Penser l’éducation Philosophie de l’éducation et histoires des idées pédagogiqu

Penser l’éducation Philosophie de l’éducation et histoires des idées pédagogiques 49 | 2021 Varia Problème et vérité dans la pensée éducative contemporaine Problem and truth in contemporary educational thought Alain Firode Édition électronique URL : https://journals.openedition.org/pensereduc/432 DOI : 10.4000/pensereduc.432 ISSN : 2825-2772 Éditeur Presses universitaires de Rouen et du Havre Édition imprimée Date de publication : 1 décembre 2021 Pagination : 57-76 ISSN : 1253-1006 Référence électronique Alain Firode, « Problème et vérité dans la pensée éducative contemporaine », Penser l’éducation [En ligne], 49 | 2021, mis en ligne le 01 décembre 2022, consulté le 16 décembre 2022. URL : http:// journals.openedition.org/pensereduc/432 ; DOI : https://doi.org/10.4000/pensereduc.432 Creative Commons - Attribution - Partage dans les Mêmes Conditions 4.0 International - CC BY-SA 4.0 https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/ Penser l’éducation, no 49, 2021 Problème et vérité dans la pensée éducative contemporaine Alain Firode La mise en vedette de la notion de « problème », dans la pensée pédagogique contemporaine, semble s’être accompagnée d’une critique corrélative de la notion de « vérité », entendue dans son sens réaliste de correspondance entre la pensée et le réel. Envisager l’apprentissage comme un processus de « résolution de pro- blème », comme nous y invitent les didacticiens de la « situation-problème », im- pliquerait nécessairement de rompre avec l’idée de la connaissance conçue comme représentation adéquate de la réalité (Fabre, 1999). La conception classique de la vérité, pense-t-on, serait solidaire d’une approche autoritaire et dogmatique du savoir, liée aux pratiques enseignantes traditionnelles, celles-là mêmes auxquelles le progressisme éducatif actuel entend mettre un terme. D’où la faveur dont jouissent, chez de nombreux didacticiens des sciences contemporains, les théo- ries épistémologiques qui, telles l’épistémologie pragmatiste de John Dewey ou l’épistémologie génétique constructiviste de Jean Piaget, n’envisagent plus la connaissance scientifique comme une « quête de la vérité », mais bien plutôt comme une entreprise visant à organiser et à enrichir nos interactions avec l’en- vironnement, la science ne valant plus par sa prétention à dévoiler la « réalité vraie » cachée derrière les apparences, mais par sa capacité à conférer ce qu’il est convenu d’appeler du « sens » à notre expérience individuelle et collective. La présente étude se propose d’interroger les raisons censées justifier cette contradiction, apparemment admise comme allant de soi par la pensée pédago- gique actuelle, entre la connaissance pensée comme « résolution de problème » et la connaissance pensée comme « représentation adéquate du réel ». Une épis- témologie qui envisage la science comme une « quête de la vérité » conduit-elle fatalement à promouvoir une pédagogie autoritaire, insoucieuse du sens des savoirs et ignorante de leur dimension problématique ? Inversement, une « pé- dagogie du problème » doit-elle forcément faire l’économie de toute référence à la conception réaliste de la vérité ? Nous nous appuierons plus particulièrement, pour discuter ces questions, sur la pensée de Karl Popper. L’épistémologie poppérienne, en effet, a ceci de remarquable, concernant notre interrogation, qu’elle soutient en même temps deux thèses tenues pour inconciliables par les auteurs auxquels nous venons de faire référence : à savoir, d’une part, que la science a pour but la connaissance de la vérité au sens absolu et réaliste du terme ; d’autre part, que toute connaissance 58 Alain Firode consiste fondamentalement en un processus de résolution de problème. Autrement dit, la philosophie de Popper présente, au regard des conceptions fré- quemment exprimées dans la pensée pédagogique actuelle, le caractère para- doxal d’être tout à la fois et une épistémologie du problème et une épistémologie de la vérité. De là, comme nous tenterons de le montrer, l’intérêt d’user des concepts poppériens pour remettre en cause les dichotomies précédemment évoquées et, par là même, tenter d’écarter les soupçons qui pèsent bien souvent sur l’idée classique de vérité et la conception du savoir qui s’y rapporte. Nous commencerons pour cela par rappeler les principales thèses épistémo- logiques censées justifier l’existence d’une contradiction entre connaissance comme « résolution de problème » et connaissance comme « quête de la vérité » (1) ; celles-ci ayant été dégagées, nous nous appuierons sur les apports de la pensée poppérienne pour en discuter le bien-fondé (2) et esquisser une nouvelle approche, à la fois épistémologique et pédagogique, du processus de résolution de problème et de son rapport à la vérité (3), l’objectif final de ces analyses étant d’établir qu’une pédagogie du problème est possible, qui n’implique pas forcé- ment de regarder comme illusoire l’ambition du savoir scientifique à parler de la réalité même du monde. 1. Les pédagogies de la « situation-problème » et la critique de la notion de vérité Quels sont les présupposés épistémologiques sur lesquels repose, chez les di- dacticiens contemporains, la théorie de l’apprentissage par « situations-problème » ? En quoi ces présupposés conduisent-ils à disqualifier la conception classique et réa- liste de la vérité ? 1.1. La connaissance comme processus de résolution de problème La base épistémologique des pédagogies de la situation-problème nous pa- raît résider dans la thèse, initialement formulée et développée par Dewey, selon laquelle la connaissance n’est pas une activité spontanée du sujet mais une réac- tion, un effort pour réinstaurer un équilibre troublé par l’apparition d’une per- turbation. Autrement dit, un processus de « résolution de problème » : « Tout ce qu’on peut dénommer “connaissance” ou “objet connu” désigne une question à laquelle une réponse a été apportée, une difficulté surmontée, la dissipation d’une confusion, une incohérence muée en cohérence, une perplexité maîtri- sée » (Dewey, 2008, p. 243). Ainsi convient-il, selon ce point de vue, de considé- rer les savoirs comme des tentatives de « solution », des essais de « réponse » (et non comme des « représentations » plus ou moins adéquates du réel). Dès lors, c’est en amenant l’élève à réeffectuer la genèse d’une théorie à partir du pro- blème dont elle prétend être solution que nous le mettons en condition d’en Problème et vérité dans la pensée éducative contemporaine 59 comprendre réellement la signification et la valeur, et non plus en lui exposant simplement celle-ci de façon méthodique. Tel est, en deux mots, le principe gé- néral dont découlent les pratiques pédagogiques novatrices prônées par les di- dacticiens de la situation-problème. La façon dont ces derniers conçoivent la démarche d’apprentissage est en- core liée à une autre thèse épistémologique, plus générale, qui fait de la connais- sance dans son ensemble un processus de type adaptatif. Selon ce point de vue, la connaissance n’est pas l’acte d’un sujet transcendant, s’efforçant de décrire fi- dèlement le monde de l’extérieur à la façon d’un « spectateur » contemplatif, mais l’activité d’un être engagé dans une réalité naturelle dont il fait irrémédia- blement partie (« le connaître est quelque chose qui se produit au sein de la na- ture », non pas « l’acte d’un spectateur se tenant en dehors de la scène naturelle et sociale, mais l’acte d’un participant1 » [Dewey, 2008, p. 261 et 212]). Ainsi, pen- sée en termes de résolution de problèmes, la connaissance n’apparaît-elle plus comme un moyen d’accès au réel, comme une « quête de la vérité », mais comme une modalité particulière d’échange avec l’environnement, une forme naturelle de comportement biologique (celui que Dewey désigne par le terme d’« en- quête ») dont la fonction est de réaliser au mieux un équilibre d’ordre cognitif entre l’organisme et son milieu (Dewey, 1993). D’où il suit, pédagogiquement parlant, qu’enseigner une science ne consiste pas à transmettre (verbalement) à l’élève un ensemble de résultats supposés « vrais », mais à placer celui-ci dans une situation (la « situation-problème » des didacticiens) spécialement aménagée pour l’amener à produire un nouvel équilibre cognitif, plus riche car plus com- plexe. Les connaissances figurant dans un programme d’enseignement, dans ces conditions, ne peuvent être qualifiées de « vraies » que dans un sens qui ne doit plus rien à la définition classique et réaliste du terme. Non plus pour signifier qu’elles décriraient en quelque façon la réalité objective du monde, mais seule- ment pour dire qu’elles peuvent être utilisées dans le cadre d’une nouvelle en- quête, comme prémisses d’un nouveau processus de résolution de problème. Comprise en ce sens, il n’est de « vérité » que provisoire, toute enquête pouvant déboucher sur une remise en cause de ses propres présupposés (Dewey, 1993, p. 209 et suiv.). À l’inverse, les méthodes dites « traditionnelles », selon ce point de vue, ne seraient jamais que la conséquence de l’assimilation de la connaissance à un cor- pus de propositions supposées « vraies » parce que conformes à la réalité. Ce pré- supposé épistémologique étant admis, en effet, l’enseignement d’une science semble inévitablement devoir se confondre avec l’exposition verbale, méthodique 1. Dewey attribue ce désengagement par rapport à la réalité à une conduite de fuite devant le risque et l’incertitude que comporte toute action concrète. C’est pour s’assurer d’un univers « sans surprise » que les Grecs de l’époque classique auraient été amenés à privilégier le monde des abstractions intellectuelles, où la rencontre de l’événementiel se trouve exclue par principe (Dewey, 2008). Sur ce point, l’analyse de uploads/Philosophie/ pensereduc-432.pdf

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