Romantisme Comique littéraire et théories du rire M. Daniel Grojnowski Citer ce

Romantisme Comique littéraire et théories du rire M. Daniel Grojnowski Citer ce document / Cite this document : Grojnowski Daniel. Comique littéraire et théories du rire. In: Romantisme, 1991, n°74. Rire et rires. pp. 3-13; doi : https://doi.org/10.3406/roman.1991.5810 https://www.persee.fr/doc/roman_0048-8593_1991_num_21_74_5810 Fichier pdf généré le 02/04/2018 Daniel GROJNOWSKI Comique littéraire et théories du rire Le genre comique et la question du rire Dans les Eléments de littérature Maimontel caractérise la cause et les types de l'effet comique ' : il résulte d'une comparaison entre les comportements ordinaires et ceux qui prêtent au ridicule ; il se divise selon les personnages qu'il met en scène en comique noble, comique bourgeois et bas comique. A la suite de cette classification préalable, Marmontel évoque d'autres manifestations comme le comique grossier ou le mélange des comiques. Ces distinctions reproduisent celles de l'article « Comédie » où sont condamnés le comique de mots, ressource des esprits démunis de talent, le comique obscène, dont les honnêtes gens ne peuvent rire sans rougir, l'imitation burlesque, qualifiée de méprisable. Sont en revanche considérés comme des formes supérieures le comique de caractère et le comique de situation qui rendent perceptible la malice naturelle aux hommes : « le théâtre est pour le vice et le ridicule ce que sont pour le crime les tribunaux où il est jugé et les échafauds où il est puni ». Ces considérations d'un collaborateur de l'Encyclopédie se perpétuent dans le courant du XDCe siècle - et bien au-delà - par le relais d'ouvrages scolaires qui définissent les « principes » de style et de poétique. Elles constituent pour la plupart des auteurs et théoriciens un cadre commun de référence. Elles nous permettent aujourd'hui de discerner les transformations dont la notion de comique est l'objet. Ressassements, dérives, ruptures s'exercent dans la longue durée. La question du rire n'est jamais située au premier plan des préoccupations, elle ne fait naître aucune polémique mémorable. Les développements de V. Hugo sur le grotesque dans la Préface de Cromwell préservent l'antinomie entre mode bas et élevé (grotesque ví sublime) tandis que les variations sur Rabelais dans William Shakespeare (1864), ou sur l'immuabilité sépulcrale du ricanement, dans L'Homme qui rit (1869) 2, désignent à l'attention un objet fascinant. Stendhal consacre un chapitre au rire dans Racine et Shakespeare , Baudelaire un essai à « l'essence du rire » pour préfacer un ouvrage sur la caricature 4. Le premier assiste à une comédie de Molière au Théâtre-Français (il s'agit de Tartuffe) et constate avec satisfaction que le public ne rit qu'à deux reprises, le second observe un répertoire des plus variés qui inclut la pantomime. Manières d'indiquer que les modes du comique ne se conforment pas à des cadres immuables. Il est difficile de rendre compte du jeu des influences, du fait que les trajectoires sont des plus sinueuses. Les développements sur le rire de l'Esquisse d'une philosophie (1841-1846) de Lamennais sont repris dans L'Art du Beau (1872) pour lutter (disent les éditeurs) contre le matérialisme à la mode qui, « sous prétexte de vérité et de naturel, semble ne viser qu'au trivial ». Publié d'abord dans ROMANTISME n°74 (1991 - IV) 4 Daniel Grojnowski des revues en 1855 et 1857, « De l'essence du rire » de Baudelaire connaît une diffusion confidentielle jusqu'à l'édition des Curiosités esthétiques en 1868. Mais il est alors éclipsé par l'éclat des Salons ainsi que par divers articles de L'Art romantique que M. Lévy édite simultanément Parue en 1804, l'Introduction à l'esthétique de Jean Paul comporte deux chapitres décisifs sur le risible et la poésie humoristique. Mais leur traduction française est très tardive (1862) et leur audience limitée à un public de germanistes et de philosophes 5. Le rire a la réputation de tenir en échec ceux qui l'interrogent Chaque auteur se plaît à dresser le bilan des travaux antérieurs avant d'exposer à son tour une théorie qu'il estime satisfaisante. A. Michiels y consacre son existence. Dès ses Etudes sur l'Allemagne (1840) il fait l'éloge des conceptions de Jean Paul. Sa préface aux Œuvres de Regnard expose une thèse qu'il reprend et développe une trentaine d'années plus tard dans Le Monde du comique et du rire (1886). Il ne cache pas alors la joie qu'il éprouve d'avoir mis au jour l'explication que les penseurs recherchent depuis toujours : «j'ai fait pour l'humanité une conquête intellectuelle [...] Nul n'éprouvera la bienfaisante action du rire sans me devoir de la reconnaissance » 6. La question du rire n'a cessé de poser problème, elle est solidaire de la théorie classique du comique et d'une hiérarchie qui déconsidère l'expression dégradée de la nature humaine. La comédie ne s'attache-t-elle pas, selon Aristote, à la représentation d'« hommes bas » ? Mme de Staël ne cache pas son dédain pour les grossièretés d'Aristophane 7, elle place la comédie des Français au premier rang, tout en regrettant la part excessive que Molière accorde à la satire. Dans De l'Allemagne (1813), elle esquisse en quelques lignes le « système » de la nouvelle comédie qui, au lieu de s'en tenir à la peinture des ridicules, « se joue de l'univers » 8. L'année suivante paraît la traduction française du Cours de littérature dramatique où W. A. Schlegel mène allègrement une attaque en règle contre le théâtre classique 9. Il condamne sévèrement le propos didactique de Molière dont seules les farces trouvent grâce à ses yeux, et dont l'erreur a été de vouloir instruire par de longues dissertations, au lieu de faire rire. La comédie moderne est asservie à un dessein d'ensemble qui ne convient qu'à la tragédie. L'ancienne comédie des Grecs, que A. W. Schlegel donne en exemple, était une vaste plaisanterie composée en toute anarchie de plaisanteries particulières 10. Et de prôner une esthétique de la bigarrure ; comme la mascarade, la comédie doit faire fi de toute convention et s'accomplir dans le chaos. Elle forme alors « un jeu fantastique, une vision aérienne qui finit par se résoudre en rien » u. Ce bariolage hétérogène, propre à la poésie romantique, traduit au plus près le secret de l'univers. Ces idées feront leur chemin sans qu'on puisse toujours en suivre précisément les traces. Avec les traductions de Hegel, de Jean Paul, la notion ^humour renforce celle de représentation hétérogène, que divers auteurs reprennent à leur compte. T. Gautier avait célébré les bizarreries des Grotesques n. L. Ratisbonne juge l'humour propre à affecter tous les genres, des plus élevés aux plus familiers 13. Divulguée dans les premières décennies du siècle, cette veine est peu à peu explorée, exploitée (T. Gautier, E. Mouton publient des contes « humoristiques » w) avant d'être vulgarisée dans les dernières décennies. L'expérimentation de dosages variables hante les imaginations, comme le fait par ailleurs l'idéal d'une expression à la fois cocasse et désespérée, dans la deuxième moitié du siècle : « Concevoir un canevas pour une bouffonnerie lyrique ou féerique, pour pantomime, et traduire cela en un roman sérieux. » ; « Le Comique littéraire et théories du rire 5 mélange du grotesque et du tragique est agréable à l'esprit » 1S, écrit Baudelaire dans « Fusées ». Toutefois les résistances découragent les affrontements. C'est par le biais de réflexions d'ordre anthropologique - psychologique, philosophique - sur la nature du rire que sont mises en place des propositions qui dédaignent souvent les pratiques contemporaines, comme celles-ci les ignorent en retour. A cette élaboration collective participent des voix dont un certain nombre est aujourd'hui tombé dans l'oubli. Le principe de contradiction S'interrogeant sur le comportement des bêtes, le Père Bougeant avait constaté qu'elles rient, elles aussi, si on admet que la réjouissance peut s'exprimer de manières diverses 1б. Toutefois, elles ne peuvent interpréter des signes complexes, comparer par exemple deux idées et en apprécier la compatibilité. Or le rire qui ne traduit pas la joie de vivre est provoqué par un agencement perturbé. Ce principe d'inadéquation fournit aux théories une assise commune. Les désignations varient selon les auteurs qui parlent tour à tour d'« incongruité », d'« assemblage », d'« irrégularité », de « contradiction ». Elles impliquent chaque fois l'observation d'un « mauvais assortiment de choses qui ne sont point faites pour aller ensemble » (Batteux) 17, comme un juge habillé en Arlequin, un prélat qui tombe à la renverse. Le principe de contraste dégradant confère aux théories une donnée commune, transposable à tous les domaines : psychologique, logique, philosophique, artistique. Il ne contrarie pas Aristote selon qui sont comiques un défaut ou une laideur qui ne causent pas de douleur. Il revient à P. Scudo d'avoir présenté dans sa Philosophie du rire (1840) la première tentative d'étude exhaustive 18. Elle rend compte des faits comiques dans leur implication globale, qui est pour lui théologique. Dieu a doué sa créature d'une double attirance pour le beau et le laid. Ce dualisme se manifeste en chacun de nos actes, il constitue le drame de notre existence. Les deux « grands principes », dont l'un élève et l'autre abaisse, agissent comme « deux forces rivales qui se disputent la direction de notre uploads/Philosophie/comique-litteraire-et-theories-du-rire-grojnowski-daniel 1 .pdf

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