Librairie Philosophique J. Vrin PASCAL ET LE « VIDE DU CŒUR » Author(s): D. Led

Librairie Philosophique J. Vrin PASCAL ET LE « VIDE DU CŒUR » Author(s): D. Leduc-Fayette Source: Revue des Sciences philosophiques et théologiques, Vol. 74, No. 1, Y A-T-IL UNE TRADITION FRANÇAISE EN PHILOSOPHIE ? (Janvier 1990), pp. 15-22 Published by: Librairie Philosophique J. Vrin Stable URL: https://www.jstor.org/stable/44407986 Accessed: 18-04-2020 12:12 UTC JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org. Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at https://about.jstor.org/terms Librairie Philosophique J. Vrin is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Revue des Sciences philosophiques et théologiques This content downloaded from 193.55.175.57 on Sat, 18 Apr 2020 12:12:07 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms fìev. Sc. ph. Ih. IA (1990) 15-22 PASCAL ET LE «VIDE DU CŒUR» par D. Leduc-Fayette «Que la nature a pour le vide une horreur invincible», tel est le principe, depuis l'Antiquité, objet de «consentement universel»1, dont Pascal s'est éloigné «par degrés» sous la contrainte de l'évidence expérimentale, pour conclure négativement : «Elle ne l'abhorre pas»2. La pesanteur et la pression de l'air sont la véritable cause d'un phénomène mal interprété, auquel on assigne une explication chimérique qui ne sert «qu'à couvrir l'ignorance»3 : l'horror vacui. Cette expression de surcroît est purement métaphorique si l'on considère que la nature, inanimée et insensible, est incapable d'aversion comme de sympathie. Pascal définit le vide comme une réalité qui «tient le milieu entre la matière et le néant sans participer ni à l'une ni à l'autre; [...] il diffère du néant par ses dimensions; [...] son irrésistance et son immobilité le distinguent de la matière : tellement qu'il se maintient entre ces deux extrêmes sans se confondre avec aucun d'eux»4. Pour Descartes, tout au contraire, la notion d'espace vide, vidé, était dépourvue de sens : «Puisqu'il y a en lui de l'extension il y a nécessairement aussi de la substance»5, écrivait-il. Tout cela est fort connu6. Mais nous voudrions montrer que s'il n'y a nulle répugnance des corps pour le vide, il n'en est pas de même pour les esprits. «Rien n'est si insupportable à l'homme»7. La métaphore abandonnée sur le plan naturel retrouve donc sur le plan spirituel vigueur et fécondité8. Il est vrai qu'il ne s'agit pas non plus du même vide. Le vide, en ce nouvel ordre, 1. Nous citons Pascal d'après l'édition Lafuma des Œuvres complètes , Paris, Éd. du Seuil, 1963, sous la référence Laf. (ou Fr. pour les Pensées). Ici Récit de la grande expérience des liqueurs , Laf. 225. 2. Traité de l'équilibre des liqueurs , Laf. 256. 3. Récit..., loc. cit. 4. Lettre à M. Le Pailleur , Laf. 210. 5. Descartes, Principes ..., II, § 16. 6. Cf. en autres : P. Guénancia, Du vide à Dieu. Essai sur la physique de Pascal, Paris, Maspero, 1976. Y. Belaval, «L'horreur du vide», Nouvelle Revue de Psychanaly- se, Paris, Gallimard, 1975, n° 11, p. 181-195. J.-P. Fanton d'Andon, L'horreur du vide, éd. du C.N.R.S., 1978. 7. Fr. 622. 8. Cf. M. Le Guern, L'image dans l'œuvre de Pascal, Paris, A. Colin, 1969. This content downloaded from 193.55.175.57 on Sat, 18 Apr 2020 12:12:07 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms 16 D. LEDUC-FAYETTE symbolise tout aussi bien avec le v qu'avec le plein physique puisque l'é exsangue, n'est rien d'autre que l'exté leur indéfinie juxtaposition, morn plénitude de la res extensa renvoie à l'on tombe d'accord avec Leibniz (si p que «ce qui n'est pas véritablement un être n'est pas non plus véritablement un être10. Or est-il besoin de rappeler que ce «un» qui ne fait pas nombre, dit la qualité, cette catégorie «toute proche de l'Être», comme le remarquera F. Ravaisson11, par différence avec la quantité, seul registre apte à exprimer le monde machine, le corps machine en leur vacuité - perinde ac cadaver 12 - ainsi que l'écrivait Descartes, bien conscient lui aussi du primat de la substance spirituelle. En vérité, le vide spirituel est pour Pascal plus que du vide (ou du plein) physique, la métaphore du néant métaphysique. Il y a chez l'auteur des Pensées , comme chez Bérulle ou Condren ou encore leur disciple et ami Saint- Cyran, l'emploi d'un vocabulaire «néantiste» qu'il convient d'explorer, en suivant la voie ouverte par Henri Gouhier13. Prenons donc comme fil conducteur les trois figures du néant bérullien, « Il y a trois sortes de néant : le néant duquel Dieu nous tire par la création, le néant où Adam nous met par le péché, et le néant où nous devons entrer avec le Fils de Dieu s'anéantissant soi-même pour nous réparer»14. La première désigne le néant créaturiel. «Mon néant» s'écrit Pascal15. Entendons ma finitude, ma dépendance, néant qui, après tout n'exprime qu'un état : je ne me suis pas donné d'être, et cet être qui m'est donné est limité. La seconde figure est celle du péché qui redouble le non-être de la contingence mais, de privation qu'il était, le métamorphose en refus par la position du non-être : le péché s'efforce de dé-créer. Et là est sans doute le «véritable néant parce qu'il est contraire à Dieu qui est le véritable être»16. Là où il n'y avait rien - c'est le seul sens recevable du ex nihilo - la création a fait être quelque chose. Là où il y a quelque chose, le péché déconstruit pour faire être le rien, ce qui, certes, ne se peut, mais telle est en son essence la finalité du vouloir maléfique. C'est pourquoi G. Bernanos voit dans le monde du Mal comme «l'ébauche 9. Cf. J. Guitton, Pascal et Leibniz. Étude sur deux types de penseurs, Paris, Aubier, 1951. 10. Cf. Lettre de Leibniz à Arnauld, éd. Prenant, Paris, Gamier, p. 202. 11. F. Ravaisson, «La philosophie de Pascal», Revue des deux mondes, 1887, p. 403. Cf. D. Leduc-Fayette, «La métaphysique de Ravaisson et le Christ», Études Philosophiques, 1984, n° 4, p. 511-527. 12. Descartes, Méditations métaphysiques, II, Œuvres, Pléiade, p. 276 «telle qu'elle paraît en un cadavre». 13. Cf. en particulier : H. Gouhier, B. Pascal. Conversion et apologétique, Pans, Vrin, 1986, chap. II, «Anéantissement»; Id., U anti-humanisme au xvne siècle, Paris, Vrin, 1987, p. 45-49 et notes p. 145. 14. Rérulle, Opuscules de piété, Paris, Aubier, 1944, n° XXX, p. 240. Cf. aussi J. Orcibal, La spiritualité de Sainl-Cyran avec ses écrits de piété inédits, Paris, Vrin, 1962, et le beau texte de G. Poulet dans Mesure de Vinslanl, Paris, Pion, 1968, sur Saint-Cyran. 15. Fr. 656. C'est le «non sum» de S. Jean-Baptiste! 16. Lettre de Pascal et de sa sœur Jacqueline à Mme Périer, Laf. 273. This content downloaded from 193.55.175.57 on Sat, 18 Apr 2020 12:12:07 UTC All use subject to https://about.jstor.org/terms PASCAL ET LE «VIDE DU CŒUR» 17 d'une création hideuse, avortée, à l'extrême limite de l salaire du péché, la damnation, consacrent négativemen opposition au non-être. La régénération seule peut nous ment du péché, à l'instar de la création qui nous a posé Ce second néant est le non-lieu propre à notre con dereliction où l'a plongé, par effet en retour en quelque suis séparé» confesse Pascal dans le Mémorial) le pé indéfiniment réactualisé par le péché actuel. Le pécheu son âme par l'inconstance, l'ennui au sens fort du terme au xvii*. J. Deprun a montré dans sa Philosophie de l'inquiétude1*, comment ces sentiments sont l'expression du vide intérieur cher aux spirituels du grand siècle pour lesquels le cœur apparaît tel un contenant. Malebranche n'écrivait-il pas : «Le vide des créatures ne (peut) remplir la capacité infinie du cœur de l'homme»19. P. Magnard explicite avec finesse la «spatialiation de la vie spirituelle», propre à cet âge baroque, et cette symbolique des «lieux du cœur»20, du cœur comme lieu, récipient. Quand Arnauld d'Andilly traduit le terme inanitas employé par S. Augustin dans les Confessions , par Vide du cœur 21 , la formule pourrait être de Bérulle, de Saint-Cyran, de Pascal, tant elle exprime fortement le sentiment aigu qui est le leur de notre foncière vacuité. Une grande partie des Pensées n'est qu'une suite de variations morbides sur un thème que l'on pourrait symboliser par la célèbre exclamation racinienne : «L'hor- reur d'une profonde nuit!» Si «la vie est un songe», selon le titre de l'ouvrage, très connu à l'époque, de Calderon, pour Pascal aussi, «personne n'a d'assurance [...] s'il veille ou s'il dort»22; il s'agit, en fait, d'un épouvantable cauchemar : «J'entre en effroi, comme un homme qu'on aurait porté endormi dans une île déserte et effroyable»23. Des schemes obsessifs énoncent la cécité et la surdité, la claustrophobie, les sensations de vertige liées à la chute : « La terre fondra et on tombera en regardant le ciel»24 à l'errance où à la dérive : «les fleuves de Babylone coulent et [...] entraînent»26, ou encore uploads/Philosophie/d-leduc-fayette-pascal-et-le-x27-vide-du-coeur-x27.pdf

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