Présentation par Stéphane madelrieux. Traduction de Nathalie FERRON. © Flammari

Présentation par Stéphane madelrieux. Traduction de Nathalie FERRON. © Flammarion, Paris, 2010. ISBN : 978-2-0812-4341-5 PRÉSENTATION Le Pragmatisme a cent ans et il est à nouveau actuel. Selon Richard Rorty, l'histoire de la philosophie américaine contemporaine est l'histoire de sa « re-pragmatisation », après la période du positivisme logique. Initié d'abord par Quine, ce mouvement d'ensemble concernerait des philosophes contemporains aussi différents que Nelson Goodman, Wilfrid Sellars, Donald Davidson, Hilary Putnam et bien sûr Richard Rorty lui-même. Même si ce nouveau pragmatisme diffère du pragmatisme classique des Peirce, James, Schiller ou Dewey — ne serait-ce que parce qu'il s'est élaboré à partir et contre le positivisme logique —, il entend retourner à eux pour développer « des possibilités trop longtemps négligées », comme l'écrit Putnam, permettant des « voies pour sortir des "crampes"philosophiques qui continuent à nous affliger», si bien que le pragmatisme demeure aujourd'hui encore une question ouverte. En France, le pragmatisme de Peirce ou de Dewey est de mieux en mieux connu grâce à de récentes traductions ou de nouveaux commentaires. Mais si la pensée de James semble également en voie de redécouverte, ce sont d'autres aspects de sa pensée qui ont jusqu'alors retenu l'attention, comme l'empirisme radical ou le pluralisme, précisément négligés du temps de James à cause des débats et des malentendus autour de son pragmatisme. Il était donc temps de revenir au livre même qui, pour la première fois, ouvrit la question du pragmatisme et la noua à l'histoire de la philosophie américaine. C'est désormais chose possible grâce à la nouvelle traduction de Nathalie Ferron. Du « Club métaphysique» au succès du pragmatisme Pour comprendre ce Livre, plus complexe qu'il n'y paraît, il convient de retracer la genèse du mouvement philosophique auquel il donna sa visibilité. L'origine du pragmatisme remonte à Charles Sanders Peirce (1839-1914), logicien philosophe et ami de James, qui publie en 1878 un article intitulé « Comment rendre (1839-1914), logicien philosophe et ami de James, qui publie en 1878 un article intitulé « Comment rendre nos idées claires ». Cet article ne contient pas le terme de « pragmatisme », bien que Peirce semble l'avoir utilisé dès le début des années 1870 lors des discussions amicales du « Club métaphysique » à Cambridge (Massachusetts), cercle philosophique qui réunissait, outre Peirce et James, le philosophe des sciences Chauncey Wright et les juristes Oliver Wendell Holmes et Nicholas St. John Green. En revanche, il énonce une règle de méthode permettant d'élucider la signification des concepts, qui allait devenir la « maxime » du pragmatisme. Il demeura à peu près sans écho, jusqu'à ce que James prononce en 1898, devant l'Union philosophique de l'Université de Californie, une conférence intitulée « Conceptions philosophiques et résultats pratiques ». Celui-ci consacre cette conférence à la présentation de ce qu'il appelle le « principe du pragmatisme » ou du « practicalisme », qu'il désigne explicitement comme le « principe de Peirce », et il en donne plusieurs exemples d'application personnels, notamment aux conceptions religieuses. Prononcée devant plus de mille personnes, cette conférence, qui utilise pour la première fois publiquement le terme de « pragmatisme » sous sa forme substantive pour désigner une position philosophique, est donc tenue pour le véritable acte de naissance du mouvement pragmatiste. En 1902, Peirce et James donnent tous les deux leur propre définition du « pragmatisme » dans le Dictionnaire de philosophie et de psychologie dirigé par J. M. Baldwin, premier dictionnaire à y consacrer une entrée, et James inclut dans un chapitre des Varieties of Religious Expérience qui paraissent cette même année la présentation du « principe du pragmatisme » de Peirce, encore une fois appliqué à des concepts religieux. C'est également en 1902 que paraît sous le titre de Personal Idealism un recueil de huit essais par des philosophes anglais d'Oxford, parmi lesquels Ferdinand Canning Scott Schiller (1864-1937). Dans son « Axiom as Postulates », celui-ci emploie le terme « pragmatisme » en référence à James pour désigner une certaine théorie des rapports entre la pensée et la réalité. Il propose également le terme « humanisme » pour qualifier sa propre doctrine. Puis en 1903, sous la direction de John Dewey (1859-1952), paraît à Chicago un ouvrage collectif intitulé Studies in Logical Theory dédicacé à James. Les quatre premiers chapitres, sous le titre général «Thought and its Subject-Matter », sont écrits par Dewey qui propose également une nouvelle conception des rapports de la pensée et de la réalité. James donne des comptes rendus élogieux de ces deux ouvrages, et publie à partir de 1904 une série d'articles inspirés de Schiller et Dewey sur la notion de «vérité», qu'il associe d'abord à l'«humanisme » puis au « pragmatisme ». En 1905, dans un souci de bonne terminologie, Peirce éprouve le besoin de se séparer du terme « pragmatisme » alors associé selon lui à l'« empirisme radical » de James et à l'« humanisme » ou « anthropomorphisme » de Schiller, et forge le nouveau terme « pragmaticisme », « suffisamment laid pour être à l'abri des kidnappeurs ». Le terme de « pragmatisme » est de plus en plus populaire, et James donne dans les années 1905- 1907plusieurs séries de conférences, où le public se presse pour comprendre cette nouvelle philosophie. C'est de ces conférences qu'il tire en 1907 le livre intitulé Pragmatism, où il reprend à la fois la présentation du principe de Peirce avec ses applications personnelles et ses propres prolongements des théories de Schiller et de Dewey. Il confie dans sa correspondance que ce livre est la chose la plus importante qu'il ait écrite jusque-là, qu'il fera date et assurera la victoire définitive de la façon de penser qu'il défend. Le livre est en effet tout de suite un succès de librairie, avec cinq rééditions dans la seule année 1907, et entraîne James dans une controverse philosophique internationale qui tourne autour de sa conception de la vérité. Les formules de James, selon lesquelles la vérité est ce qui réussit, ce qui paie ce qui est payant, ce qui a du succès, cristallisent la polémique et renforcent l'idée que le pragmatisme est avant tout une théorie de la vérité. Cette interprétation semble d'ailleurs mnfirmée avec la parution en 1909, un an avant sa mort, d'un recueil d'articles de James en réponse aux nombreuses critiques qui lui furent faites — le titre, La Signification de la vérité, et le sous-titre, « Une suite au Pragmatisme », montrant bien le lien que James avait établi entre pragmatisme et théorie de la vérité. L'interprétation que l'on retient généralement de cette histoire est que Peirce, génie méconnu, a inventé le pragmatisme en désignant par là une méthode rigoureuse pour clarifier les idées, et que James l'a popularisé en le déformant pour en faire une théorie de la vérité, par ailleurs intenable car identifiant ce qui est vrai à ce qui est utile. La lecture de ce livre devrait au contraire nous convaincre que le pragmatisme de James « s'est montré si plein de finesse », comme il le disait lui-même, que nous ne saurions le résumer en une formule rapide. La deuxième leçon sur la « signification du pragmatisme » indique à elle seule la complexité de ce petit ouvrage. James y annonce que le pragmatisme signifie deux choses différentes : «d'abord une méthode, ensuite une théorie génétique de ce qu'on entend par vérité». On voit donc James parfaitement conscient de la distinction à faire entre d'une part la méthode de clarification des idées, qu'il emprunte à Peirce, et d'autre part les théories du rapport entre la pensée et la réalité, que Schiller et Dewey avaient lancées et qui ont abouti à sa propre théorie de la vérité. De fait, après cette leçon II qui présente tour à tour les deux sens du mot « pragmatisme », le livre couvre successivement les deux objets d'étude : d'abord, dans les leçons III et IV, James examine quelques applications de la méthode pragmatique à des concepts et problèmes privilégiés ; puis dans les leçons V, VI et VII, James explicite sa théorie génétique de la vérité. Les deux sens du terme concernent donc bien des chapitres distincts et la succession même de ces chapitres montre que le premier sens du terme désigne et doit désigner la méthode. La primauté logique du sens méthodologique était reflétée par l'antériorité de son exposition : c'est bien dans la conférence de 1898 « Conceptions philosophiques et résultats pratiques» que James, sous l'inspiration de Peirce, énonce les principes de sa méthode pour rendre les idées claires. Dans cette conférence, il n'est jamais question de vérité. Au contraire, dans ses exemples, James déclare qu'il se garde bien de se prononcer sur la vérité ou la fausseté des conceptions examinées : il ne cherche qu'à en clarifier la signification. D'ailleurs, cette conférence est republiée en 1904 sans les passages de circonstance sous le titre révélateur de « La méthode pragmatique », et c'est cet article qui est retravaillé et étendu pour donner les passages correspondants à la méthode dans les leçons II, III uploads/Philosophie/ le-pragmatisme-william-james.pdf

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