Entre dissidence politique et dissidence littéraire : le dialogue Marguerite de

Entre dissidence politique et dissidence littéraire : le dialogue Marguerite de Valois-Brantôme Éliane Viennot Résumé | Index | Plan | Notes de l’auteur | Texte | Notes | Citation | Auteur Résumés FrançaisEnglish L’article s’intéresse aux œuvres de deux des plus importants mémorialistes de la Renaissance française, œuvres nées de leur dialogue prolongé et de leur situation de « grands » en difficulté avec le pouvoir. Après avoir rappelé le parcours politique de chacun et l’état d’esprit qui les conduisit à la démarche mémorialiste, il met en regard la dissidence politique et l’inventivité littéraire dont Brantôme et Marguerite de Valois firent preuve, quoique dans des directions différentes, puisque l’œuvre de la reine allait servir de modèle au grand genre des mémoires aristocratiques, alors que celle de son admirateur devait demeurer un hapax. Il s’attache ensuite à montrer que la liberté d’expression dont chacun fait preuve – différemment – est étroitement liée à leur position d’opposants, et modulée par les enjeux de leur dialogue. Haut de page Entrées d’index Mots-clés : Bourdeille (Pierre de), Brantôme, exil, Marguerite de Valois, Mémoires Keywords : Bourdeille (Pierre de), Brantôme, exile, Marguerite de Valois, Memoirs Haut de page Plan Le temps d'écrire : un privilège d’opposants Dissidence politique et inventivité générique Dissidence politique et liberté d'expression Bibliographie Haut de page Notes de l’auteur Nous remercions Shirley Sharon-Ziesser pour sa relecture du résumé en anglais. Texte intégral PDFSignaler ce document 1Au début des années 1590, deux anciens familiers de la cour des Valois renouent une relation longtemps interrompue par les guerres civiles. L'une est une fille de France en exil en Auvergne, dans le château d'Usson, près d'Issoire, où elle restera dix-neuf ans. L'autre est un cadet de très vieille famille reclus dans son château du Périgord, où il finit de soigner une vilaine blessure et un amour propre écorché. Elle lui avait demandé, un jour, d’écrire sur elle. Il a fini par rédiger un Discours, qu’il lui a fait parvenir. Mais ce n’est pas exactement ce qu’elle attendait et elle se met à l’écritoire, pour permettre à son admirateur de corriger ses erreurs. De ce dialogue inattendu émergent des œuvres étonnamment libres et novatrices, qui doivent tout à leur position de grands seigneurs à la fois rompus à l'action et contraints à l'inactivité, à la fois dépendants du pouvoir et en délicatesse avec lui. Le temps d'écrire : un privilège d’opposants  1 Brantôme, Discours sur la reine Catherine de Médicis, in Recueil des Dames, poésies et tombeaux, é (...) 2Nés à vingt ans d'écart, Pierre de Bourdeille (1535-1614) et Marguerite de Valois (1553-1615) sont sans doute devenus des opposants dans les mêmes années : un peu après la Saint- Barthélemy. Le premier, fils d’une proche de Marguerite de Navarre et d’un compagnon de Bayard, avait auparavant fidèlement servi Henri II et ses deux premiers fils, François II et Charles IX, et il s’était vu gratifié par eux de charges et de pensions. Catholique, il avait combattu aux côtés des Guise, ses amis, durant les premières guerres de religion – quoi qu’il fût également ami avec des capitaines protestants ; il n’avait toutefois pas participé au massacre de la Saint-Barthélemy, étant absent de Paris. Il n’avait pas non plus participé – volontairement cette fois – au « complot du Mardi gras » (ou « des Malcontents »). Pourtant, durant l’hiver 1573-1574, alors que Charles déclinait brusquement et que son frère cadet, Henri, venait de rejoindre la Pologne où il avait été élu roi, les partisans de la transmission du trône au benjamin de la famille, François d’Alençon, l’avaient « convié à la fricassée1 » – formule qui dit bien ce qu’il pensait de ce tour de passe-passe dynastique. Les conjurés étaient pourtant animés des meilleures intentions, et ils avaient de très nombreux soutiens dans toute la France : moins de deux ans après le massacre, cette coalition de protestants et de catholiques modérés regroupant nobles et bourgeois redoutait de voir monter sur le trône un prince qui y avait participé activement, alors que son jeune frère était connu pour sa modération religieuse. Le complot avait cependant échoué, grâce à la vigilance de la reine mère. Ses principaux acteurs avaient été arrêtés ou mis en résidence surveillée, et les seconds couteaux exécutés. 3Brantôme aurait donc dû être particulièrement bien vu d’Henri, rentré de Pologne au milieu de l’année 1574 pour coiffer la couronne – et retrouver en France, jusque dans sa propre famille, nombre de « sujets » ayant parié sur son éviction de la scène politique française. Le nouveau roi, cependant, demandait plus que de la neutralité : son tempérament exigeait la fidélité la plus absolue, et sa garde rapprochée de jeunes seigneurs prêts à en découdre avec quiconque ne lui était pas dévoué corps et âme ne pouvait guère séduire un esprit aussi indépendant que Brantôme. Le seul de cette petite cohorte quasi fanatisée qui aurait pu l’arrimer fermement au service d’Henri III, son ami Du Guast, périt assassiné à l’automne 1575 – par un autre de ses bons amis, le baron de Vitteaux, attaché, lui à François d’Alençon. Un troisième grand ami de Brantôme, Bussy d’Amboise, alors amant de Marguerite de Valois, était passé peu auparavant au service de ce prince, devenu « Monsieur » et second personnage de l’État. Brantôme se rapprocha alors insensiblement de lui, sans pour autant se considérer comme dans l’opposition au roi : avant tout, Pierre de Bourdeille était un fidèle de la monarchie française, et en particulier de la reine mère, qui l’appréciait. C’est à ce titre qu’il la suivit en Guyenne en 1578, lorsqu’elle accompagna sa fille Marguerite rejoindre son époux, en même temps que discuter avec les chefs huguenots de l’application du traité de paix consécutif à la sixième guerre de religion (« Conférence de Nérac »).  2 Étienne Vaucheret est le premier à avoir restitué l’unité de ces volumes, leur titre initial et le (...)  3 Madeleine Lazard, Pierre de Bourdeille, seigneur de Brantôme, Fayard, 1995, p. 261. Brantôme lui-m (...)  4 Brantôme, Œuvres complètes, Éd. L. Lalanne, Paris, Veuve Jules Renouard, 1864- 1882, vol. X, p. 128. 4En rentrant de ce voyage, Brantôme se mit au service de Monsieur, qui projetait désormais de s’unir avec Élisabeth Ire d’Angleterre, et qui postulait également à la direction des Flandres – ces contrées cherchant alors à se débarrasser de la tutelle espagnole, à créer un État indépendant et à mettre à la tête de celui-ci un prince acceptable tant par les catholiques que par les protestants qui les peuplaient. Ces ambitions entretenaient cependant des tensions récurrentes avec Henri III, que l’Espagne accusait de double jeu. Brantôme demeurait donc, pour le roi de France, un sujet peu sûr. Aussi ne se vit-il pas accorder, fin 1581, la charge de sénéchal et gouverneur de Périgord qu’un de ses frères occupait et qu’il pensait obtenir à sa mort. Une « explication » orageuse, quelques semaines plus tard, précipita sa rupture avec le roi, et il se considéra désormais comme un dissident. C’est alors, vraisemblablement, qu’il commença de rédiger le « second livre des dames » (celui que les premiers éditeurs – suivis de tous les autres jusqu’à la fin du xxe siècle2 – allaient intituler Les Dames galantes), dans l’intention de passer le temps et d’amuser son maître, toujours à la conquête des Flandres et de la main d’Élisabeth. Deux ans et demi plus tard, toutefois, celui-ci mourait de tuberculose, ouvrant une crise successorale majeure, puisque Henri III n’avait toujours pas d’enfant et que leur beau-frère, Henri de Navarre, l’époux de Marguerite, était protestant. Celui-ci ayant été excommunié par le pape, et la guerre civile se préparant, Pierre de Bourdeille envisagea de passer au service de l’Espagne, qui soutenait activement le camp catholique français. C’est alors qu’une très mauvaise chute de cheval le cloua pour quatre ans sur son lit – et qu’il se mit, comme le rappelle Madeleine Lazard, à ses « discours sérieux3 ». Sa carrière militaire était terminée, celle de courtisan aussi. Même rétabli, il continua d’écrire, s’occupant de revoir ses premiers discours, d’en confectionner de nouveaux, de rédiger ses dédicaces, de préparer ses manuscrits en vue de leur impression, confiée par testament à sa nièce, en 1609. Il lui demandait aussi d’en offrir le premier volume à « la reine Marguerite, ma très illustre maîtresse, qui m’a fait cet honneur d’en avoir lu aucuns, et trouvé beau et fait estime4 », puisqu’elle était la principale dédicataire de ses œuvres. Toutes choses que ladite nièce ne fit pas. 5La carrière politique et littéraire de Marguerite recoupe en plusieurs points celle de son vieil ami et admirateur. Dernière fille de Catherine de Médicis et d’Henri II, Marguerite était pour sa part « entrée en politique » en 1569, pendant la troisième guerre de religion. Comme elle le raconte dans ses Mémoires, son frère Henri lui avait demandé, juste après la bataille de Jarnac, de défendre son parti auprès de leur mère pendant qu’il était sur le front, de sorte que son absence de la uploads/Politique/ brantome-2.pdf

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