Claudie Baudino La cause des femmes à l'épreuve de son institutionnalisation In

Claudie Baudino La cause des femmes à l'épreuve de son institutionnalisation In: Politix. Vol. 13, N°51. Troisième trimestre 2000. pp. 81-112. Résumé La cause des femmes à l'épreuve de son institutionnalisation Claudie Baudino Depuis le milieu des années 1970, la cause des femmes s'est institutionnalisée : des structures gouvernementales spécialisées ont été créées pour mettre en œuvre des politiques destinées à améliorer les droits et le statut des femmes. Cependant, bon nombre de militantes n'ont pas été satisfaites par ces initiatives. L'article met en évidence, à travers le discours militant, la dénonciation d'un décalage entre la réponse institutionnelle, inspirée par l'universalisme républicain, et les revendications militantes, formulées en termes de spécificité. Alors que le mouvement féministe puis le mouvement paritaire ont incité les pouvoirs publics à reconnaître la pertinence de la différence des sexes en politique, il souligne le paradoxe d'une institutionnalisation de la cause des femmes qui se poursuit dans une logique universaliste et égalitariste ignorant les différences. Abstract The Institutionalization of the Women Issue: Paradox and Discrepancies Claudie Baudino Since the mid seventies, the women issue has got institutionalised : specialized governmental structures have been framed to implement policies aiming at improving women's rights and status. Yet, a great deal of women activists were not satisfied with those initiatives. This article emphasizes the denunciation by the feminists of a discrepancy between the institutional answer, inspired by the republican universalism, and the activists claims, thought in terms of specificity. Whereas the feminist movement and the movement for parity have incited the governmental structures to acknowledge the difference between sexes, this article underlines the paradox of the institutionalization of the women issue which is continuing in an universalist and egalitarian way, that is to say unconcerned with differences. Citer ce document / Cite this document : Baudino Claudie. La cause des femmes à l'épreuve de son institutionnalisation. In: Politix. Vol. 13, N°51. Troisième trimestre 2000. pp. 81-112. doi : 10.3406/polix.2000.1105 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/polix_0295-2319_2000_num_13_51_1105 La cause des femmes à l'épreuve de son institutionnalisation Claudie BAUDINO Le principe de « l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives » a, depuis le 8 juillet 1999, pris une valeur constitutionnelle. Le gouvernement a insisté sur les changements majeurs que cette réforme dite paritaire devrait introduire dans la vie politique française ; mais, auprès des nombreux groupes et associations féministes qui ont œuvré pendant plus de dix ans à sa concrétisation, les textes adoptés1 suscitent des réticences. Cette réforme pourrait illustrer la thèse inverse de celle défendue par Norbert Elias. Analysant l'équilibre changeant du pouvoir entre les sexes dans la Rome antique, il montrait qu'un changement juridique mineur avait entraîné d'importants progrès pour la cause des femmes. Ainsi, la possibilité de se marier sans que la tutelle sur leur personne et leurs biens ne soit transférée à leur mari n'apparaissait pas a priori comme une conquête féminine ; pourtant cette disposition leur a permis, dans les faits, de disposer de leurs biens et du pouvoir que conférait la richesse2. A l'inverse, alors que le débat public a opposé ceux pour qui la parité était porteuse de « l'utopie 1. Cf. la Loi constitutionnelle n° 99-569 du 8 juillet 1999 relative à l'égalité entre les femmes et les hommes, Journal officiel, 9 juillet 1999 et la Loi n° 2000-496 du 6 juin 2000 tendant à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, Journal officiel, 7 juin 2000. 2. Cf. Elias (N.), «The Changing Balance of Power between the Sexes. A Process-Sociological Study: The Example of the Ancient Roman State», Theory, Culture and Society, 4, 1987 (traduction française supra). Politix. Volume 13 - n° 51/2000, pages 81 à 112 82 Politix n° 51 d'une mixité égalitaire3 » à ceux qui voyaient en elle une source « de dérives mortelles pour notre République laïque et universaliste4 », la réforme mise en œuvre a produit des changements limités. A l'instar de cette réforme, la politique menée en faveur des femmes a suscité des craintes et des espoirs démesurés et, surtout, de profondes déceptions. Cette politique recouvre bien entendu un ensemble de lois et de textes qui visent à promouvoir le statut et les droits des femmes, mais elle est d'abord incarnée par un ensemble complexe d'institutions, du ministère des Droits de la femme au service des Droits des femmes en passant par l'Observatoire de la parité, qui souvent se superposent. Caractéristiques des sociétés occidentales développées depuis la fin des années 1960, ces créations institutionnelles ont été désignées par des expressions telles que « féminisme d'Etat » ou « féminisme gouvernemental » ; on a pu parler aussi, pour désigner leurs actions de « politique féministe5 ». Or, ces appellations introduisent directement au cœur des équivoques de l'action publique et de ses réceptions par les plus concernés. Le nom « féminisme » et son adjectif suggèrent un accord ou, tout au moins, une forme de continuité entre le mouvement social qui renaît en France au début des années 1970 et la politique menée par les pouvoirs publics. Pourtant, nourries par des conceptions différentes de la cause des femmes, leurs actions respectives ont souvent été perçues comme décalées voire contradictoires par les militantes. Le mouvement féministe des années 1970 s'est reconstitué sous le signe de la diversité. La description et le dénombrement de ses courants ne font pas l'unanimité et ont suscité de nombreuses discussions parmi les militantes6. Néanmoins, de l'extérieur, la distinction entre un féminisme égalitariste et un féminisme différencialiste a été très souvent employée pour classer les militantes du mouvement contemporain mais aussi pour distinguer voire opposer les mobilisations 3. G. Fraisse, La Croix, 15 janvier 1999. 4. Badinter (E.), « Non aux quotas de femmes », Le Monde, 12 juin 1996. 5. Les résultats d'une étude pionnière sur ce phénomène ont été publiés dans l'ouvrage codirigé par A. G. Mazur et D. Mac Bride Stetson et intitulé Comparative State Feminism (Thousand Oaks, Sage, 1995). Définissant le féminisme d'Etat comme « les activités des structures gouvernementales formellement chargées de promouvoir le statut et les droits des femmes », ce livre a marqué une étape essentielle dans son exploration ; il propose un inventaire des formes prises par ces structures dans quatorze démocraties occidentales. 6. Dans son livre intitulé Libération des femmes : le MLF (Paris, PUF, 1981), N. Garcia Guadilla propose un « Tableau synoptique et chronologique des principales tendances du MLF en France depuis 1968 ». A côté du groupe Psychanalyse et politique et de la tendance Féministes révolutionnaires qui s'est scindé en deux, en 1974, au moment de la création de la Ligue du droit des femmes, l'auteur met aussi en évidence des groupes de province - qui disparaissent très rapidement - et des groupes de quartier qui revendiquent l'appellation Mouvement autonome des femmes. F. Picq reconnaît avoir commencé l'écriture de son ouvrage, Libération des femmes : les années-mouvement (Paris, Le Seuil, 1993), pour réagir à cette « conception courante » qui divise le MLF en trois grandes tendances. Elle insiste sur la nécessité de raisonner dans le temps. A l'épreuve de l'institutionnalisation 83 féministes dans le temps et l'espace. Tandis que le féminisme du XIXe siècle marqué par la quête de droits politiques égaux et le féminisme anglo-saxon à l'image pragmatique et réformiste sont réputés plus égalitaristes, le féminisme du XXe siècle mobilisé par la conquête des droits relatifs à la maîtrise de la reproduction et le féminisme français décrit à travers quelques contributions théoriques marquantes apparaissent plutôt différencialistes. Ces oppositions ont été relativisées7 ; plus encore, des contributions récentes ont montré que l'essence du féminisme était de jouer sur la contradiction entre l'affirmation et la négation de la différence des sexes8. Ainsi, sans vouloir minimiser les clivages qui ont traversé le mouvement français contemporain, il est possible de mettre en évidence une méfiance et parfois même une hostilité originelle des féministes à l'égard du monde politique. De même, tout en soulignant qu'elle a abouti à des analyses irréconciliables, leur réflexion a été d'abord formulée en termes de spécificité, de la spécificité de l'oppression des femmes à la spécificité de l'identité féminine. Les initiatives gouvernementales, quant à elles, qui prétendent répondre aux revendications des femmes ont été pensées dans une logique universaliste, indifférente à la différence des sexes et cherchent avant tout à assurer l'égalité formelle entre hommes et femmes. Elles ont été perçues par bien des militantes prônant la « spécificité féminine » comme une actualisation du féminisme du siècle dernier. Et les plus critiques sont aussi celles pour lesquelles l'action politique a un sens, c'est-à-dire les militantes proches de la tendance réformiste réputée la plus égalitaire. Un paradoxe surgit alors et c'est lui que cet article s'efforce de comprendre : alors que le mouvement féministe et le mouvement paritaire ont incarné, de différentes façons, des 7. Florence Rochefort a montré que bon nombre de féministes du XIXe siècle revendiquaient l'égalité au nom de leur différence, le droit de vote par exemple au nom de leur fonction maternelle (cf. « La problématique féministe uploads/Politique/ claudine-baudino-quot-la-cause-des-femmes-quot 1 .pdf

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