IMAGES DU TEMPS PRESENT Séminaire public d’Alain Badiou I. 2001-2002 (transcrip

IMAGES DU TEMPS PRESENT Séminaire public d’Alain Badiou I. 2001-2002 (transcription de François Duvert) 21 novembre 2001 ................................................................................................................................................................. 3 décembre 2001..................................................................................................................................................................1 14 janvier 2002 ....................................................................................................................................................................1 30 janvier 2002 ....................................................................................................................................................................2 13 mars 2002........................................................................................................................................................................3 30 mars 2002........................................................................................................................................................................4 15 mai 2002..........................................................................................................................................................................5 21 NOVEMBRE 2001 Je pensais avant de venir vous voir à ce que j’avais fait ces 10 dernières années, ici même ou ailleurs, dans ce cadre. Est-ce que ce je vais faire, là, tout à l’heure, est-ce que c’est un résultat, est-ce que cela dessine un sens ? c’est une question que je me posais. Pendant quatre ans j’ai étudié l’anti-philosophie, ie quelque chose au fond qui se tenait loin de ma propre pensée. C’était une éducation par la distance. J’ai parlé successivement, année après année, de ce que j’ai pensé être les trois grands anti-philosophies contemporains : Nietzsche, puis Wittgenstein, puis Lacan, et puis j’ai parlé de St Paul. J’ai éduqué la philosophie, ou je me suis éduqué, auprès de ce qui lui hostile et lui est expressément déclaré hostile. La trilogie de l’anti-philosophie contemporaine ou anti-philosophie fondatrice et en partie légendaire que représente St Paul. Ensuite, et c’est certainement une leçon que j’ai tiré de cet examen, entre 96 et 98, sur un cycle de deux ans, j’ai reformulé les éléments constitutifs d’une théorie du sujet. Une théorie du sujet, c’est un vieux thème en soi et vieux thème pour moi, mais c’était une refonte. Une refonte au sens très précis où ce qu’une anti-philosophie déclare toujours c’est que la philosophie fait abstraction de la singularité subjective. C’est ce qui lui est imputé, elle est tenue, grief essentielle, elle est tenue comme une opération d’oblitération de la singularité comme discours de maîtrise. L’anti-philosophe vient rappeler que la singularité de l’existence, de la vie, est telle que toute opération de rature de cette singularité, certes, permet de soutenir une maîtrise, mais une maîtrise construite sur l’oubli ou la censure. On peut considérer que revenant à la théorie du sujet après les anti-philosophies, j’ai surmonté cette épreuve : est- il possible de traiter la singularité subjective après avoir parcouru ce grief, revenant au fond à dire que toute maîtrise conceptuelle est une censure de la vie. Ayant ainsi répondu, tant bien que mal, au défi anti-philosophique, entre 1998 et 2001, je me suis occupé du 20ème siècle, pendant trois années. Et évidemment il y avait un banal effet d’anniversaire, dont il n’y a pas lieu de se montrer particulièrement orgueilleux. Mais il y avait je crois autre chose. Il y avait l’idée, ou la question, que je crois très importante depuis longtemps, et qui me hante, qui est de savoir si la philosophie, dans sa tradition et dans son recommencement, dans sa continuité et dans sa discontinuité, est réellement capable d’être à la hauteur du temps. Est-elle capable, dans son invention propre, est-elle capable de supporter la mesure, la mesure de son présent ? c’est une question que la philosophie se pose depuis très longtemps, avec quand même en son coeur l’énoncé hegelien selon lequel elle vient après. Elle vient après, elle vient dire ce qui, dans l’effectivité, a déjà eu lieu. La chouette de Minerve ne s’envole qu’à la tombée de la nuit. Vous connaissez la formule, qui induit ce qu’on au fond on pourrait appeler une mélancolie (non que Hegel s’y soit attardé, il avait suffisamment conscience de porter le savoir absolu). Mais dans l’énoncé, c’est la mélancolie de qui n’est pas absolument au présent. C’est la question de savoir s’il n’y a pas toujours, dans la philosophie, un élément rétrospectif, ou un élément d’après-coup. Non pas que ce ne soit rien, l’après coup est une force à sa manière, mais cet élément qui ferait que, loin d’être à la hauteur de la vie du présent, la philosophie par une sorte de tour sur elle-même, serait toujours décalée par rapport à son propre temps, et parlerait toujours de son temps, bien sûr, mais en parlerait dans un décalage. Elle parlerait de son temps du point d’un certain retard du temps. C’est cette question qui est pour moi très importante. C’est la question de savoir ce qu’est la contemporanéité. De quoi la philosophie est-elle contemporaine. Est-elle réellement contemporaine de son propre temps ? ou est-elle finalement toujours très légèrement nostalgique ? Je voudrais m’attarder deux min sur ce point. C’est quand même une pente de la philosophie contemporaine que d’énoncer que quelque chose est oublié, perdu, raturé, absent. C’est un propos extraordinairement courant que d’indiquer la nostalgie sous la modalité de l’éclairage du présent à partir de ce qui est absent de ce présent. C’est typique de la pensée contemporaine Examiner le présent non à partir des seules traces du présent mais à partir de ce qui lui fait défaut. Voir même de la thèse selon laquelle un présent fait défaut. C’est la thèse de Mallarmé, mais modulée maintes fois par de nombreux philosophes. C’est aussi le nous ne sommes pas au monde de Rimbaud. Ça veut dire que la contemporanéité elle-même est perdue. Est-ce que la philosophie est condamnée ? Est-ce que la philosophie, aujourd’hui, est, si je puis dire, nostalgique par essence, ie toujours dans la déclaration de la dimension d’une perte ? Autrement dit, la philosophie est-elle destinalement endeuillée ? Est-elle dans la modalité du deuil ? Du deuil : du deuil de l’être, du deuil du vrai, du deuil de la métaphysique, du deuil du présent, du deuil du sens, du deuil de la pensée. Après tout, est-ce que ce n’est pas, soyons nietzschéen dans la brutalité, est-ce que dimension nostalgique, endeuillée, cette interrogation qui pose que le présent a oublié quelque chose d’essentiel qui est toujours passé, est-ce que ce n’est pas un trait névrotique de la philosophie ? Est-ce que ce n’est pas comme si la philosophie est trop vieille ? La philosophie est vieille, très vieille. Est-ce qu’elle n’est pas réellement sclérosée ? est-ce qu’elle n’est pas affectée d’un durcissement irrémédiable des artères ? est-ce que quelque chose en elle n’a pas ralenti la circulation du sang ? C’est une question : comme elle est vieille, la question de savoir jusqu’à que point elle est vieille est réelle : après tout il y a tellement d’énoncés concernant sa fin (la métaphysique c’est fini, il faut se dévouer à la modestie de la finitude, c’est comme s’il elle ne pouvait plus marcher très vite, comme s’il lui fallait une canne !).. Je dis ça car c’est une question intime pour moi, une question essentielle. Quand j’en suis venu au 20ème siècle, à ce que la philosophie pouvait en dire ou en penser, c’était tout de même d’une mesure du présent. Un présent déjà passé, ou en train de passer, mais c’était quand même constituer au moins ce présent là du 20ème siècle comme catégorie de la philosophie. Mon propos était de savoir dans quelle mesure la philosophie peut faire du 20ème siècle une catégorie vivante. Ie penser son présent comme présent. J’ai dit un certain nombre de choses là-dessus. Mais on peut dire : ça ne prouve rien, je parle du siècle, mais du moment de sa fin. Je suis encore à la tombée de la nuit. La chouette ne s’est pas levée plus tôt que d’habitude. Il faut attendre que le siècle soit chevé pour parler du siècle. Voilà une preuve supplémentaire que la philosophie n’est apte à prendre mesure du présent qu’au passé. Elle interroge toujours le présent dans la figure de son passage, dans la figure de son passé. Je me suis dit : il faut aller plus loin, il faut parler du présent vraiment. D’où le cycle que je vous propos, et qui s’appelle images du temps présent. Là, on est au pied du mur d’avoir à parler du temps présent. Et j’ai déjà annoncé que ça durerait trois ans ! Je suis déjà dans le calcul de l’avenir de ce présent. C’est trois ans au présent. Je voudrais dire aujourd’hui quelques mots de la stratégie de cette affaire, et de comment nous allons nous installer ou tenter de nous installer dans ce que j’ai appelé les images du temps présent. Il s’agit de faire des hypothèses sur le présent, de prendre le risque du présent, qui risquent d’être démenti par la circonstance, par l’événement, par l’occurrence. Mais la question est : quel est notre présent ? Quel est le présent dont la philosophie témoigne ? On va essayer de changer d’oiseau : un oiseau diurne, qui s’envole avec le jour. L’enjeu, peut-être, finalement, c’est tout simplement d’élucider la notion de présent. C’est une méditation sur le temps, mais abordée à travers la question quel est notre présent ? De quel présent sommes nous les contemporains vivants en philosophie. Je voudrais aujourd’hui poser deux questions, qui sont immédiatement présentes dans le titre : - pourquoi ai-je donnée le titre de images du temps présent ? et pas le temps présent - quelle va être la stratégie, quelle va être la figure de pensée mise en œuvre pour s’introduire dans cette question uploads/Philosophie/ badiou-images-temps-presents.pdf

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