Revue Géographique de l'Est vol. 50 / 1-2 | 2010 Firmes, géopolitique et territ
Revue Géographique de l'Est vol. 50 / 1-2 | 2010 Firmes, géopolitique et territoires - vol. 1 La place des firmes dans la tradition et l’actualité géopolitiques The place of firms in geopolitical tradition and issues Der Platz der Firmen in der geopolitischen Tradition und der geopolitischen Aktualität Stéphane Rosière Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/rge/2942 DOI : 10.4000/rge.2942 ISSN : 2108-6478 Éditeur Association des géographes de l’Est Édition imprimée Date de publication : 31 octobre 2010 ISSN : 0035-3213 Référence électronique Stéphane Rosière, « La place des firmes dans la tradition et l’actualité géopolitiques », Revue Géographique de l'Est [En ligne], vol. 50 / 1-2 | 2010, mis en ligne le 29 septembre 2011, consulté le 08 septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/rge/2942 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rge. 2942 Ce document a été généré automatiquement le 8 septembre 2020. Tous droits réservés La place des firmes dans la tradition et l’actualité géopolitiques The place of firms in geopolitical tradition and issues Der Platz der Firmen in der geopolitischen Tradition und der geopolitischen Aktualität Stéphane Rosière Introduction 1 Pensée historiquement et quantitativement (ce qui ne veut pas dire uniquement) comme une étude des relations entre les États, et se distinguant mal de ce point de vue de l’approche « réaliste » des Relations internationales, la géopolitique classique accorde une place marginale aux acteurs économiques1. Seule la géoéconomie, formulée dans les années 1990, a clairement tendu à renverser les prismes et à se centrer sur l’économie et ses agents (les entreprises et surtout les firmes multinationales). La critical geopolitics anglo-saxonne, analyse des discours géopolitiques qui s’est largement développée depuis les années 1990, est elle aussi relativement centrée sur les discours des gouvernants. On le voit, la place des entreprises et plus précisément des firmes — définit comme « une entreprise, plutôt de grande taille » (Brunet, 1993, p.217) — dans la géopolitique apparaît marginale, ce qui ne veut pas dire inexistante. Cette marginalité soulève de nombreuses questions épistémologiques. 2 Notre papier est structuré en une réflexion sur les développements historiques de la discipline qui sera d’abord menée (1e partie), puis nous soulignerons le poids croissant des firmes, notamment multinationales, et des acteurs financiers dans le monde contemporain marqué par la création d’une « superclasse » oligopolistique (un petit groupe dominant et en position de monopole). Cette situation pose la question d’une lutte pour l’hégémonie entre les firmes et l’État, lutte qui, concomitamment, a des implications sur la géopolitique en tant que discipline scientifique (2e partie). La place des firmes dans la tradition et l’actualité géopolitiques Revue Géographique de l'Est, vol. 50 / 1-2 | 2010 1 I. La place des firmes dans la tradition géopolitique 3 La géopolitique est une démarche praxéologique (ayant pour but d’âtre appliquée2) qui, d’un point de vue historique, a d’abord été pensée comme une étude des relations entre les États tenant compte des facteurs géographiques. De nombreuses définitions sont fondées sur ce paradigme : pour citer Pierre-Marie Gallois – parmi d’autres — elle serait donc une « étude des relations qui existent entre la conduite d’une politique de puissance portée sur le plan international et le cadre géographique dans lequel elle s’exerce » (Gallois, 1990, p. 37). A. La démarche géoréaliste : l’État au centre 4 Suivant cette approche toujours très prégnante, le géopolitique se distingue mal des Relations internationales (l’apparition des deux disciplines étant par ailleurs presque concomitante). Il est vrai que, comme pour P.-M. Gallois, beaucoup d’auteurs qui pratiquent cette géopolitique ne sont pas des géographes. Peut-être les géopoliticiens utilisent-ils plus de cartes que les spécialistes de Relations Internationales, néanmoins, géopolitique et école réaliste des Relations Internationales se trouvent amalgamées en une matrice unique : « géoréaliste » selon l’expression judicieuse de Frédéric Lasserre et Emmanuel Gonon (2008). 5 L’ensemble de la géopolitique classique — qui va de Friedrich Ratzel à la fin du XIXe siècle jusqu'à la Seconde Guerre mondiale et inclue Karl Haushofer, Halford MacKinder (1904), et Nicholas Spykman (1944) — est « géoréaliste ». Elle accorde une place marginale aux acteurs économiques, mais pas à l’économie — on soulignera quand même l'exception d'Isaïah Bowman (1928) qui lui accorde une place plus importante. 6 Parmi les fondateurs, Friedrich Ratzel (qui écrit la première géographie politique en 1897) insiste beaucoup sur la circulation et l’économie3. Bien sûr, sa vision de l’économie est aujourd’hui désuète (lien puissance économique – sol, dans le droit fil de son analyse de l’État comme « organisme » lié au sol – chapitre 1 de la première partie de sa Géographie politique), mais il met cependant en évidence des formes de puissance non territoriales : « la politique des puissances commerciales [passe] par une dépréciation du sol, auquel elles préfèrent les biens mobiles, faciles à acquérir et à échanger (...). » (Ratzel, p. 77). Cependant, et parce qu’il privilégie « l'étude comparative des relations qu'entretiennent l'État et le sol » (Ratzel, 1987, p. 2), pour lui c’est la mise en valeur du sol qui confère la richesse (Bergevin, 1989). « Plus l'individu labourant, semant, récoltant, incorpore de travail dans sa portion de terre, et plus celle-ci prend à ses yeux de prix ; plus il s'y attache solidement, et plus il en augmente la valeur politique, c'est-à-dire plus les liens se resserrent, à travers tous ces maillons intermédiaires, entre la collectivité et l'État » (Ratzel, 1987, p. 59). Dans cette vision, l’espace produit de l’économique qui génère du politique. Les liens économiques consubstantiels à la mise en valeur de la surface terrestre précèdent les rapports politiques car «... l'économie est plus proche du sol que la politique » (p. 59). 7 Friedrich Ratzel n’est pas indifférent à la structure économique du monde, et il en devine même l’importance croissante : « Le commerce mondial tend à transformer toute la terre en un organisme économique unique, au sein duquel les peuples et les pays ne seront que des organes plus ou moins subordonnés. Combien de courants commerciaux convergent déjà sur Londres ! Il faut à un peuple une extrême énergie et beaucoup de ténacité pour conserver son indépendance culturelle et politique au milieu de ce mouvement de concentration » (p. 28). La place des firmes dans la tradition et l’actualité géopolitiques Revue Géographique de l'Est, vol. 50 / 1-2 | 2010 2 Ainsi, sa mise en exergue de la dimension économique de l’espace n’intègre pas réellement les firmes, elle les gomme par l’échelle à laquelle elle l’envisage alors que ses considérations tournent plus autour des peuples et des États – ce qui est vrai chez tous les « géoréalistes » (que nous ne pourrons tous citer ici). B. La remise en cause de l’approche « géoréaliste » 8 La contestation de l’approche « géoréaliste » a pris la forme d’une étude des interactions « transnationales » notamment chez les analystes des Relations internationales (RI) dès les années 1960, comme Arnold Wolfers (1892-1968). Ces auteurs postulaient nettement la pluralité des acteurs dans le champ des RI. « Une théorie qui ne se préoccupe que des Etats comme acteurs est irréaliste, avant tout parce qu’elle néglige la prise en compte des individus comme acteurs à part entière des relations internationales, ensuite parce qu’elle ne considère pas les autres acteurs que sont les organisations internationales, les groupes organisés, etc » (Wolfers, 1962, p.24). Arnold Wolfers ne mettait pas encore, en 1962, nettement l’accent sur les firmes, mais par sa mise en avant de « l’individualisme méthodologique »4, la rupture épistémologique avec l'interprétation statocentrée du « géoréalisme » était bien consommée. 9 Les théoriciens des relations « transnationales » se focalisent sur les processus d’intégration économique et politique à l’échelle de la planète et la théorie de l’interdépendance, proposée par Joseph Nye (né en 1937) et Robert Keohane (né en 1941) confirme cette évolution. Le paradigme de l’interdépendance en RI met l’accent sur l’interdépendance et la coopération en considérant que les relations internationales contemporaines ne correspondent plus au modèle conflictuel et interétatique des théories réalistes. Robert Keohane et Joseph Nye publient en 1977 Power and Interdependance où ils soulignent l’érosion des cadres préétablis d’autorité fondés sur la puissance et, corrélativement, le rôle de plus en plus décisif des grandes firmes multinationales (mais aussi des institutions internationales, des ONG ou des lobbys). L’interdépendance rend délicate la détermination de « l’intérêt national » tout comme elle accentue d’ailleurs la fongibilité entre les structures et les acteurs... 10 On retrouve plus ou moins cette évolution chez les géographes états-uniens, des années 1960, et notamment chez les « fonctionnalistes » anglo-saxons. Parmi eux, Norman Pounds (1963) révisent aussi les visions trop « statocentrées » des aînés. La vision de la géographie politique des « fonctionnalistes » évolue, le rôle de l’économie est souligné même si n’est pas encore au centre de leur préoccupation, elle apparaît néanmoins... Dans sa Political Geography, Norman Pounds consacre ainsi des chapitres aux questions économiques que sont : « Resources and Power » (1963, pp.144-170), « The Foreign Geography of Political Trade » (pp.249-277) ou « The Underdeveloped World » (pp. 357-386). 11 Des remises en cause uploads/Politique/ la-place-de-l-x27-entreprise-dans-la-tradition-et-l-x27-actualite-geopolitiques-rosiere-trs-interressant 1 .pdf
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- Publié le Aoû 31, 2022
- Catégorie Politics / Politiq...
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