VOTRE DOCUMENT SUR LABASE-LEXTENSO.FR - 16/05/2020 13:06 | UNIVERSITE DE SAVOIE

VOTRE DOCUMENT SUR LABASE-LEXTENSO.FR - 16/05/2020 13:06 | UNIVERSITE DE SAVOIE La liberté de l'enseignement dans la séparation des Églises et de l'État (1879-1905) (1) Issu de Revue du droit public - n°3 - page 617 Date de parution : 01/05/2006 Id : RDP2006-3-006 Réf : RDP 2006, p. 617 Auteur : Par Pierre-Henri Prélot, Professeur à l'Université de Cergy-Pontoise, Directeur de l'École doctorale droit et sciences humaines De la liberté de l'enseignement qui constitue le support juridique de l'enseignement privé, Jean Rivero disait qu'elle est la mal-aimée de nos libertés publiques. On se propose dans la réflexion qui suit de remonter aux quelques 25 années qui vont de la séparation de l'Église et de l'École aux lendemains de la séparation des Églises et de l'État en 1905, afin de chercher à expliquer ce paradoxe d'une liberté de l'enseignement reconnue et garantie par ceux-là même qui ont fait l'école publique républicaine, laïque et gratuite. SOMMAIRE I. _ LA QUESTION DE LA LIBERTÉ DE L'ENSEIGNEMENT A. _ Le refus du monopole B. _ Le contrôle étatique de l'enseignement privé II. _ LA QUESTION RELIGIEUSE A. _ Les écoles congréganistes B. _ La laïcisation du personnel enseignant Comme on le sait la séparation de 1905 a été précédée par une autre séparation, tout autant sinon même plus importante encore, celle de l'Église et de l'École publique, à partir de 1879. Dès 1871, Léon Gambetta avait formulé ses voeux pour la République nouvelle, alors bien incertaine et fragile : « Je désire de toute la puissance de mon âme non seulement qu'on sépare les Églises de l'État, mais qu'on sépare les écoles de l'Église »2. Les Républicains du 4 septembre avaient parfaitement compris que pour faire évoluer les mentalités, et détacher les Français d'une Église qui se désespérait d'un roi, l'École devait enseigner résolument à l'enfant les valeurs communes de la Patrie, de la République et de la Démocratie. Ainsi que le disait au même moment Jean Macé, fondateur de la Ligue de l'enseignement, « qui tient les écoles de France, tient la France »3. Les grandes lois scolaires établissant l'obligation de l'instruction, la gratuité et la laïcité de l'École publique ont donc précédé d'une vingtaine d'années la séparation des Églises et de l'État, séparation à laquelle la République des opportunistes ne se sentait pas encore tout à fait prête dans les années 1880-1900, et dont le ralliement de Léon XIII avait permis aux catholiques de repousser momentanément le spectre. On connaît aujourd'hui plutôt bien cette histoire de l'émancipation religieuse de l'École publique, et son rôle central dans la construction de la culture et de l'identité laïques en France. « La laïque », c'est le nom qui a été donné longtemps à l'École publique. En revanche, lorsqu'on interroge cette histoire, on est volontiers surpris aujourd'hui de ne pas y retrouver une composante majeure de la tradition laïque française, à savoir la revendication en faveur du service public national de l'enseignement, et contre l'enseignement privé confessionnel. Autrement dit la nationalisation de l'enseignement, le « monopole »4, qui a fait partie des revendications de la gauche française depuis qu'elle a commencé à exister politiquement, ne figure pas au programme des Républicains qui ont fait l'école publique. Ou plus exactement le parti radical ne parviendra jamais, tout au long de ces années qui précèdent la Séparation, à se rallier complètement à la thèse du monopole de l'enseignement, « oscillant » comme a pu l'expliquer Ferdinand Buisson5, entre le monopole et la liberté de l'enseignement que finalement ils ne se résigneront jamais à supprimer. Durant toutes ces années de laïcisation scolaire, et particulièrement entre 1879 et 1886, l'existence d'un enseignement privé catholique n'a pas été remise en cause, au contraire celui-ci est même ressorti de l'affrontement consolidé dans ses fondements6, ce qui ne veut pas dire que la période a été pour lui facile. L'Église catholique a su de son côté tirer parti de l'obligation scolaire, en étendant son maillage par l'ouverture d'écoles privées nouvelles. La laïcisation de l'école publique, au sein de laquelle la loi Falloux lui avait jusqu'ici permis d'être massivement présente, ne faisait d'ailleurs qu'en renforcer à ses yeux l'urgence et l'absolue nécessité7. Au tournant du siècle, l'enseignement catholique continue à scolariser le quart des enfants du primaire et plus de la moitié des enfants du secondaire8, chiffres qui à eux seuls attestent que si les lois scolaires ne sont pas restées sans effet sur l'enseignement privé, elles sont loin en tout cas de l'avoir anéanti. I. _ LA QUESTION DE LA LIBERTÉ DE L'ENSEIGNEMENT A. _ Le refus du monopole On a pu expliquer par des considérations de réalisme ou encore de stratégie ce paradoxe d'une République acharnée de toute sa force à restaurer l'unité de la nation, et laissant dans le même temps l'Église confortablement installée dans ses propres écoles pour continuer à y diffuser son message particulier. Et de fait il aurait sans doute été difficile sinon impossible d'accueillir d'un coup toute la jeunesse de France dans des écoles publiques qui n'existaient pas encore, faute de locaux, faute de moyens financiers, faute surtout d'un corps d'instituteurs formés dans les écoles normales de la République en nombre suffisant. Une autre considération tient dans les graves conséquences politiques qui auraient pu résulter de la fermeture immédiate et brutale de toutes les écoles privées. Attaquer l'Église dans son activité enseignante c'était pour les républicains courir le risque de voir s'éloigner d'eux une partie de la population pourtant disposée à les soutenir par ailleurs dans leur programme, et qui leur donnait les majorités à la Chambre. Bien entendu « les républicains eussent sans doute été pleinement satisfaits, s'ils avaient pu faire disparaître l'enseignement libre catholique »9. Mais dans la mesure où cela n'était pas possible la seule solution consistait à investir massivement dans la mise en place d'un enseignement public laïc de qualité, et d'en encourager l'accès par la gratuité. Incontestablement cette politique « conciliante » apparaît marquée du sceau de l'opportunisme des républicains alors au pouvoir. Ces explications classiques ne manquent pas de pertinence. Elles sont néanmoins insuffisantes pour comprendre ce qui pourrait aujourd'hui facilement apparaître comme une étonnante passivité de la part des républicains face à la question de l'enseignement privé essentiellement 1/7 catholique qu'ils détestaient pour la plupart. Les années de la République anticléricale sont marquées par des affrontements extrêmement violents, et l'on peut légitimement penser que les hommes alors au pouvoir n'auraient pas hésité à engager un rapport de force sur la question de la liberté de l'enseignement10, si d'autres raisons ne les en avaient pas détournés. Précisément, et c'est ce qu'on voudrait expliquer dans le présent exposé, les raisons de ce paradoxe tiennent dans le fait que les républicains de l'époque sont fondamentalement des libéraux, et qu'ils sont en quelque sorte « prisonniers » de cette contradiction, consistant d'un côté à vouloir mettre en place un système d'instruction publique afin de consolider définitivement les institutions républicaines et la démocratie, et de l'autre à garantir l'absolue neutralité de l'État en matière de conscience. La liberté de l'enseignement leur apparaît alors comme un compromis certes pas complètement satisfaisant, mais néanmoins nécessaire, pour protéger la liberté de conscience de ceux qui refusent encore l'école publique laïque, en attendant de les convaincre un jour. Ainsi que le résume Pierre Chevallier « (les républicains) reculèrent toujours, en raison du fait qu'ils étaient prisonniers de leur libéralisme plus ou moins théorique, devant l'institution du monopole de l'enseignement au moyen de l'école unique. Les partisans de cette dernière (et il faut reconnaître la logique de leur position) voulaient... la nationalisation de tous les enseignements au bénéfice de l'État et sous son contrôle... »11. Ce débat si controversé sur le monopole a bien fini par venir au Sénat, à l'automne 1903, à propos d'un projet de loi Chaumié (en charge de l'Instruction publique dans le Ministère Combes) « sur l'enseignement secondaire libre »12. La commission sénatoriale ayant durci le projet initial en substituant au régime déclaratif de la loi Falloux un régime d'autorisation préalable par décret13 qui remettait en cause directement le droit de fonder librement des écoles, la question de la liberté de l'enseignement se retrouve propulsée au centre de la discussion. Et c'est Georges Clemenceau, dans son grand Discours pour la liberté du 17 novembre 1903, qui vient défendre énergiquement ce libéralisme idéologique qui forme alors encore le fond de la doctrine républicaine : « Je repousse l'omnipotence de l'État laïque parce que j'y vois une tyrannie... « Nous avons fait la Révolution française. Nos pères ont cru pour s'affranchir ; pas du tout, c'était pour changer de maître... Nous chassons Dieu, comme disent ces messieurs de la droite, vive l'État-Dieu ! « Parce que je suis l'ennemi du roi, de l'empereur et du pape, je suis l'ennemi de l'État omnipotent, souverain maître de l'humanité... « Et vous cherchez un dogme ! L'Église possède son dogme ; elle sait très bien pourquoi il lui faut le monopole de l'enseignement (...) « Mais nous, où est notre dogme ? Que suis-je en mesure d'imposer comme vérité absolue uploads/Philosophie/la-liberte-de-lenseignement-dans-la-separation-des-eglises-et-de-letat-1879-1905-1-16-05-2020-13-06-39.pdf

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