« Enfants de Coligny, pourriez-vous être amis des rois ? » Le calvinisme à l’ép
« Enfants de Coligny, pourriez-vous être amis des rois ? » Le calvinisme à l’épreuve de la Révolution française par Scolaris Legisperitus | 15 mai 2014 Boissy d’Anglas saluant la tête du député Féraud (20 mai 1795), par Alexandre-Évariste Fragonard, 1831 Table des matières 1. Introduction — Bataille historique, bataille historiographique 3. Définition du calvinisme politique 3. La situation des réformés avant le déclenchement de la Révolution 4. Les gains initiaux apportés par la Révolution 5. Les méfaits de la Terreur pour la collectivité protestante 6. La Révolution et la Terreur en Alsace 7. Rabaut St-Étienne : la diplomatie au service de la Réformation 8. Alba-Lasource : halte à la tyrannie de la populace parisienne 9. Boissy d’Anglas : accusé de vouloir une République protestante 10. Le soulèvement avorté des Cévennes contre la République jacobine 11. Conclusion — Une Révolution qui a trahi les aspirations des protestants 12. Annexe — Le supranaturalisme chez les pasteurs du XVIIIe siècle 1. Introduction — Bataille historique, bataille historiographique Une thèse largement répandue aujourd’hui veut que la Réformation1 protestante ait pavé la voie vers la Révolution française2. Dans cette optique, les insurgés calvinistes du XVIe siècle seraient des précurseurs des révolutionnaires humanistes de 1789-1799. Ce métarécit mielleux satisfait maints chrétiens évangéliques et réformés qui croient trouver leur compte dans une Révolution qui aurait affranchi les protestants du joug de la monarchie persécutrice. Ainsi, la foi théocentrique rassemblant aujourd’hui un demi-milliard d’humains à travers le monde se trouve instrumentalisée en faire-valoir d’une idéologie anthropocentrique. Mais des développements récents ébranlent la prévalence de cette vision simpliste de l’histoire. Au printemps 2013, la législature française a imposé le « mariage » homosexuel dans tout l’Hexagone, sans amendement permettant les objections de conscience pour les maires dissidents (barrant ainsi les chrétiens de la magistrature municipale). Depuis lors, de plus en plus de protestants de nationalité et/ou de langue française ont des questionnements identitaires face au régime politique de la Vème République et aux valeurs qui la sous-tendent. Le présent article ne se veut pas un réquisitoire contre la Révolution française, ce travail ayant déjà excellemment été fait par d’autres auteurs hautement qualifiés3. Notre quête fut autre : comment les réformés français ont-ils vécus (et subis) la Révolution française ? Plus spécifiquement, quels furent 1 Le terme Réformation n’est pas un anglicisme lorsqu’utilisé en français. C’est le terme correct qui était utilisé par les réformés français du XVIe jusqu’au XIXe siècle. Le vocable Réforme est un produit de l’historiographie séculière. Ainsi le réformateur de Lausanne, Pierre VIRET, désigna par Réformation le chapitre final de ses Dialogues du désordre parus en 1545 et réédités par Ruxandra VULCAN, Genève, Labor & Fides, 2012, 593 p. Merle D’AUBIGNÉ continua en ce sens avec les huit tomes de son Histoire de la Réformation en Europe au temps de Calvin, publiés de 1863 à 1878. Arlette JOUANNA prône la réhabilitation de ce terme dans La France du XVIe siècle, Paris, P.U.F., 1996, p. 283. Notons qu’un Institut d'histoire de la Réformation relève de l’Université de Genève. 2 Dans Les origines religieuses de la Révolution française (1560-1794), Paris, Éditions du Seuil, 2002, 576 p., Dale VAN KLEY déploie la thèse du travail de sape de la monarchie fait par les huguenots et les jansénistes ; dans The Unintended Reformation : How a Religious Revolution Secularized Society, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 2012, Brad GREGORY avance que le protestantisme a enfanté le scepticisme et le pluralisme contemporain ; mais rétablissons les faits, d’abord avec Jean-Marc BERTHOUD, qui dans Le Règne terrestre de Dieu : Du gouvernement de notre Seigneur Jésus- Christ, Lausanne, L’Âge d’Homme, 2011, p. 475-504 sur 616, démontre que l’absolutisme démocratique est une perversion du contractualisme calvinien, ainsi qu’avec Harold BERMAN, qui dans Droit et Révolution : L’impact des Réformes protestantes sur la tradition juridique occidentale, Paris, Éditions Fayard, 2010, 805 p., insiste que le protestantisme a généré une spiritualisation du séculier plutôt qu’une sécularisation du spirituel. 3 On lira à ce propos Renaud ESCANDE (dir.), Le Livre noir de la Révolution française, Paris, Éditions du Cerf, 2008, 882 p. ; Reynald SECHER, La Vendée-Vengé : Le génocide franco-français, Paris, Éditions Perrin, 2006 (1985), 350 p. l’affiliation et le comportement politique des réformés pendant la Révolution française ? Pour bien répondre à cette question, nous débuterons en formulant une définition du calvinisme politique. Nous poursuivrons avec un survol de la situation des réformés avant la Révolution. Nous exposerons ensuite les gains initiaux que leur apporta la Révolution, puis nous dresserons un bilan de la Terreur et jetterons un coup d’œil à l’Alsace. Nous enchaînerons en mettant en lumière trois personnalités calvinistes ayant eu un rôle prépondérant dans la Révolution. Nous terminerons avec la révolte avortée du Midi huguenot contre la République jacobine. Travail ardu, vu la rareté des sources historiques sur cette question. Précisons que nous n’entendons nullement dresser un inventaire exhaustif de tous les faits et gestes des nombreux acteurs d’origine protestante ayant eu un rôle quelconque dans la Révolution française. Précisons aussi que nous nous efforçons de corriger la tendance historiographique dominante qui confond foi protestante avec origine familiale protestante. En histoire des idées, la filiation spirituelle prime sur la filiation biologique. Nous ne considérons donc pas comme protestants les individus dont le seul lien avec le protestantisme est d’avoir des ancêtres protestants. 2. Définition du calvinisme politique La difficulté principale à laquelle nous avons fait face en rédigeant cet article est l’absence de profession de foi détaillée et explicite, enregistrée par l’histoire, des principaux acteurs d’obédience protestante de la Révolution française4. Il est donc ardu de se prononcer sur les opinions religieuses de ces hommes. Savoir quel député d’origine protestante vota pour ou contre la mort du roi Louis XVI ne nous renseigne pas réellement sur l’allégeance spirituelle de ces acteurs. Faute de données suffisantes permettant de qualifier ces personnages de protestants dans un sens proprement théologique — c’est-à- dire l’adhésion aux dogmes fondamentaux exprimés dans le Credo de Nicée-Constantinople, le Symbole de Chalcédoine et les cinq solas de la Réformation — nous nous sommes limités à investiguer la question, à savoir : Quels personnages de la Révolution française eurent une ligne de conduite politiquement calviniste ? Le présupposé ambiant, évoqué plus haut, est que protestantisme politique rythme avec républicanisme, démocratie et individualisme. Il est vrai que « le calvinisme a marqué une étape décisive de l’évolution de la Chrétienté vers la démocratie en créant un gouvernement ecclésiastique représentatif5. » Ce développement implique que certains « concepts politiques occidentaux proviennent directement de la 4 Exception faite de Rabaut St-Étienne. 5 Mario TURCHETTI et al., Calvin et le calvinisme : Cinq siècles d’influence sur l’Église et la société, Genève, Labor & Fides, 2008, p. 294 sur 370. théologie6. » Il est avéré que le christianisme, par la doctrine du péché originel — qui enseigne que tous les hommes sont intrinsèquement pécheurs — a historiquement découragé l’absolutisme monarchique et a encouragé la séparation des pouvoirs (législatif, exécutif, judiciaire) et l’équilibre des pouvoirs (où les différents organes de l’État se font mutuellement contrepoids)7. Il est aussi reconnu que le droit constitutionnel occidental est un prolongement de deux doctrines protestantes. Premièrement, les protestants, par leur doctrine du sola scriptura qui énonce que l’autorité théologique ultime est un corpus textuel – la Bible – accessible à tous, soutiennent que l’Église procède de l’Écriture, et non l’inverse. Ce même principe, appliqué à la sphère politique, fait en sorte que l’État procède de la Constitution, et non l’inverse. Deuxièmement, l’idée de constitution comme pacte régissant une collectivité politique fut inspirée par le contractualisme ecclésial réformé. Historiquement, le constitutionnalisme provient de l’application au gouvernement civil des principes de l’ecclésiologie puritaine « centrée sur la notion biblique de l’Alliance8. » En Suisse, en Angleterre et dans les Treize colonies américaines, le calvinisme et le républicanisme ont généralement évolué dans la même direction9. Toutefois, le républicanisme n’est pas un critère absolu de l’orthodoxie calviniste. En France, les théoriciens huguenots monarchomaques ont prôné une monarchie contractuelle10. En Transylvanie, le calvinisme politique s’est efficacement accordé avec la féodalité nobiliaire. Aux Pays-Bas, le calvinisme s’est consolidé autour d’un chef militaire quasi plénipotentiaire, le Stathouder, qui est éventuellement devenu un véritable monarque (l’opposition démocratique vint alors du parti des remonstrants, des arminiens libertins qui affaiblissaient le front 6 René PAQUIN, « Résistance et révolution politique dans la postérité calvinienne », Revue d’histoire de l’Université de Sherbrooke, http://www.rhus.info/?articles=resistance-et-revolution-politique-dans-la-posterite-calvinienne, consulté le 1er juin 2013. 7 Archie JONES, « The Christian Roots of the War for Independance », Journal of Christian Reconstruction, vol 3, no 1, été 1976, p. 13-69 ; Gary NORTH, « The Declaration of Independance as a Conservative Document », idem, p. 123-149. 8 Charles REIPLINGER, « Les “Fundamental Orders du Connecticut”, première constitution écrite effective en Amérique du Nord », Jus Politicum, no 1, décembre 2008. 9 Richard GARDINER, The Presbyterian Rebellion : An Analysis of the Perception that the American Revolution was a Presbyterian War, thèse doctorale soutenue à Marquette University, Milwaukee (Wisconsin), 2005, 403 p. 10 Jules RACINE SAINT-JACQUES, L'Honneur et la uploads/Politique/ enfants-de-coligny-pourriez-vous-etre-amis-des-rois-le-calvinisme-a-l-x27-epreuve-de-la-revolution-francaise.pdf
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- Publié le Nov 07, 2022
- Catégorie Politics / Politiq...
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