juin 2, 2013 L’ORIGINE DES ESSÉNIENS… ET QUMRÂN Étienne NODET, o. p. École Bibl

juin 2, 2013 L’ORIGINE DES ESSÉNIENS… ET QUMRÂN Étienne NODET, o. p. École Biblique POB 19053 Jérusalem-IL <nodet@ebaf.edu> RÉSUMÉ Les esséniens de Qumrân se qualifient de « fils de Sadoq » ; ils ont donc le même nom que les sadducéens, en dépit d’évidentes différences. En fait, l’examen de différents textes (Ben Sira, Qumrân, Josèphe) permet de considérer qu’ils représentent deux branches d’une même réalité issue d’Égypte, avec le même calendrier, et s’efforçant de promouvoir un renouveau de l’autorité scripturaire en Judée, dans la seconde moitié du IIe siècle av. J.-C. : d’abord les sadducéens, opposés aux traditions pharisiennes d’origine babylonienne et très populaires avec leur calendrier lunaire, ont constitué un mouvement strictement judéen, et un important document de Qu- mrân s’y rattache (4 QMMT) ; ensuite, les esséniens ont gardé une angélologie locale et importé d’Égypte une forme de vie largement pythagoricienne, ce qui les a conduits, par la croyance en l’immortalité de l’âme, à re- modeler l’eschatologie biblique. Quant à l’éponyme Sadoq, il n’est autre que le grand prêtre qui selon une tradi- tion a révélé à David la Loi écrite (Tora), dissimulée dans l’Arche depuis la mort d’Éléazar fils d’Aaron et de Josué. SUMMARY The Qumran Essenes are “sons of Zadok”, so they sport the same name as the Sadducees, in spite of obvious differences. An assessment of some texts (Ben Sira, legal DSS, Josephus) allows us to suggest that they are the two faces of the same coin, of Egyptian origin and with the same calendar: both endeavored to renew the author- ity of Scripture in the second half of the 2nd cent. BC. First the Sadducees, a Judean movement, strove to chal- lenge the popular Pharisean traditions, of Babylonian origin and faithful to the lunar calendar; a major Qumran document is connected with them (4 QMMT). Then came the Essenes, who kept a local angelology and import- ed from Egypt a way of life that can be termed Pythagorean, broadly speaking; this led them, with the belief in the immortality of souls, to reshape Biblical eschatology. They took Zadok as an eponym, because he was the high priest who according to tradition revealed to David the written Law (Torah), which was hidden in the Ark since the death of Eleazar and Joshua. Introduction Les esséniens, connus depuis les descriptions au Ier siècle dues à Philon d’Alexandrie, Flavius Josèphe et Pline l’Ancien, ont suscité de l’intérêt à différentes époques : dans l’Antiquité, ceux qui les mentionnent s’émerveillent de leur ascétisme ; à partir des Lumières, des francs-maçons déistes y voient le modèle de ce qu’aurait dû être le christianisme, ce qui va susciter des enquêtes historiques souvent incertaines ; enfin, à partir de 1947, la décou- verte des manuscrits de la mer Morte a renouvelé durablement l’intérêt à leur égard, du fait d’incontestables parentés avec les esséniens. Cependant, la bibliothèque recueillie est vaste, incluant de nombreux textes bibliques. Comme elle est due à un grand nombre de copistes, il n’y a pas de raison d’être certain que tout soit essénien. Deux thèmes principaux restent débattus : d’une part, il y a une similitude nette entre la céramique des grottes à manuscrits et celle du site voisin de Qumrân, fouillé à partir de 1951, et l’on discute encore du rapport entre cet établissement et les esséniens. D’autre part, leur origine reste discutée, ainsi que le sens de leur nom, le point de repère étant une notice de Josèphe qui les mentionne au temps de Jonathan, le premier grand prêtre asmonéen (152- 143). La présente étude s’attache surtout à la seconde question, qui est la plus importante et qui a des conséquences pour la première. On introduit deux catégories de considérations : en premier lieu, une discussion historique liée à Josèphe et aux trois fameuses écoles juives qu’il décrit, d’où il ressort que la notion courante de « dynastie sadocide » ne repose sur rien d’identifiable ; ensuite, un examen de diverses sources rabbiniques, montrant une parenté 2 ÉTIENNE NODET profonde avec les esséniens. Ces rapprochements, combinés avec l’examen d’autres sources (Philon, Siracide), permettront de situer en Égypte l’origine lointaine des esséniens, proba- blement apparus en Judée sous Jean Hyrcan (134-104) ou peu avant. Cependant, l’histoire ultérieure des esséniens et la question de leur incidence possible sur le christianisme primitif ne seront pas directement abordées. La méthode employée tient en deux points : le premier est que la documentation est pré- caire et que les faits prouvés sont rares ; ainsi les hypothèses qui vont être proposées sont simplement fondées sur un critère de commodité, c’est-à-dire qu’elles s’efforcent de rassem- bler le plus grand nombre possible d’éléments épars. Le second point est que les diverses théories sur l’origine et la nature des esséniens se sont concentrées sur l’interprétation de leur nom, car les données disponibles paraissent contradictoires, ou sérieusement retravaillées par Philon et Josèphe en fonction de leurs perspectives propres. Pour cette raison, on commence par passer en revue les principales propositions, avant et après les découvertes de Qumrân ; chacune d’elles s’attache à quelques aspects, laissant d’autres dans l’ombre. Pour alléger l’exposé, on ne présentera en détail que le bref passage de Pline, les longues notices de Phi- lon et Josèphe étant supposées suffisamment connues. La conclusion d’ensemble sera de revenir à des hypothèses fort anciennes, étoffées par des considérations sur les « philosophies » de Josèphe et sur des aspects non pharisiens des sources rabbiniques. I – Réflexions anciennes sur les esséniens Philon et Josèphe ont écrit en grec, et Pline l’Ancien en latin. Ces témoins ont été recon- nus comme indépendants. Josèphe présente plusieurs fois les esséniens en compagnies des deux autres écoles que sont les pharisiens et les sadducéens ; comme ces deux termes sont manifestement des transcriptions d’originaux araméens (ou peut-être hébreu pour « saddu- céen »), on est amené à supposer qu’il en est de même pour « esséniens » ; cependant, rien n’a pu être clairement tiré des sources bibliques ou rabbiniques. De plus, la notice sur ces écoles sous Jonathan (AJ 13:171-172) suggère qu’elles existaient lors de la crise macca- béenne (167-164), alors qu’on ne voit pas comment elles ont pu intervenir. Ces circonstances expliquent une difficulté persistante à identifier les esséniens et leurs origines. En 1864, Ch. Ginsburg publia une étude détaillée, où il prit la peine de donner toutes les sources, ainsi qu’un résumé des travaux jusqu’en 18591. Presque un siècle plus tard, S. Wa- gner donna une revue complète depuis les Lumières jusqu’en 1947, date des premières dé- couvertes de manuscrits2. Voici un aperçu de la naissance des diverses hypothèses, souvent motivées par des considérations apologétiques ou idéologiques ; elles sont présentées en ordre chronologique, pour montrer la coexistence de diverses tendances qui souvent s’ignorent. Sauf rares exceptions, elles ne sont pas discutées. I Dans le monde chrétien jusqu’à la Réforme, on s’en tenait à l’affirmation d’Eusèbe, que les esséniens étaient simplement une branche judéenne des thérapeutes décrits par Philon, ceux-ci se rattachant aux premiers chrétiens3 (Eusèbe, HE 2.17 et 8.12.4-6). Au XVIe siècle, les réformateurs déclarèrent au contraire que thérapeutes et esséniens étaient des moines juifs, et que le monachisme chrétien n’était qu’un retour à une pratique juive inconnue du NT ; 1 Ch. D. GINSBURG, The Essenes, Their History and Doctrines. An Essay, London, 1956 (édition originale 1864). 2 S. WAGNER, Die Essener in der wissenschaftlichen Diskussion : Vom Ausgang des 18. bis zum beginn des 20 Jahrhunderts. Eine wissenschaftsgeschichtliche Studie (Zeitschrift zur Alttestestamentlichen Wissenschaft, Beischrift 79), Berlin, 1960 ; il signale quelque 1 000 travaux, traitant directement ou non des esséniens. 3 Suivant l’évangélisation de Marc ; Philon lui-même, qui était allé à Rome en 40, y aurait rencontré Pierre, d’où une légende durable selon laquelle il était devenu chrétien, cf. D.T. RUNIA, Philo in Early Christian Litera- ture (Compendia Rerum Iudaicarum ad Novum Testamentum, III/3), Minneapolis, 1993. L’ORIGINE DES ESSÉNIENS… ET QUMRÂN 3 catholiques et anglicans réagirent en conséquence, maintenant que les thérapeutes étaient chrétiens, et que Jésus était une sorte de moine. En 1573, le savant juif Azarya dei Rossi, un bon connaisseur des antiquités classiques et le premier à soumettre les traditions rabbiniques à un examen critique, publia une somme de ses travaux, où figure un passage sur les esséniens4. Il offre deux opinions, et préfère la se- conde. La première est que les esséniens constituaient un mouvement juif de langue grecque, identique aux thérapeutes de Philon et aux « boéthusiens » du Talmud : le nom de ceux-ci ביתוסים peut se décomposer en araméen איסיאי בית, et un passage talmudique (b.Shab 108a) en signale un qui s’exprime en grec. Il ne fait pas de lien explicite avec la racine אסא « soigner ». La seconde part de l’observation que Josèphe ne dit pas qu’ils soient hellénisants ; de plus, Abot deR. Nathan 5:2 indique que sadducéens et boéthusiens furent des mouvements ju- meaux, jugés apostats, et qu’ils étaient dénommés d’après leurs fondateurs Sadoq5 et Boéthus (ביתוס), disciples d’Antigone, lui-même disciple de Simon le Juste (vers 200 av. J.-C.) ; dans uploads/Philosophie/lorigine-des-esseniens-et-qumran.pdf

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