LA THÉOLOGIE DU CORPS DE JEAN-PAUL II YVES SEMEN Le 5 février 2005, Yves Semen
LA THÉOLOGIE DU CORPS DE JEAN-PAUL II YVES SEMEN Le 5 février 2005, Yves Semen donnait un enseignement aux jeunes participant à la soirée « l’amour vrai attend » organisée à Vétroz (VS). Yves Semen est docteur en Philo- sophie de l’Université de Paris-Sorbonne, directeur de l’Ins- titut européen d’études anthropologiques Philanthropos à Fribourg (Suisse), et professeur à la Faculté Libre de Philo- sophie (IPC-Paris). Il est également l’auteur de « La sexualité selon Jean-Paul II », Ed. Presses de la Renaissance, 2004. La bonne nouvelle de l’Eglise sur le corps et la sexualité Le thème qui vous rassemble aujourd’hui est le signe que, en tant que chrétiens, vous avez le sentiment d’être appelés à quelque chose de grand et de beau à travers le fait que vous êtes homme et femme, c’est-à-dire à travers votre sexualité. Vous avez raison ! Et vous prouvez un certain courage… Car toute la culture média- tique actuelle porte à penser que l’éthique chrétienne s’oppose à l’épanouissement de la sexualité. Parmi tant d’autres, je vous cite Gilbert Tordjman dans un livre à grand succès : « Le christianisme, qui ne tolère la sexualité que comme un pis aller nécessaire à la reproduction, circonscrit le corps méprisé dans un halo de honte et de culpabilité » (in Réalités et problèmes de la vie sexuelle, Ed. Hachette 1981). C’est tout dire… Là contre, le Cardinal Lustiger s’est élevé avec force et je vous rapporte ses paroles dans une interview donnée à un grand hebdo- madaire : « Le christianisme a toujours défendu la dignité du corps. Or curieusement on lui fait le reproche de mépriser le corps. C’est le confondre avec le puritanisme anglo-saxon ! Un tel mensonge ne peut pas durer éternellement. » Ce mensonge, je vous propose qu’ensemble, nous tentions de le dénoncer aujourd’hui. Car le christianisme est une religion du corps. Celse — un phi- losophe du premier siècle, néoplatonicien et qui à ce titre ne te- nait pas le corps en grande estime — ne s’y était pas trompé, qui 1 2 YVES SEMEN désignait les chrétiens de manière méprisante par le sobriquet de « philosomaton genos » c’est-à-dire « le peuple qui aime le corps ». Oui, notre religion est une religion du corps car elle est fondée sur l’Incarnation dans la chair du Verbe de Dieu. Comment dès lors pourrait-elle mépriser le corps ? Notre religion n’est pas une religion de l’immortalité de l’âme. Pour affirmer l’immortalité de l’âme, il n’y a d’ailleurs pas besoin d’une religion révélée. Une bonne philosophie y suffit. Ce que nous attendons — c’est l’espérance que nous affirmons à chaque fois que nous récitons notre Credo — c’est la résurrection des corps. Et un corps n’est pas corps sans être sexué. C’est le grand mérite de Jean-Paul II d’avoir donné à l’Eglise une « théologie du corps » qui constitue un événement théologique qui — paradoxalement — est passé presque totalement inaperçu. En 1966, dans un discours mémorable à l’ONU, Paul VI n’avait pas hésité à affirmer que l’Eglise était « experte en humanité » . Depuis la théologie du corps de Jean-Paul II, on ne doit pas craindre d’affirmer que l’Eglise est aussi « experte en sexualité ». Le monde ne le sait pas et s’obstine à faire de Jean-Paul II le « père fouettard » de la sexualité. Ce n’est pas toujours par malveillance, mais le plus souvent simplement par ignorance de ce qui constitue le plus vaste enseignement jamais délivré par un pape sur un même sujet. A cet enseignement Jean-Paul II a consacré toutes les audiences hebdomadaires du mercredi durant plus de cinq années au dé- but de son pontificat, très exactement du 5 septembre 1979 au 28 novembre 1984. Il n’a interrompu cet enseignement que durant quelques mois après l’attentat du 13 mai 1981 et durant l’Année Sainte de la Rédemption 1983. Au total cet enseignement représente pas moins de 129 discours et près de 800 pages de texte. Il a été qualifié de « Magistère génial de Jean-Paul II » par le Cardinal Angelo Scola alors qu’il était Recteur de l’Université Pontificale du Latran et de « bombe à retardement théologique » par George Weigel, à qui l’on doit la biographie la plus autorisée et la plus complète du pape. Et George Weigel ajoutait que cette théologie du corps « sera probablement regardée comme un tournant, non seulement dans la théologie catholique, mais aussi dans l’histoire de la pensée moderne » (Jean-Paul II, Témoin de l’es- pérance, p. 427) Ce sont quelques aperçus de cet enseignement que je voudrais vous dévoiler car il constitue — pour reprendre le titre d’un ouvrage LA THÉOLOGIE DU CORPS DE JEAN-PAUL II 3 de Christopher West publié aux USA sur la question — « une bonne nouvelle sur le mariage et la sexualité ». 1. Jean-Paul II, « amoureux » de l’amour humain Mais tout d’abord permettez-moi de vous dire quel pape nous avons : un pape amoureux de l’amour humain ! Voyez comme il s’exprimait dans son ouvrage Entrez dans l’Espérance : « il faut pré- parer les jeunes au mariage, il faut leur parler de l’amour. L’amour ne s’apprend pas, et pourtant il n’existe rien au monde qu’un jeune ait autant besoin d’apprendre ! Quand j’étais un jeune prêtre, j’ai appris à aimer l’amour humain. C’était un des thèmes sur lesquels j’ai axé tout mon sacerdoce, mon ministère dans la prédication, au confessionnal et à travers ce que j’écrivais. » (p. 192) 1.1. L’activité pastorale de Karol Wojtyla De cet amour de l’amour humain, il a donné la preuve à travers toute son activité pastorale depuis son ordination le 1er novembre 1946. Je ne vous en donne que quelques aperçus significatifs. Après un séjour à Rome pour achever ses études, il est nommé en mars 1949 à la paroisse Saint Florian de Cracovie. Immédiate- ment, il crée le premier programme de préparation au mariage de toute l’histoire de l’archevêché de Cracovie. Les résultats ne se font pas attendre : au cours des 28 mois qu’il passera à Saint Florian, il célébrera quelque 160 mariages, soit entre un et deux par semaine ! C’est aussi à Saint Florian qu’il fonde le « Srodowisko » à partir de 1951, c’est-à-dire le « réseau » qui constituera en quelque sorte sa « paroisse itinérante » à travers des camps de ski l’hiver et de kayak l’été. Ce réseau, constitué de personnes de toutes conditions, il ne cessera de l’animer jusqu’en 1978, lorsqu’il sera élu à la charge de Pierre. Au total 27 années d’une expérience pastorale hors du com- mun. Karol Wojtyla accompagne spirituellement les membres de ce réseau, les aide à discerner les appels du Seigneur sur eux, les prépare au mariage, les accompagne dans l’éducation de leurs en- fants. Les camps itinérants sont l’occasion d’aborder les questions éthiques, y compris en toute liberté et sans fausse pudeur celles qui concernent l’éthique sexuelle et la régulation de la fertilité. Des membres du Srodowisko, Jean-Paul II pourra dire : « Je l’ai déjà dit : ce sont eux qui ont assuré ma formation dans ce domaine. » (En- trez dans l’espérance, p. 301). Quelle humilité à une époque qui était 4 YVES SEMEN encore largement teintée de cléricalisme et qui — le Concile de Va- tican II n’avait pas encore eu lieu — n’avait pas encore donné toute leur place légitime aux laïcs dans l’Eglise ! Cette expérience pastorale de Karol Wojtyla se forge aussi à tra- vers son ministère de professeur d’éthique et d’aumônier d’étu- diants. Nommé en 1956 titulaire de la chaire d’éthique de l’Univer- sité Catholique de Lublin (KUL), il assumera cette charge, malgré toutes ses autres responsabilités pastorale d’évêque puis d’arche- vêque jusqu’à son élection au trône pontifical, soit durant 22 ans. Ajoutons, pour brocher sur le tout, que comme archevêque, il prend l’initiative de créer en 1967 un cours intensif d’un an sur la préparation au mariage qui devient en 1969 un Institut archidio- césain d’études familiales, affilié ensuite à la Faculté de théologie pontificale, cet institut offrant un cycle formation de 2 ans à 250 étudiants par promotion, étudiants qui sont aussi bien des prêtres, des séminaristes ou des laïcs. 1.2. L’œuvre théâtrale et philosophique De cette passion pour l’amour humain, Karol Wojtyla en donne aussi la preuve à travers ses œuvres théâtrales et philosophiques. Si on sait parfois que Karol Wojtyla a été acteur dans sa jeunesse et a nourri une véritable passion pour le théâtre qu’il sacrifiera à sa vocation sacerdotale, on ignore le plus souvent qu’il est aussi l’auteur de pièces de théâtre. Parmi celles-ci La Boutique de l’orfèvre qui paraît en 1960 dans la revue Znak sous le peudonyme de André Jawien. Jean-Paul II dira plus tard que c’était pour lui une manière de payer sa dette aux membres du Srodowisko pour tout ce qu’ils lui avaient apporté pour comprendre la vocation au mariage. Dans cette pièce Karol Wojtyla manifeste une compréhension des tourments de l’âme humaine dans le mariage autant qu’il est pos- uploads/Philosophie/ yves-semen-theologie-du-corps.pdf
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- Publié le Nov 25, 2022
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