DE LA TERRITORIALITE POLITIQUE A LA TERRITORIALITE CONCURRENTIELLE DANS LES POL
DE LA TERRITORIALITE POLITIQUE A LA TERRITORIALITE CONCURRENTIELLE DANS LES POLITIQUES ET LES PRATIQUES DE DEVELOPPEMENT (1945-2000) : QUELQUES ASPECTS NORD- SUD Thierry AMOUGOU1 Résumé : De 1945 à 1980, la territorialité politique fait de l’État-nation non seulement l’acteur pilote du développement mais aussi, l’espace d’application privilégié des politiques et des pratiques de développement. Les systèmes de croissance keynéso-fordiste au Nord et nationaliste au Sud, traduisent cette orientation. Ils entrent crise respectivement dans les années 75 et 80 après quelques résultats positifs pendant les Trente Glorieuses. Avec le Consensus de Washington (1980-2000), les analyses opposent l’État au marché dans une approche du développement où l’offre et la demande doivent jouer un rôle central. La territorialité politique et tous ses attributs sont supplantés par une territorialité concurrentielle faisant du marché global le territoire symbolique et réel des politiques et des pratiques de développement. Au Sud comme au Nord, l’État historique a perdu sa propriété paradigmatique en matière de développement. Les marchés sont désormais aux commandes. Et pourtant, le marché global comme force transformatrice manifeste en ce moment un fort pessimisme quant à sa capacité à promouvoir le changement, l’ordre et le bien-être social. L’issue est incertaine et fait appel tant à l’intervention de la créativité humaine, qu’à la fin des extrémismes en matière des politiques de développement. Mots clés : territorialité politique, territorialité concurrentielle, opérateurs d’action, opérateurs symboliques, territoires, développement. 1 Macro économiste, chercheur à l’Institut des Etudes du développement de l’UCL : 1 Place des Doyens, B-1348, Louvain-La-Neuve, Belgique. Je remercie mon collègue Philippe Collet et le professeur G. Masuy-Stroobant de leurs remarques sur la première version de ce texte. Les erreurs qui y subsistent et les prises de positions qui s’y trouvent m’incombent cependant exclusivement. Thierry AMOUGOU 2 1-Introduction Le territoire n’est pas seulement un simple espace physique neutre abritant une infrastructure, des institutions ou servant de siège à un site de production quelconque comme l’évoque le concept de territoire entrepreneur. Ce n’est pas uniquement une étendue support comme le disent les géographes contemporains2. Il est aussi le fruit d’une nature (relief et ses composantes animales et végétales), d’une histoire, d’une langue et de la traduction matérielle d’une culture. Il est la base d’un ensemble de croyances qui fondent l’identité d’un projet de vie au sein d’un système social. Il donne des habitudes particulières à ceux qui l’habitent et subit en retour leurs actions qui traduisent un rapport à l’environnement spécifique. Le territoire est central en politique, en économie, en géopolitique et dans la répartition des ressources au sein d’un système social. En effet, tout parti politique a une identité politique et économique qui renvoie non seulement à un fief, à un territoire, mais aussi, à des sympathisants ayant un profil démographique particulier. La localisation des activités économiques se fait en prenant en compte les spécificités territoriales des sites (reliefs et climat, activités connexes, institutions, qualité du logement…), à partir desquelles les investisseurs saisissent les caractéristiques démographiques (statuts socio-économiques), pouvant avoir un effet d’entraînement sur la demande potentielle qu’ils peuvent y espérer par rapport à un niveau et à un profil d’offre à définir. Cette importance du territoire apparaît dans les analyses de la nouvelle économie géographique montrant que la transformation de régions – identiques au départ – en centres et en périphéries, est en grande partie due aux dotations factorielles initiales et aux effets d’agglomération [Krugman, 1991a, 1991b, 1991c, 1993c ; Krugman et Venables, 1995]. Concernant l’étude 2 Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, 2004, Belin, (ouvrage collectif). Territorialités et développement 3 des conflictualités contemporaines qu’est la géopolitique, l’étendue territoriale d’un pays et la richesse de son sous-sol sont des éléments centraux dans l’analyse des tensions et des guerres entre États. Le cas le plus actuel dans les esprits est la forte odeur de pétrole que dégagent les justificatifs de la guerre en Irak. Par ailleurs, si villes et campagnes renvoient déjà à des territoires précis et nous orientent, banlieues, bidonvilles et quartiers résidentiels au sein des villes renseignent aussi sur la répartition territoriale du capital, du travail et même de l’histoire. Les banlieues françaises sont par exemple un des reflets contemporains de l’épisode colonial de l’histoire démographique et économique de ce pays. Le territoire reste donc fondamental dans l’analyse d’un processus de développement. Il le stabilise, lui donne un sens et labellise les systèmes sociaux, tout en incarnant dans ses métamorphoses l’aspect dynamique et conflictuel du processus de développement. La convoitise dont il est parfois l’objet et les identités qu’il exacerbe ont entraîné deux fois le monde en guerre. Aussi, l’ONU établit dès 1945, des règles claires garantissant la souveraineté territoriale et le respect scrupuleux des frontières de chaque pays. D’où l’accession à l’indépendance de nombreuses colonies dans le but de mettre en place des États-nations comme cadre matériel central du développement qu’appelle de tous ses vœux le président américain Truman au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale3. Tous les pays, du moins ceux du bloc capitaliste, acceptent politiquement l’idée d’un territoire devant mener à bien un projet de développement, conçu comme la construction d’un milieu de vie entre citoyens : c’est l’État-nation. Nous ne parlons pas ici du processus historique de construction de l’Etat qui montre qu’il apparaît à un moment précis (plus ou moins à partir de l’an 1000) et dans un lieu précis (l’Europe de l’Ouest), avant d’être importé à travers le monde, mais du consensus 3 Lorsque le 20 janvier 1949 le président Harry Truman qualifie de « sous- développées » des régions de la majeure partie du monde, il fait aussi implicitement référence à des territoires précis amenés à suivre les voies prises par d’autres territoires dits développés. Thierry AMOUGOU 4 selon lequel, après la Deuxième Guerre mondiale, c’est cette institution qui, en tant que construction politique, va définir les territoires dits sous-développés et en être l’acteur pilote du développement4. Le Consensus de Philadelphie/Bretton-Woods [Meier et Seers 1984], est un rouage essentiel de la régulation internationale de ces constructions politiques dont les territoires sont le siège de la modernisation, des politiques keynésiennes et de l’action du Bureau international du travail (BIT). Dans la mesure où on passe aujourd’hui de cette construction politique à des États conçus comme des espaces économiques à rendre rentables et performants au sein du marché global, ce papier se pose trois questions : à quoi renvoient dans leur temporalité, d’une part, la territorialité politique, et d’autre part, ce que nous appelons la territorialité concurrentielle dans les politiques et les pratiques de développement au Nord et au Sud? Quelles en sont les conséquences dans les politiques et les pratiques de développement? Qu’est ce qui, dans les Development Studies, semble se dessiner comme une voie permettant de recadrer le développement à travers une refonte de la territorialité politique et concurrentielle ? En essayant de répondre à ces questions, nous chercherons, sans prétendre à l’exhaustivité, à faire une lecture à la fois historique et comparée, non seulement des rapports entre territorialités et modalités de développement, mais aussi, une analyse des conséquences qui en découlent dans les politiques et les pratiques de développements au Nord et Sud. 2- Territorialité politique et développement (1945-1980) 2.1 La construction d’un espace humanisé Les groupes humains transforment les territoires où ils sont installés. Les forêts et les prairies font place au damier des champs, les maisons se groupent en villages, les villes 4 A propos de la naissance de l’Etat-nation comme institution historique, Braudel avance l’année 1784 qui est la date de la fin de la souveraineté d’Amsterdam au bénéfice de Londres. Territorialités et développement 5 apparaissent et s’interconnectent aux campagnes par des échanges commerciaux, des routes, des chemins de fer ou des réseaux de courant électrique et de distribution d’eau [Claval, 2003]. En un mot, le territoire s’humanise par toutes ces infrastructures et ces pratiques que mettent en place ses occupants. Son aspect reflète ainsi la culture, les choix de vie et les moyens d’un groupe d’acteurs ou d’un peuple donné. La multiplicité des milieux (villes, villages..), celle des acteurs, des intérêts, des choix, des moyens, des histoires personnelles et des stratégies en fait cependant une œuvre complexe qui nécessite la mise en place d’un mode de régulation d’un espace inévitablement instable et conflictuel. De 1945 à 1980, l’État- nation s’impose en tant que cadre politique global de cette humanisation de l’espace. Ayant sans cesse été le reflet du changement de la société, cet État porte inévitablement la marque de son temps. Issu de l’évolution de grand empires qui lui laissèrent la place, en guise de reconnaissance, d’entités plus petites et indépendantes, l’État devait à l’origine être fort pour se défendre. Cette conception de l’État au sens absolutiste du Prince de Machiavel (1469-1527) et du Léviathan de Hobbes (1588-1679), sera supplantée par les idées révolutionnaires qui donnent naissance à l’Etat-nation en Europe et dans ses colonies [Yung-do A. Ducobu, 2005]. Au XIXème siècle, des considérations socio-économiques sur son rôle donnent naissance à l’État marxiste contrôlé et instrumentalisé par la bourgeoisie capitaliste. Ensuite, la théorie économique standard consolida le rôle des États en uploads/Politique/ chapitre-3-territorialite-et-de-veloppement.pdf
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- Publié le Mai 08, 2022
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