ÉTUDES MUSULMANES XLI LE RÉEL ET LES RÉALITÉS Mulla ~adra Shirazi et la structu

ÉTUDES MUSULMANES XLI LE RÉEL ET LES RÉALITÉS Mulla ~adra Shirazi et la structure de la réalité par Cécile BONMARIAGE Ouvrage publié avec le concours du Centre national du livre PARIS LIBRAIRIE PHILOSOPHIQUE J. VRIN 6, Place de la Sorbonne, Ve 2007 En application du Code de la Propriété Intellectuelle et notamment de ses articles L. 122-4, L. 122-5 et L. 335-2, toute représentation ou reproduction intégrale ou par- tielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est iIlicite. Une telle représentation ou reproduction constituerait un délit de contrefaçon, puni de deux ans d'emprisonnement et de 150000 euros d'amende. Ne sont autorisées que les copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective, ainsi que les analyses et courtes citations, sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l'auteur et la source. © Librairie Philosophique J. VRIN, 2007 Imprimé en France ISSN 0531-1888 ISBN: 978-2-7116-1904-7 www. vrinfr INTRODUCTION La philosophie en terre d'islam, et plus particulièrement en islam iranien, n'est plus cette terra incognita qu'elle était jadis. Pour ce qui est de l'Iran, les travaux de Henry Corbin, pionniers en la matière, ont fait connaître au monde occidental le foisonnement des pensées qui y ont vu le jour, et d'autres ont depuis enrichi encore notre connaissance. Mais s'il est vrai que l'étude de la philosophie arabo- islamique progresse et que l'on ne doit plus considérer comme préalable nécessaire à toute recherche de rappeler« l'histoire des débuts de la philosophie chez les Arabes» 1, nous n'en sommes encore en maint domaine qu'au «hic sunt leones » des cartes d'antan: quelques noms émergent, certains débats sont connus mais nombre de textes restent encore à explorer. Sadr al-Dïn Shïrizi (m. 1050/1640) est l'un de ces penseurs dont le nom s'est distingué: le travail d'édition et de traduction de ses ouvrages entrepris ces dernières années, le nombre croissant d'études qui lui sont consacrées, témoi- gnent de l'intérêt que l'on porte aujourd'hui au philosophe de Shiraz2. Face à sa pensée, et à l'ampleur de son œuvre, l'on se trouve encore bien démuni cependant, et si l'on est ravi par l'étendue des domaines où s'est exercée la réflexion du philo- sophe, l'on se demande comment se repérer dans un tel foisonnement de textes et par quel côté en aborder l'étude. Nous avons ici choisi de situer notre questionnement au cœur même de la compréhension du réel proposée par Mulli Sadrii. L'on sait qu'à partir d'une intuition de l'acte d'être (wujiid) comme réalité fondatrice de l'ensemble de ce qui est, Sadrii construit une métaphysique où, du plus haut degré qu'est l'Être subsis- tant par soi aux êtres toujours déficients qui ne sont que par Lui, tout participe, à sa mesure, de l'être. Ce que nous entendons clarifier est la façon dont Sadrii pense cette participation du tout à une même réalité et la manière dont il conçoit la 1. A. M. Goichon,lA distinction de l'essence et de ['existence d'après Ibn S;nii (Avicenne J, Paris, 1937 (désormais cité lA distinction), p. IX. 2. Notre travail étant achevé avant la parution du récent livre de Ch. Jambet, L'acte d'être, il n'a pu, à notre regret, bénéficier des réflexions qui y sont développées. De façon générale, notre texte n'a plus été révisé après 2003, date à laquelle notre manuscrit à été soumis aux éditeurs. 8 INTRODUCTION distinction et la réalité propre des différents niveaux de l'être. En un mot: comment se structure la réalité pour Mulla Sadra et quel type de métaphysique de l'êtreentend-t-il défendre dans ses écrits? Ce faisant, nous aurons également à nous interroger sur la spécificité du système ainsi mis en place, ainsi que sur l'apport propre des différents courants sur base desquels il se construit. D'autres pensées développées dans la tradition arabo- islamique partagent en effet une conception du réel comme participation du tout à une même réalité et c' est en intégrant en une synthèse nouvelle différents éléments présents dans celles-ci que Sadra élabore son propre discours. Ainsi, l'intuition fondamentale de la métaphysique ~adrienne est proche de celle du courant initié par le Shaykh al-akbar, Ibn 'Arabï (m. 638/1240), et systématisé dans l'École se réclamant de lui, l'École de l'Unicité de l'être (waMat al-wujüd). La méta- physique de la lumière défendue par Suhrawardï (m. 58711191) et le courant ishraqï à sa suite, est une autre tentative, différente à bien des égards, de penser la participation, qui se montrera tout aussi importante dans la pensée de Sadra. Il s'agira donc de préciser quelle est la place de la métaphysique 'ladrienne par rapport à ces divers courants, mais aussi par rapport à la tradition philosophique héritière d'Avicenne, qui demeure à l'époque le socle de la formation philo- sophique, et par rapport à des textes comme la Théologie dite d'Aristote, qui exerce une grande influence dans le milieu de Sadra. Ce qui nous intéressera, au-delà d'une analyse de la façon dont Mulla Sadra comprend ses prédécesseurs, sera ainsi de voir comment il combine ces différents courants aux intuitions méta- physiques parfois difficilement conciliables. Cela nous amènera d'une part, à tenter de définir ce qui constitue le propre de la pensée de Sadra, le fond de sa conception métaphysique, et d'autre part, à nous interroger sur la cohérence de son système. On a dit en effet que celui-ci serait tiraillé entre différentes exigences, en particulier entre une volonté de tenir la consistance ontologique des existences particulières -et donc la multiplicité dans le réel-et un désir de préser- ver la transcendance absolue de Dieu, l'affirmation de l'unicité (taw/;lïd) comprise comme ne pouvant être traduite que par l'idée que «seul Dieu est», bref, qu'il serait parcouru par une tension impensée entre pluralisme et monisme absolu. Cette question de la cohérence interne du discours métaphysique ~adrien a été posée pour la première fois par F. Rahman l, Selon lui, sous l'influence de la pensée akbarï, et alors même que son intuition fondamentale est l'affirmation de la pluralité au sein de la réalité de l'être, Sadra en viendrait dans certains textes à présenter une conception monadique de l'être, «où, face à Dieu, les contingents disparaissent littéralement dans le non-être» 2, Parfois, Rahman évoque l'idée que ces textes pourraient refléter différentes époques dans le développement de la pensée de Mulla Sadra, l'idée de pluralité étant la conception de Sadra dans sa maturité, mais en tout état de cause, il y a bien pour Rahman dans les textes de 1. F. Rahman, The Philosophy of Mulla Sadrii (Sadr al-Din Shiriizi), Albany, 1975 (désonnais cité The Philosophy),p. 37-4I. 2./bid.,p.37. INTRODUCTION 9 Sadra tension et même contradiction entre deux conceptions du réel irréconci- liables. Par une lecture serrée de différents textes, nous tenterons de déterminer si, en effet, ces passages ne peuvent être compris que comme reflétant une contradiction dans le discours de Mulla Sadra, ce dernier ne tenant pas toujours jusqu'au bout ce qui serait sa conception propre, ou s'il est possible de les voir comme deux moments indispensables du discours sur le réel, de les considérer comme pensés par $adrii lui-même, comme deux aspects à tenir ensemble, malgré la difficulté certaine de la chose. Après quelques remarques préliminaires concernant la vie de Mulla Sadra et la façon dont il conçoit l'activité philosophique, nous dégagerons les deux principes fondamentaux de la métaphysique ~adrienne que sont l'affirmation de la primauté de l'être comme réalité, qui la rapproche du courant akbarï, et le caractère modulé de celui-ci, qui l'en éloigne mais la rapproche du courant ishraqi. Nous nous attacherons ensuite à déterminer comment ces fondements sont mis en œuvre dans la façon dont Mulla Sadra exprime le déploiement de la réalité de l'être, et si ces exposés ne sont pas parfois en désaccord avec les options premières définies dans ces principes. Enfin, sur la base des résultats ainsi obtenus, nous nous interro- gerons sur la sauvegarde de la transcendance du Principe premier, ainsi que sur l'unité et la multiplicité de la réalité. La pensée ne se comprenant jamais si bien qu'à travers la lecture des textes où elle s'écrit, nous accompagnerons notre analyse d'une traduction de passages ayant directement trait aux questions abordées ici. Ces textes, extraits de deux œuvres de Sadra aux dimensions bien différentes -les Attestations seigneuriales (al-Shawiihid al-rububiyya), abrégé de philosophie reprenant les éléments princi- paux du système ~adrien, et les Quatre voyages de l'intellect (al-Asfor al-'aqliyya al-arba 'a), somme dont l'édition comprend neuf volumes - constituent la deuxième partie de cet ouvrage. Remerciements Cet ouvrage est l'aboutissement de recherches entreprises avec le soutien financier du Fonds National de la Recherche Scientifique dans le cadre d'une thèse de doctorat défendue en 1998 à l'Institut Supérieur de Philosophie de l'Université catholique de Louvain. Il doit beaucoup à tous ceux, Professeurs, parents et amis qui, par leurs remarques, suggestions et encouragements ont contribué à son achèvement. Qu'ils trouvent ici l'expression de toute ma gratitude. PREMIÈRE PARTIE EXPOSÉ THÉORIQUE PRÉLIMINAIRES ÉLÉMENTS D'UNE VIE Les données précises concernant la vie de Mulla Sadra sont peu nombreuses. Quelques dates, quelques noms de maîtres et uploads/Philosophie/ bonmariage-celine-le-reel-et-les-realites.pdf

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