Politix La place de l'enseignement historique dans la formation des élites poli
Politix La place de l'enseignement historique dans la formation des élites politiques françaises à la fin du XIXe siècle : l'Ecole libre des sciences politiques Corinne Delmas Citer ce document / Cite this document : Delmas Corinne. La place de l'enseignement historique dans la formation des élites politiques françaises à la fin du XIXe siècle : l'Ecole libre des sciences politiques. In: Politix, vol. 9, n°35, Troisième trimestre 1996. Entrées en politique. Apprentissages et savoir-faire. pp. 43-68; doi : https://doi.org/10.3406/polix.1996.1955 https://www.persee.fr/doc/polix_0295-2319_1996_num_9_35_1955 Fichier pdf généré le 19/07/2018 Abstract The role of History in the apprencticeship of the French political elite in the Ecole libre des sciences politiques. Corinne Delmas [43-67]. It is well known that the founder of the private Ecole libre des sciences politiques (better khown as «Sciences po»), Emile Boutmy, wanted «to make up a people head» in the days following the rout of 1870. This school had to form statesmen and to contribute to the aggiornamento of the ruling classes. It worked above all against revolutionary natural law and against volontarism. It seems that this establishment aims less to form to political craft than to contribute to suppress a revolutionary and republican rationalism, by realism and empirism. This empirical and realistic teaching has both political — the legitimation of a conservative republic —, and strategic — to stand out as a young private school of political sciences — stakes. These stakes enlighten characters of a school which one can describe as a «neutral place». Résumé La place de l'histoire dans la formation de l'élite politique à l'Ecole libre des sciences politiques. Corinne Delmas [43-67]. On sait que le fondateur de l'École libre des sciences politiques («Sciences po») a pour ambition, au lendemain de la débâcle de 1870, de «refaire une tête au peuple». Etablissement devant contribuer à la formation de l'homme politique, sur fond d'aggiornamento des classes dirigeantes, c'est essentiellement contre le droit naturel révolutionnaire et contre le volontarisme que travaille cette école qui, dès lors, semble moins viser à initier à un art politique qu'à contribuer à désapprendre le rationalisme révolutionnaire et républicain par une alliance du pragmatisme et de l'empirisme. Mais cette alliance a aussi d'autres enjeux, tant politique — la légitimation d'une République conservatrice — que stratégique — s'imposer et se maintenir en tant que jeune école privée des sciences politiques. On comprend mieux dès lors les caractères d'une école que l'on pourrait qualifier de «lieu neutre». La place de l'enseignement historique dans la formation des élites politiques françaises à la fin du XIXe siècle : l'École libre des sciences politiques Corinne Delmas Université Paris DC-Dauphine •J'admire, en vérité, messieurs, qu'il y ait parmi les connaissances humaines, deux sciences d'une importance primordiale et qui, pourtant, si on en croit les gens du monde, n'exigent aucune compétence spéciale. Tout le monde se croit capable de les professer, parce que tout le monde est appelé à les pratiquer à son heure ; ces deux sciences sont la politique et l'éducation. Tout le monde se croit compétent en politique [Rires à droite. — Très bien, à gauche]. Tout le monde se croit compétent en matière d'éducation.» Jules Ferry, sur le Conseil Supérieur de l'Instruction publique devant le Sénat, 28 janvier 1880. •Expliquer en histoire, instruire en politique.» Albert-Emile Sorel, «La vocation historique d'A. Sorel», Revue des Deux- Mondes, 1913- LE FONDATEUR de l'École libre des sciences politiques (ELSP), Emile Boutmy, a pour ambition, au lendemain de la débâcle de 1870, de «construire une tête de peuple» et de transmettre les «connaissances qui sont nécessaires soit à l'homme d'État, soit au penseur ou au publiciste politique», de promouvoir ainsi «la meilleure des initiations à la vie publique en même temps qu'une excellente introduction à l'étude des sciences sociales»1. On sait que la défaite contribue à la réactivation du vieux débat autour de la formation de l'administrateur et de l'introduction des sciences politiques et administratives dans l'enseignement supérieur2. Si «refaire des hommes, c'est-à-dire refaire dans les hommes le culte des choses élevées et le goût des études difficiles» est «une nécessité pressante», il faut auparavant «créer l'élite qui, de proche en proche, donnera le ton à toute la nation [...] refaire une tête au peuple»3. Cet appel au gouvernement des meilleurs, écho 1. «But de l'École«, dans Brochure de l'École libre des sciences politiques, 1901-1902, p. 26, Archives d'histoire contemporaine (AHC). La formule est constamment reprise. 2. Le premier essai, s'agissant de cette introduction, date de 1819- Sur ces débats et tentatives d'introduction, cf. Damamme (D.), Histoire des sciences morales et politiques et de leur enseignement, des Lumières au scientisme. Instituer le corps politique, fabriquer une -tête de peuple-, thèse d'État de science politique, Paris I, 1982, vol. I, p. 314 et s. ; Lenoël (E.), Des sciences politiques et administratives et de leur enseignement, Paris, Durand-Dumaine, 1865 ; Tranchant (Ch.), De la préparation aux services publics en France, Paris, Berger-Levrault, 1878 ; Lame-Fleury (G.), «De l'enseignement professionnel (sciences administratives et politiques) et du mode de recrutement des fonctionnaires civils», Journal des économistes, décembre 1864, avril, juin, août, octobre, novembre 1865 ; Langrod (G.), «Trois tentatives d'introduction de la science politique dans l'Université française au cours du XIXe siècle», Revue internationale d'histoire politique et constitutionnelle, 25-26, 1957. 3. Boutmy (E.), Quelques idées sur la création d'une Faculté libre d'enseignement supérieur, Paris, Laine, 1871, p. 14-15. Politix, n°35 1996, pages 43 à 67 43 Corinne Delmas d'une conception élitiste du pouvoir et du souci de clore l'ère des révolutions, ratifie, dans une société démocratique où la légitimité sociale repose sur le talent, la nécessité d'adosser au mérite et à l'acquisition de compétences cette élite. Il faut ouvrir la classe dirigeante aux nouvelles réalités pour éviter qu'elle ne perde définitivement son pouvoir au profit des nouvelles «couches» menaçantes, et renforcer sa légitimité par un enseignement conçu comme «le couronnement d'une éducation libérale»1. L'activité politique devient une activité «professionnelle» supposant l'existence d'une formation spécifique, le démarquage de l'amateurisme, une redéfinition du savoir nécessaire à l'«homme politique professionnel»2. Dans une lettre d'octobre 1877, l'un des principaux inspirateurs de l'École, Taine, voit en l'ELSP une école «d'État-major intellectuel» où «le politique véritable, l'homme d'action, trouvera un jour l'ensemble des renseignements qui le conduiront à une connaissance approfondie, méthodique, progressive, de tous les grands intérêts européens»3, connaissance qui s'oppose à l'incurie qui caractériserait alors le personnel politique : «Voyez nos médecins, chimistes, physiciens, mathématiciens à l'Assemblée nationale, ils n'admettent pas qu'il y ait des sciences morales et historiques distinctes ; ils croient les savoir, en vertu d'un bon sens infus, et parce qu'ils ont étudié un coin de la nature physique ; ils se croient experts et profés [sic] sur tout le groupe des sciences qui traitent de la nature humaine»4. Boutmy insiste : «II y a en France un enseignement organisé pour le médecin, pour l'avocat, pour l'ingénieur, pour le militaire, etc. Il n'y en a pas pour l'homme politique. Est-ce un mal ? Car faut-il croire que les dons naturels et la pratique des affaires suffisent sans instruction spéciale, pour former le nombre des hommes d'État dont le pays a besoin ?»5 L'histoire sera la science maîtresse étayant un tel projet. Savoir traditionnellement fédérateur des sciences morales et politiques, l'histoire présente aussi en France la particularité de constituer un enjeu central et précoce dans la construction d'une mémoire nationale elle-même très liée à 1. C. Charle remarque que •l'absence d'élitisme scolaire allait de pair avec un élitisme social préalable« (La République des universitaires, 1870-1914, Paris, Seuil, 1994, p. 440). Selon Taine, il était possible de trouver, au sein des étudiants de la faculté de droit de Paris, une bonne moitié d'élèves dispensés, par leur fortune personnelle, de tout souci professionnel et libres donc de combler les vides de leur emploi du temps par la fréquentation de la nouvelle école. Cf. Taine (H.), «Fondation de l'École libre des sciences politiques» (1872), repris dans Derniers essais de critique et d'histoire, Paris, Hachette, 1894. Sur le double profil des élèves de PELSP, où se côtoient héritiers de la classe dirigeante traditionnelle cherchant une simple légitimation culturelle supplémentaire et héritiers d'une tradition libérale ou de service public y voyant un atout pour franchir les barrières instaurées par les concours de recrutement de la fonction publique, cf. Charle (C), Les élites de la République. 1880-1900, Paris, Fayard, 1987. 2. Weber (M.), Le métier et la vocation d'homme politique, Paris, Pion, 1959- On pourrait transposer ici les analyses d'H. Becker sur la notion de «profession» qui suppose la fermeture aux non-spécialistes, un processus d'auto-consécration, l'existence d'une formation spécifique et d'un contrôle sévère de l'entrée dans la pratique professionnelle (ou de la volonté d'un tel contrôle, dans le domaine politique, par la modification des règles d'attribution des postes électifs — mode de scrutin, droit de suffrage, rôle des comités électoraux, stage d'éligibilité, etc.). Cf. Becker (H. S.), Sociological Work. Method and Substance, Chicago, Aldine, 1970, sp. chap. 6. 3. H. Taine, sa vie et sa correspondance, volume 4 : 1876-1893, Paris, Hachette 1907, p. 40. 4. Ibid., p. 154 [lettre à uploads/Politique/ corine-delmas-la-place-de-l-x27-enseignament-historique-dans-la-formatios-de-les-elites-politiques-francaise.pdf
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- Publié le Dec 31, 2022
- Catégorie Politics / Politiq...
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