Renaud Barbaras Le mouvement de l’ existence Etudes sur la phénoménologie de Ja
Renaud Barbaras Le mouvement de l’ existence Etudes sur la phénoménologie de Jan Patocka Dans la mesure où il n’y a d’insatisfaction qu’au regard d’un désir, où seul un désir peut né pas être satisfait, il faut conclure que la relation originaire du sujet au monde, relation qui commande l’appréhension de l’étant comme faisant défaut, doit être définie comme Désir. C ’est parce que le sujet, en tant que sujet pour le monde, est en son fond désir qu’il ne peut se rapporter au monde que sur le mode de l’agir : le désir est le moteur du mouvement et donc la condition de possibilité de la liberté. Le propre du désir est, en effet, que rien ne le comble vraiment, que ce qui le satisfait l’attise tout autant, de sorte que ce qui est visé dans le désir excède par principe ce qui lui est donné, ce qu’il peut atteindre, et, en vérité, il n’y a d’écart irréductible du visé et du donné que pour et par le Désir. (extrait de la première étude, « Le sens de l'expérience ») Renaud Barbaras est professeur de philosophie contemporaine à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne. Il a publié en 2004 Introduction à la philosophie de Husserl chez le même éditeur. 16 € A oût 2007 IS B N : 978-2-35051-026-2 photographie de couverture © Yves-Jean Harder DU MÊME AUTEUR ESSAIS Autrui, Paris, Quintette, 1989. De l ’ être du phénomène. Sur l ’ ontologie de Merleau-Ponty, Grenoble, Millon, 1991, deuxième édition, 2001. La perception. Essai sur le sensible, Paris, Hatier, 1994. Merleau-Ponty, Paris, Ellipses, 1997. Le tournant de l ’ expérience. Recherches sur la philosophie de Merleau-Ponty, Paris, Vrin, 1998. Le désir et la distance. Introduction à une phénoménologie de la perception, Paris, Vrin, 1999, deuxième édition revue, 2006. Vie et intentionnalité. Recherches phénoménologiques, Paris, Vrin, 2003. Introduction à la philosophie de Husserl, Chatou, La Transparence, 2004. Introduction à une phénoménologie de la vie, Paris, Vrin (sous presse). TRADUCTIONS (DU PORTUGAIS) Isabel Matos Dias, Merleau-Ponty, une poïétique du sensible, Toulouse, Presses Univer sitaires du Mirail, 2001. Bento Prado Jr, Présence et champ transcendantal. Conscience et négativité chez Bergson, Hildesheim, Olms, 2002. Félix Guattari, Suely Rolnik, Micropolitiques, Paris, Les Empêcheurs de penser en rond, 2007. DIRECTIO N d ’o u v r a g e s CO LLECTIFS L ’ espace lui-même, Épokhè, n° 4, Grenoble, Millon, 1994. M. Merleau-Ponty. Notes de cours sur L’origine de la géométrie de Husserl, suivi de Recherches sur la phénoménologie de Merleau-Ponty, Paris, PUF, 1998. Maine de Biran, Les Études philosophiques, n° 2, Paris, PUF, 2000. De la nature à l ’ ontologie, Chiasmi International, n° 2, 2000. Le réel et l ’imaginaire, Chiasmi International, n° 5, 2003. (avec Marie Carou et Etienne Bimbenet) Merleau-Ponty aux frontières de l ’invisible. Milan, Mimesis, 2003. Sartre. Désir et liberté, Paris, PUF, 2005. Science et Philosophie, Chiasmi International, n° 8, 2006. Jan Patocka. Phénoménologie asubjective et existence, Milan, Mimesis, 2007. Renaud Barbaras /\ Le mouvement de l'existence Études sur la phénoménologie de Jan Patocka Les Éditions de La Transparence ISBN 978-2-35O 5I-O 26-2 Dépôt légal — I" édition : 2007, août © Les Éditions de La Transparence, 2007 8, avenue des Pommerots, 78400 Chatou www. latransparence. fr La photographie de couverture est due à Yves-Jean Harder. L auteur et l'éditeur le remercient vivement. PREM IÈRE ÉTU D E LE SENS DE L EXPERIENCE Dans un fragment de 1953, qui était destiné à faire partie d’un ouvrage de grande ampleur Jan Patocka se confronte à la question de la fin de la métaphysique. Son intention n’est pas de reprendre à son compte le diagnostic énoncé de toutes parts mais plutôt de pro poser un mode de dépassement de la métaphysique qui se distingue radicalement des autres tentatives en ce qu’il ne se réduit pas à un refus ou une condamnation pure et simple. En effet, « [t]andis que la version positiviste (ou pour mieux dire : négativiste) de la métaphy sique croit avoir réglé son compte à celle-ci en l’expliquant à partir d’erreurs dues au langage, l’approche que nous adoptons ici est à même de “dépasser et conserver” (aufbeben) la métaphysique dans un sens plus profond, à même de saisir aussi le moment de sa légitimité interne, au-delà du vide qui saute aux yeux là surtout où la méta physique est mesurée à un étalon dont elle-même exige et provoque l’application, mais qui n’en demeure pas moins inadéquat à son essence intime : l’étalon de la science spéciale, rigoureuse et finie, fruit de l’esprit moderne axé sur la construction mathématique et la description objective » 2 . Autant dire que la critique de la métaphysique que Patocka esquisse ne vise pas tant à la récuser qu’à la comprendre 1. Patocka, Negativni platonismus, trad. franç. E. Abrams (« Le platonisme négatif » [abr. PN]), in Liberté et sacrifice, Grenoble, Millon, 1990, p. 53 sq. 2. PN, p. 85. en sa vérité, à extraire la volonté philosophique qui la commande afin d’en assumer la continuation LES DEUX SENS DE INEXPÉRIENCE Le positivisme logique, avec lequel Patocka engage ici le débat, a pour présupposé fondamental une certaine idée de l’expérience, issue naturellement de l’empirisme, qui conduit à réduire le réel aux don nées des sens. Or, la question est de savoir si l’expérience que nous faisons de la réalité sous la forme des données sensibles épuise le sens de l’expérience. Toute expérience est-elle une expérience que nous faisons ? Patocka répond par la négative : à côté de l’expérience que nous faisons, dont l’empirisme postule le primat, il y a l’expérience que nous sommes et cette expérience peut être définie comme expé rience de la liberté. L’une implique la passivité — car l’expérience que nous avons est toujours aussi une expérience qui nous a — , l’autre est activité ; l’une se rapporte à des faits ou des objets, alors que l’autre n’est justement l’expérience de rien, d’aucune réalité consta- table et accessible à une pluralité d’observateurs ; l’une est paisible possession alors que l’autre est risque. Patocka définit la seconde comme « l’expérience d’une insatisfaction vis-à-vis du donné et du sensible qui, s’intensifiant, aboutit à la compréhension que ce qui est donné aux sens n’est ni le tout, ni ce qui décide de l’étant » % ce qui lui permet d’affirmer que l’expérience de la liberté est expérience de la transcendance. Or, si l’expérience « que nous faisons » est toujours finalement ce au nom de quoi s’effectuent les critiques radicales de la métaphysique, c’est « l’expérience de la liberté qui se trouve à la base de la métaphysique dans sa genèse et son évolution historique » 3 . De là la revendication d’un « platonismq négatif ». Il s’agit de retenir du platonisme non pas tant l’idée que 1 e\chôrismos, la séparation qui met à part de notre réalité, la transcendance vis-à-vis du donné. Le chô- rismos est originairement, selon Patocka, une séparation sans un se cond domaine d’objets, une césure qui ne partage pas deux règnes coordonnés au sein d’un genre ou d’un mode d’être commun : il est une distinction en soi (et non au sein d’une réalité préalable), la séparation absolue comme telle. En ce sens, « le mystère du %cüpuriJ,6 ç 8 LE MOUVEMENT DE INEXISTENCE 1. Voir ibid., p. 72. 2. Ibid., p. 79 ; voir aussi p. 84. 3. Ibid., p. 82. LE SENS DE INEXPÉRIENCE Ç ) est identique à l’expérience de la liberté : l’expérience d’une distan ciation à l’égard des choses réelles, l’expérience d’un sens indépen dant de l’objectif et du sensible, que l’on obtient en inversant l’orien tation primitive, “naturelle”, de la vie » C ’est en ce sens précis que le platonisme nomme le geste philosophique lui-même et que l’idée peut emblématiser ce à quoi la philosophie se rapporte : « Consi dérant donc métaphysiquement l’idée comme une abréviation du %u)pt<r[i6 ç et celui-ci comme un symbole de la liberté, on peut dire que la philosophie repose intégralement sur la conception de l’idée, que celu îï qui l’idée demeure inaccessible ne comprendra jamais la philosophie2 . » Naturellement, l’idée ne peut plus être comprise comme un nouvel étant, comme un étant « vrai » qui mettrait la métaphysique sur la voie de la science véritable — comme c’est le cas dans le platonisme historique, qui subordonne finalement l’expé rience de la liberté à « l’expérience » que nous faisons d’un autre monde, interprétant ainsi la transcendance vis-à-vis du monde en termes mondains. En tant qu’emblème ou abréviation du chôrismos, l’idée est ce qui est au principe de toute distance vis-à-vis du monde, de toute objectivation, et c’est pourquoi elle ne peut jamais être Objet. Elle est un non-étant, « supra-objectivité pure, pur appel de la transcendance » 3 , c’est-à-dire appel constant à dépasser la choséité et l’objectivité simplement données. Platonisme négatif donc, en ce que la transcendance ouverte par le chôrismos, ou dont le chôrismos est l’acte, en tant que dépassement de la choséité donnée dans la vie naturelle, ne peut uploads/Philosophie/barbaras-patochka-le-mouvement-de-l-x27-existence.pdf
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- Publié le Dec 22, 2021
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