenu à + groupe nominal» etc. 4e difficulté: les compatibilités sémantiques Les inventaires de cooccurrences, collocations ou phraséologismes sont des tentatives empiriques pour rendre compte de tendances. Il est souvent possible d’aller jusqu’à des règles (locales) et des exceptions (explicites); ainsi, selon V, abrogation se dit seulement d’un texte législatif, mais il peut aussi s’agir de la suppression d’un règle- ment selon Q1, et dans S359a il est question de l’abrogation d’un contrat-type de travail, ce qui invite à considérer que l’enjeu est plus largement un texte normatif. C’est le souci de formaliser les limites de telles régularités qui plaide tout particuliè- rement en faveur du modèle d’analyse qui va être présenté ci-dessous. 5e difficulté: les reformulations «Le consentement se présume» (S176), «le consentement est présumé » (le passif est utilisé dans le texte allemand : wird vermutet), « on présume le consentement » (moins «naturel» ?). La sécurité linguistique du rédacteur et du traducteur, en pareil cas, passe nécessairement par des références textuelles. Ce scrupule philologique était l’une des particularités de LS. Il est encore accru dans le fichier qui va être présenté plus loin, comme le montre la prédominance des abréviations de textes validés par des autorités politiques nationales et européennes. 2. Apports de la linguistique générale La conception du fichier réalisé dans le cadre du Laboratoire de linguistique infor- matique de Paris 13 – Villetaneuse doit beaucoup à une approche générale des types d’emplois des unités lexicales. Cette méthodologie a fait l’objet de diverses présenta- tions, notamment dans le no 131 de la revue Langages (1998) et dans le no 46-1 de Meta (2001), et sa partie descriptive la plus connue est l’élaboration de «classes d’objets» sémantico-syntaxiques. Je la résume à grands traits et je propose une contribution inspirée de cette théorie, pour rendre compte des dérivés spécialisés. 2.1. Les schémas d’arguments Entre le niveau très particulier du mot et le niveau très général de la phrase, un niveau d’analyse particulièrement fécond est celui de la phrase simple réduite à un schéma propositionnel dont le cœur est une expression prédicative autour de laquelle se distribuent des arguments (sujet et objets). On peut reconnaître ici le schéma de Z. Harris («opérateur et arguments ») issu d’une tradition de logique mathématique qui remonte à Frege (voir Le Pesant et Mathieu-Colas 1998). Ce petit brin d’épisté- mologie n’est là que pour situer une filiation (qui en France passe par Maurice Gross, informaticien et linguiste) et inciter les juristes et traducteurs qui ont fait l’effort de s’habituer à un (autre) schéma de phrase élémentaire, «SN + SV», à la suite de la «linguistique cartésienne» (Chomsky compris), à le remplacer dans leur esprit par un schéma «V (N°, N1)». Ce changement d’approche sera justifié si les résultats sont convaincants — et eux seuls comptent en l’occurrence. 2.2. Les expressions prédicatives Contrairement au logicien, le linguiste s’intéresse moins aux prédicats (concepts en tant qu’unités de pensée) qu’aux expressions prédicatives (formulations dans telle langue). Une expression prédicative (verbale, nominale ou adjectivale) se reconnaît à ce qu’elle a besoin d’objets pour être syntaxiquement complète, de même qu’un pré- dicat logique a besoin d’être «saturé » par des arguments. Ex.: Ils louent un pavillon, mais aussi Ils sont en location dans un pavillon et également Ils sont locataires d’un pavillon. Les verbes prédicatifs ont une ou plusieurs constructions canoniques, qui se réalise(nt) totalement ou partiellement dans le discours. Ex. 1: Ils louent un pavillon à un commerçant pour un loyer de tant / Ils louent à un commer- çant (construction acceptant l’économie du complément d’objet direct). Ex. 2: Ils ont enfin contracté (construction intransitive complète) / Ils ont contracté un engagement / une dette / une obligation (construction transitive directe n’autorisant pas d’ellipse). Les noms prédicatifs ont besoin de verbes particuliers pour être construits. Ce sont des verbes « supports ». Ex: prendre effet, donner congé, faire grève. Les adjectifs prédicatifs (en gros, les «qualificatifs» par opposition aux « adjec- tifs de relation») ont besoin d’un verbe copule (être) pour être au cœur d’une phrase simple. Ils ont un argument (comme non avenu) ou deux (comme responsable de). 2.3. Les classes d’objets Les systèmes de traduction automatique utilisent des filtres sémantico-syntaxiques tels que les traits généraux ACTION, ÉTAT, ÉVÉNEMENT, HUMAIN, CONCRET vocabulaire juridique et schémas d’arguments juridiques 157 158 Meta, XLVII, 2, 2002 etc. qui suffisent quelquefois à caractériser un mot ou un usage d’un mot polysémique. Le vocabulaire juridique se prête comme les autres à de tels repères: résiliation est un nom d’action, usufruit un nom d’état, catastrophe naturelle un nom d’événement. Il est clair toutefois qu’ABSTRAIT, par exemple, est valable à propos de presque tous les mots juridiques. uploads/Philosophie/ vocabulaire-juridique-dans-la-traduction.pdf

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