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JEAN-FRANgOIS USEE DANS till tfr>K II face ou Quebec Conception graphique: Gianni Caccia Illustration de la couverture: Alain Pilon Les Editions* du Boreal etJJsee Leconte inc. D6p/6t Iggal: 1CT trimestr^ 1990 Bibli©theS|ue nationals du Quebec l Diffusion au Canada: Dimedia Donnees de catalogue avant publication (Canada) Lisee, Jean-Francis Dans l'ceil de l'aigle: Washington face au Quebec Comprend des references bibliographiques. ISBN 2-89052-328-4 1. Etats-Unis — Relations exte>ieures — Quebec (Province). 2. Canada — Relations exterieures — Etats-Unis. 3. Canada — Histoire — Autonomie et mouvements independantistes. 4. Nationalisme — Quebec (Province). 5. Parti quebecois. I. Titre E183.8.C25L57 1990 327.73071 C90-096123-6 A451239 La spirale de la fureur Les maries du nationalisme quebicois et de sa forme extreme, le separatisme, n'ont encore ete ni contenues ni harnachies, et il est douteux qu' on retrouve jamais une mer calme et une visibility parfaite. Walton BUTTERWORTII ambassadeur americain a Ottawa, octobre 1967 L'homme a le cheveu court. Ras. H a une tete bien faite. Pleine. On dit qu'il invente au moins trois hypotheses pour chaque probleme. On dit qu'il peut improviser sans notes une analyse en quinze points sans perdre le fil. C'est pourquoi Walt Rostow est alle le chercher a la Columbia University de New York. L'a installe au Policy Planning Council, la branche du Depaitement d' Etat chargee de prevoir, de planifier, d' imaginer des politiques. A 1'INR on est paye pour analyser. Au Planning on est pay6 pour proposer. On dit aussi qu'il est fantasque. Qu'il se prend pour deux autres. Qu'il met son nez dans ce qui ne le regarde pas. On dit que c'est un faucon, un alarmiste, une peste. II a aussi un nom qui fera jurer, un jour, bien plus tard, tous les joumalistes, tous les typographes de la planete. Ses amis l'appellent Zbig. Entre eux, ses ennemis aussi. Au complet, 9a donne Zbigniew Brzezinski. Aujourd'hui, Zbig a r6uni autour d'une table du Departement d'Etat les responsables du dossier canadien au Pentagone, a la CIA et au Departement. Moins d'une dizaine de connaisseurs sont la. Presence surprenante au milieu de ces forcats de la diplomatic, un des geants de politique interieure et 6trangere du pays s'assied parmi eux. Ex-gou- verneur de New York, confident de Roosevelt, candidat presidentiel, ambassadeur a Moscou, conseiller special du secretaire d'Etat, eminence grise du Parti d6mocrate — au pouvoir —, Averell Harriman ecoute, silencieux. 100 DANS L'GEIL DE L'AIGLE Zbig a devant lui un memo dont il est l'auteur. Quelques pages. Un briilot. C'est le Qu6bec qui l'inquiete. Les separatistes. Leurs progres. Nous sommes le 5 octobre 1967. De Gaulle est venu, reparti, mettant le feu aux poudres. Son action, ecrit d'Ottawa l'ambassadeur Butterworth, a d6clench6 «une crise de la Confederation canadienne». Les deux grands partis provinciaux quebecois r6clament l'un, l'6galit6 pour le Quebec, 1'autre, un statut particulier pour la province. Les conservateurs fed6raux ont eux-memes epouse" le concept des «deux nations» que le premier ministre f6d6ral Pearson cotoie sans Fetreindre. H y a pire. La (fausse) rumeur veut que 1 'Union nationale au pouvoir a Quebec ait un plan de cinq ans qui menerait a l'ind£pendance. Et une des plus importantes figures du Parti liberal, Rene" Levesque, propose un Quebec souverain associe economiquement au Dominion ainsi 6clate\ S'il convainc son parti de la justesse de ses vues lors de la convention de la mi-octobre, l'eventail politique quebecois au grand complet aura tire un trait sur la Confederation. De toute cette activity, de cette «spirale de la fureur» selon le mot de Butterworth, Zbig retient d'abord le manifeste souverainete-association- niste de LeVesque. Cette idee-la, portee par cet homme-la, peut tout chambouler. Brzezinski n'a que faire des analyses des diplomates made in USA. Personne ici, pense-t-il, ne connait le Quebec aussi bien que lui. Fils du consul polonais a Montreal, il a grandi dans le West Island, etudie" a McGill, senti les tensions ethniques. Ce n'est qu'a 25 ans qu'il a saut6 la frontiere ameYicaine pour entreprendre son ascension sur une 6chelle autrement plus longue que les escabeaux canadiens du savoir et de la politique. Pour Zbig, seuls les Etats-Unis sont a la mesure de son intellect, offrent les moyens de ses strategies. Mais Montreal, sa famille, ses amis, l'equipe des Canadiens dont il estajamaispartisanlenourrissenttoujoursd'impressions,d'informations, de mises a jour du ferment quebecois. II saisit la profondeur des ressentiments, il comprend done la force du ressac. II la pressent. Et s'il superpose sur Montrdal les glissements politiques progressifs qui ont englouti sa Varsovie natale, s'il craint une jonction entre le nationalisme, le neutralisme et 1 'anti-am6ricanisme, son esprit fertile ne peut qu 'elaborer pour le Quebec des scenarios catastrophistes. Apres tout, comme le rapporte l'ambassadeur dans une depeche, le separatiste Pierre Bour- gaultn'a-t-il pas promis que «la premiere chose qu'un Quebec souverain devrait faire serait de couler un bateau au beau milieu du Saint-Laurent»? Ce qui couperait la circulation fluviale vers Toronto, mais aussi, Grand Dieu! vers Buffalo, Detroit, Chicago, le cceur industriel du pays. LA SPIRALE DE LA FUREUR 101 La situation est grave, explique Zbig aux responsables reunis pour cette rencontre sp6ciale. Le separatisme qu6b6cois evolue rapidement. Levesque pourrait faire basculer le Parti liberal. A terme, qui sait si nous n'allons pas «nous retrouver avec un autre Cuba sur les rives du Saint- Laurent? Y aura-t-il encore de la violence? «Nous ne pouvons rester immobiles pendant que sur notre palier se joue quelque chose de vital pour nos int6rets», dit-il en substance, selon un participant. II faut «former un comite" d'etude», «r6unir des informations, analyser la situation, prevoir les consequences», deTmir, si necessaire, une strategic Brzezinski n'est pas seul a voir au nord-est des scenarios de fin du monde. D'Ottawa, Butterworth pense a un Etat du Quebec, «peut-etre socialiste, autoritaire, une proie facile aux influences etrangeres inami- cales», notamment celle de la France, 6crit-il ce meme mois. Ceux que l'ambassadeur appelle les «nationalistes-racistes» du Quebec auraient tot fait de transformer «leur r£serve» en enclave «6gocentrique» et «amere». Sans compter que la secession cr6erait dans la defense de l'Amenque «un trou imm6diatement apparent et dangereux». Mais Butterworth n'est pas dans la petite salle de Foggy Bottom. Et quand Zbig a fini d'effrayer le petit groupe, une autre voix se fait entendre. Les noires predictions que Zbig avance, «quoique dans le champ des possibility, en repr6sentent le point le plus extreme», r6torque Rufus Smith, qui dirige les Affaires canadiennes et qui a sejourne au Canada pendant six ans. Smith, qui doute des conjectures quebecoises de l'intellectuel, pense que le manifeste de L6vesque ne sera pas adopte" par la convention liberate. Le Quebec n'explosera pas, affirme-t-il, contredisant point par point le calendrier des catastrophes de 1'aspirant stratege. On assistera au contraire a «un lent processus de fermentation et de n6gociations». De toute facon, ajoute Smith, «le gouvemement canadien a la situation bien en main». Lester Pearson, diplomate chevronne\ comme le chef de l'opposition, Robert Stanfield, promettent reTorme sur r£forme. D'Ottawa, Butterworth ne cesse de louer leur leadership. II y a bien, chez les lib^raux, ce Pierre Trudeau qui traite le concept des deux nations de «canular» et celui de statut particulier de «connerie». Mais, bon. II n'est que ministre de la Justice. Et puis, cette grande 6tude du separatisme quebecois que reclame Brzezinski «peut faire dix fois plus de tort que de bien». Smith ne croit pas un instant qu'une etude majeure, «quelle que soit sa classification, puisse etre entreprise par le gouvemement americain sans que la presse en fasse etat». Imaginons un instant qu'elle tombe entre les mains des Canadiens, des Quebecois. lis sont tellement... «Les Etats-Unis commettraient une grave erreur s'ils s'avisaient de faire quoi que ce soit d'autre, a ce stade, que de se tenir inform6s», conclut-il. 102 DANS L'CEIL DE L'AIGLE Zbig, l'audacieux, le visionnaire, propose qu'on bouge. Rufus, le praticien, le fonctionnaire de la diplomatic, veut qu'on se taise. Harriman — le fondateur, avec Chip Bohlen et quelques autres, de la diplomatic amencaine de ce siecle — sort de son mutisme. «Smith a raison», tranche-t-il. «I1 n'y a aucune raison de s'affoler.» Smith avait pr6sent6 ses arguments avec un brin de retenue. Harriman est on ne peut plus direct. «Oubliez ca», dit-il a Zbig. Et cessez de distribuer votre m6mo alarmiste. Averell Harriman a plus urgent a faire, il doit quitter la reunion avant la fin. Mais lui parti, elle n'a plus d'objet. «Les discussions au sein du gouvernement ne menent pas n6ces- sairement a des decisions sp6cifiques», expliquera un Brzezinski sibyllin plus de 20 ans plus tard. «A Pepoque, nous 6tions tres peu nombreux a prendre le nationalisme qu6b6cois au s6rieux», dit-il, ajoutant: «je crois avoir attir6 1'attention des principaux dScideurs sur ce probleme». Certainement pas l'attention de Walt Rostow, devenu principal conseiller pr6sidentiel en matiere internationale, qui n'a jamais eu vent des scenarios de son prot£ge\ Le «comite secret» de Power II ne s'6coule pas 10 jours avant qu'une premiere prediction de Zbig morde la poussiere. La convention liberate, suivie de pres par les diplomates am£ricains a Montreal, ne fait pas la part belle aux theses de Ren6 uploads/Politique/ dans-l-x27-oeil-de-l-x27-aigle-le-comite-secret-de-power-1967.pdf

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