COLLECTION LA PHILOSOPHIE EN EFFET Le Sens du monde DU MÊME AUTEUR Aux Éditions

COLLECTION LA PHILOSOPHIE EN EFFET Le Sens du monde DU MÊME AUTEUR Aux Éditions Galilée LE TITRE DE LA LETTRE, avec Philippe Lacoue-Labarthe, 1972. LA REMARQUE SPÉCULATIVE, 1973. LE PARTAGE DES VOIX, 1982. HYPNOSES, avec Mikkel Borch-Jacobsen et Eric Michaud, 1984. L'OUBLI DE LA PHILOSOPHIE, 1986. L'EXPÉRIENCE DE LA LIBERTÉ, 1988. UNE PENSÉE FINIE, 1990. LE SENS DU MONDE, 1993. LES MUSES, 1994. ÊTRE SINGULIER PLURIEL, 1996. LE REGARD DU PORTRAIT, 2000. L'INTRUS, 2000. LA PENSÉE DÉROBÉE, 2001. LA CONNAISSANCE DES TEXTES, avec Simon Hantaï et Jacques Derrida, 2001. L'« IL Y A» DU RAPPORT SEXUEL, 2001. VISITATION - DE LA PEINTURE CHRÉTIENNE, 2001. LA CRÉATION DU MONDE - OU LA MONDIALISATION, 2002. Chez d'autres éditeurs LOGODAEDALUS, Flammarion, 1976. L'ABSOLU LITTÉRAIRE, avec Philippe Lacoue-Labarthe, Le Seuil, 1978. EGO SUM, Flammarion, 1979. L'IMPÉRATIF CATÉGORIQUE, Flammarion, 1983. LA COMMUNAUTÉ DÉSŒUVRÉE, Christian Bourgois, 1986. DES LIEUX DIVINS, TER, 1987 ; rééd 1997. LA COMPARUTION, ,avec Jean-Christophe Bailly, Christian Bourgois, 1991. LE MYTHE NAZI, avec Philippe Lacoue-Labarthe, L'Aube, 1991. LE POIDS D'UNE PENSÉE, Le Griffon d'argile, Québec et Presses Universitaires de Gre- noble, 1991. CORPUS, Anne-Marie Métailié, 1992. NIUM, avec François Martin, Erba, 1994. HEGEL, L'INQUIÉTUDE DU NÉGATIF, Hachette, 1997. LA NAISSANCE DES SEINS, Erba, 1997. LA VILLE AU LOIN, 1001 Nuits, 1999. MMMMMMM, avec Susanna Fritscher, Au Figuré, 2000. DEHORS LA DANSE, avec Mathilde Monnier, Rroz, 2001. L'ÉVIDENCE DU FILM /Abbas Kiarostami, Bruxelles, Yves Gevaert Éditeur, 2001. Jean-Luc Nancy Le Sens du monde Édition revue et corrigée Galilée © 1993, ÉDITIONS GALILÉE, 9 rue Linné, 75005 Paris. En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement le présent ouvrage sans autorisation de l'éditeur ou du Centre français d'exploitation du droit de copie (CFC), 20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris. ISBN 2-7186-0575··8 ISSN 0768-2395 Comment donc devons-nous comprendre que la pensée puisse commencer par (être) une réponse? Réponse: cela est non seulement possible, mais nécessaire, dès lors qu'il n'y a qu'une seule et unique pensée, celle du « sens de la vie» et que par un tel «sens» il ne faut pas entendre quelque chose d'autre que la vie même (un ingrédient qui en ferait le sel, un jugement dernier dans l'espace duquel elle trouverait son orientation), mais bien la constitution for- melle a priori du vivre dans sa nudité. Car cette formalité exis- tentielle est construite, si l'on ose dire, en forme de réponse: elle fait de l'homme cet étrange vivant qui, quoi qu'il fasse ou ne fasse pas, éprouve ou non, dise ou taise, répond au monde et répond du monde. GÉRARD GRANEL « Le monde et son expression », La part de l'œil, n° 8, Bruxelles, 1992. INTRODUIRE UN SENS - cette tâche reste encore absolument à accomplir, admis qu'il n'y réside aucun sens. FRÉDÉRIC NIETZSCHE Fragments posthumes automne 1887 -mars 1888, trad. Pierre Klossowski, Œuvres philosophiques complètes, Gallimard, 1976, p. 34. Écrire, «former» dans l'informel un sens absent. Sens absent (non pas absence de sens, ni qui manquerait, ou poten- tiel ou latent). Écrire, c'est peut-être amener à la surface quelque chose comme du sens absent, accueillir la poussée pas- sive qui n'est pas encore la pensée, étant déjà le désastre de la pensée. Sa patience. MAURICE BLANCHOT L'Écriture du désastre, Gallimard, 1980, p. 71. Seule elle se soulève sein nu dans le sens qu'elle consume. MATHIEU BÉNÉZET Ode à la poésie, Bordeaux, William Blake & Co., 1992, p. 26. Il Y a peu de temps encore, on pouvait parler de « crise du sens)) (ce fut une expression de Jan Patocka, et il est arrivé à Vaclav Havel de la reprendre) : une crise s'analyse, se surmonte. On pouvait retrouver le sens, ou du moins, indiquer en gros une direction. Ou bien, on pouvait encore jouer avec les éclats, les bulles d'un sens à la dérive. Aujourd'hui, nous sommes plus loin : tout le sens est à l'abandon. Cela nous fait défaillir, et pourtant, nous sentons (nous avons ce sens-là) que c'est de cela même que nous vivons, d'être exposés à cet abandon du sens. Il y a, chez les femmes et chez les hommes de ce temps, une manière plutôt souveraine de perdre pied sans angoisse, et de marcher sur les eaux de la noyade du sens. Une manière de savoir, précisément, que la souveraineté n'est rien, qu'elle est ce rien dans lequel le sens, toujours, s'excède. Ce qui résiste à tout, et peut-être toujours, à toute époque, ce n'est pas un médiocre instinct d'espèce ou de survie, c'est ce sens-là. Il y a dans ce temps, le nôtre, d'un côté tous les risques de l'attente de sens, de la demande de sens (comme cette banderole à Berlin, sur un théâtre, en 1993, « Wir brauchen Leitbi/der» : « nous avons besoin d'images directrices ))), avec les pièges redoutables que peut tendre une telle demande (sécurité, iden- tité, certitude, philosophie comme distributrice de valeurs, de visions du monde, et, pourquoi pas, de croyances ou de mythes), et d'un autre côté toute la chance de se savoir, déjà au-delà de l'attente et de la demande, déjà au monde en un sens inouï, c'est-à-dire, peut-être, rien que l'inouï qui revient éternellement se faire entendre du même sens, d'un sens qui précède tous les sens, et qui nous précède, prévenant et surprenant à la fois. Il Le Sens du monde Faire place à cet excès du sens sur tout sens appropriable, et se déprendre, une bonne fois, de ce que Lévi-Strauss appelait « la quête épuisante d'un sens derrière le sens qui n'est jamais le bon 1, voilà l'enjeu - et il n'a rien de sceptique ni de résigné, il est l'enjeu même du sens, à entendre au-delà de tout sens, mais venu d'aucun « au-delà» du monde. Ceux qui cèdent à la demande de sens (qui par elle-même, déjà, semble faire sens et rassurer ... ) demandent au monde de se signifier comme séjour, abri, habitation, sauvegarde, intimité, communauté, subjectivité: signifiant d'un signifié propre et présent, signifiant du propre et du présent comme tels. (Ceux qui signifient encore le monde comme sens d'une quête infinie, ou d'un passage vers un autre monde ne changent rien de fondamental: le signifié dernier reste de même essence.) Pour eux, la mondialisation du monde, qui est notre élément et notre événement, le « cosmopolitisme », la télétechnique désap- proprient, désignifient le sens, le mettent en lambeaux. On ne leur opposera pas ici un non-sens nihiliste, ni un « insensé» qui oscillerait entre débauche et mystique. Mais on leur objectera que le sens a toute sa chance et tout son sens seulement en deçà ou au-delà de l'appropriation des signifiés et de la présentation des signifiants, dans l'ouverture même de son abandon, comme l'ouverture du monde. Mais 1'« ouvert}) n'est pas la qualité vague d'une béance indéterminée ni d'un halo de générosité sentimentale. Il fait, serré, tressé, étroitement articulé, la structure du sens en tant que sens du monde. 1. Claude Lévi-Strauss, Didier Eribon, De près et de loin, Paris, Odile Jacob, 1988, p. 225. 12 La fin du monde Il n'y a plus de monde: plus de mundus} plus de cosmos, plus d'ordonnance composée et complète à l'intérieur ou de l'intérieur de laquelle trouver place, séjour, et les repères d'une orientation. Ou encore, il n'y a plus 1'« ici-bas» d'un monde donnant passage vers un au-delà du monde ou vers un outre- monde. Il n'y a plus d'Esprit du monde, ni d'histoire pour conduire devant son tribunal. Autrement dit, il n'y a plus de sens du monde 1. 1. L'attente, la demande, l'exigence ou l'inquiétude du sens ne cessent d'insister aujourd'hui de la manière la plus courante, la plus quotidienne: on pourrait aisément rassembler un florilège de phrases sur ce thème, simplement cueillies au fil de la lecture des journaux, et dans des contextes très divers, politiques, religieux, économiques, etc. Je me contente d'un exemple, ce jour où j'écris, dans un article sur le dernier livre d'Ernst ] ünger, Les Ciseaux, qui est précisément un livre sur le retour attendu d'un sens « spirituel» du monde : «Jünger recourt à sa connaissance des mytho- 13 Le Sens du monde Nous le savons, nous savons que c'est la fin du monde, et ce savoir n'a rien d'illusoire (ni de «fin de siècle» ou de « millénariste »). Ceux qui s'évertuent à dénoncer l'illusion que serait la pensée d'une «fin» ont raison contre ceux qui présentent la «fin» comme le cataclysme ou comme l'apo- calypse d'un anéantissement. Une telle pensée est encore prise tout entière dans le régime d'un sens signifiant, qu'il se propose pour finir comme «non-sens» ou comme «révéla- tion ». Mais les mêmes adversaires de la pensée de la «fin» ont tort en ce qu'ils ne voient pas que les mots dont on désigne ce qui arrive à sa fin (histoire, philosophie, politique, art, monde ... ) ne sont pas les noms de réalités subsistant en soi, mais les noms de concepts, ou d'idées, entièrement déterminés dans un régime du sens qui se boucle et uploads/Philosophie/ jean-luc-nancy-le-sens-du-monde.pdf

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