Enquête Archives de la revue Enquête 5 | 1997 Débats et controverses Les « vari
Enquête Archives de la revue Enquête 5 | 1997 Débats et controverses Les « variables lourdes » en sociologie électorale État des controverses Heavy variants in electoral sociology. A State of the Controversies Nonna Mayer et Daniel Boy Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/enquete/1133 DOI : 10.4000/enquete.1133 ISSN : 1953-809X Éditeur : Cercom, Éditions Parenthèses Édition imprimée Date de publication : 1 septembre 1997 Pagination : 109-122 Référence électronique Nonna Mayer et Daniel Boy, « Les « variables lourdes » en sociologie électorale », Enquête [En ligne], 5 | 1997, mis en ligne le 15 juillet 2013, consulté le 30 avril 2019. URL : http://journals.openedition.org/ enquete/1133 ; DOI : 10.4000/enquete.1133 Ce document a été généré automatiquement le 30 avril 2019. Les « variables lourdes » en sociologie électorale État des controverses Heavy variants in electoral sociology. A State of the Controversies Nonna Mayer et Daniel Boy 1 Y a-t-il des modèles en sociologie politique ? La classique notion de paradigme, telle qu’elle a été définie à l’origine par Thomas S. Kuhn1, comme un ensemble de théories, de concepts, de notions de base qui, à un moment donné de l’histoire d’une discipline, constituent le cadre général de référence du travail scientifique pour une communauté de chercheurs, pourrait-elle, par exemple, s’appliquer à notre discipline ? À travers cette grille de perception les membres de cette communauté s’accordent sur un certain nombre de résultats acquis et sur les voies dans lesquelles la recherche doit se poursuivre, bref sur les questions qui doivent être posées à la réalité et sur les procédures qui doivent être mises en œuvre pour répondre à ces interrogations. Pour Kuhn, la découverte répétée d’anomalies, c’est-à-dire de faits qui contredisent la théorie en vigueur, affaiblit peu à peu le paradigme dominant et donne naissance, souvent parmi des chercheurs se situant en marge de la communauté, par exemple en raison de leur jeune âge ou de leur faible position institutionnelle, à un nouveau paradigme qui prétend rendre compte plus exactement des anomalies constatées. Une concurrence s’établit alors parfois entre l’ancien et un nouveau paradigme et la crise se résout normalement par la prééminence du second sur le premier mais non sans un certain nombre de retards et de contretemps. 2 Retracer les controverses qui se sont développées depuis une trentaine d’années dans l’explication du comportement électoral donne effectivement parfois le sentiment que l’existence de paradigmes concurrents rend compte de façon assez parlante du débat qui a eu lieu. On peut schématiquement distinguer trois paradigmes. Le premier, appelons-le « modèle sociologique », est associé aux travaux pionniers du sociologue Paul Lazarsfeld et de son équipe, à l’Université de Columbia. Lors de l’élection présidentielle de 1940, qui oppose le républicain Willkie au démocrate Roosevelt, ils se proposent d’étudier l’effet de la campagne sur les choix électoraux. Un panel représentatif des habitants d’un comté de Les « variables lourdes » en sociologie électorale Enquête, 5 | 1997 1 l’Ohio est interrogé tout au long de celle-ci à sept reprises. À leur grande surprise, la campagne n’a eu qu’un effet limité sur leurs choix politiques. Les électeurs se sont en majorité décidés bien avant la campagne et sont restés fidèles à leur choix initial, leurs orientations politiques sont stables et conformes aux normes de leur milieu familial, social et culturel. Inversement, la connaissance des groupes auxquels appartiennent les individus permet de prédire leur vote, comme le montre un indice de prédisposition politique combinant le statut social, la religion et le lieu de résidence. Les électeurs ruraux, protestants et aisés votent dans la proportion de trois sur quatre pour le candidat républicain, tandis que les électeurs urbains, catholiques et socialement défavorisés votent dans la même proportion pour le candidat démocrate. « Une personne pense, politiquement, comme elle est socialement. Les caractéristiques sociales déterminent les caractéristiques politiques2 » : telle est la principale conclusion de leur étude, qui démolit le mythe de la toute-puissance des médias tout comme celui d’un citoyen éclairé, parfaitement informé sur les candidats et les enjeux de la campagne. 3 Ce déterminisme social est sévèrement critiqué par les chercheurs du Survey Research Center de l’Université du Michigan qui font l’hypothèse d’un second modèle « psycho- politique ». Pour eux, le vote est d’abord un acte politique, commandé par la perception qu’ont les électeurs des principaux objets politiques. Ils s’appuient pour le démontrer sur les enquêtes nationales menées au SRC à partir de 1948 à l’occasion de chaque élection présidentielle, auprès d’échantillons représentatifs de la population en âge de voter, interrogés avant et après l’élection. Le comportement électoral est analysé comme la résultante d’un champ de forces psychologiques, qu’ils mesurent au plus près de l’élection considérée, en s’attachant surtout à explorer les attitudes des électeurs à l’égard des candidats, des partis et des programmes. La variable-clé du vote à leurs yeux est « l’identification partisane », attachement affectif et durable de l’électeur à un des deux grands partis qui structurent la vie politique américaine. Elle fonctionne comme un écran perceptif, filtrant la vision du monde des électeurs. Plus ils s’identifient à un parti, plus ils sont favorables aux candidats et aux positions qu’il soutient. La majorité des électeurs apparaît peu informée et peu intéressée par les questions politiques, incapable d’une réflexion abstraite et idéologique. Mais ils ont comme points de repère leurs lunettes partisanes : « Comme l’acheteur d’une automobile qui n’y connaît rien aux voitures sinon qu’il préfère une marque donnée, l’électeur qui sait seulement qu’il est démocrate ou républicain réagit directement à son allégeance (partisane)3. » Celle-ci, généralement forgée dès l’enfance et transmise par les parents, renforcée par le milieu social et professionnel, confère une grande stabilité aux choix électoraux. La mobilité est un phénomène marginal, qui caractérise surtout les électeurs les moins instruits, les moins intégrés socialement et politiquement. 4 Ces deux modèles à leur tour vont être remis en cause et concurrencés par un troisième, celui de « l’électeur rationnel ». Dans les années soixante V. O. Key déjà critiquait la notion d’un électorat passif, prisonnier de la « camisole de force » des déterminants sociaux ou psychologiques, et soulignait sa capacité à porter un jugement, positif ou négatif, sur les sortants. Mais la critique la plus décisive est portée par les auteurs de The Changing American Voter4. Ils estiment que ces modèles sont dépassés et que l’électeur américain a changé. Les identités partisanes sont en crise. La proportion des « indépendants », qui ne se reconnaissent dans aucun parti, est passée de 23 % en 1964 à 40 % en 1974, et même chez ceux qui déclarent encore une identité partisane, elle commande de moins en moins souvent leur vote. Comparés aux électeurs des années Les « variables lourdes » en sociologie électorale Enquête, 5 | 1997 2 Eisenhower, ils manifestent plus d’intérêt aux enjeux de l’élection et la proportion d’« idéologues » tels que les définissait l’équipe de Michigan a doublé. Et ils ont plus souvent tendance à choisir les candidats selon leurs positions sur ces mêmes enjeux plutôt que sur des critères partisans, d’où le concept de « vote sur enjeux ». 5 Ces évolutions tiennent à l’arrivée sur la scène électorale de nouveaux électeurs – jeunes de moins de 21 ans, femmes, Noirs –, sans affiliation partisane préexistante. Ils reflètent aussi un changement de la nature des enjeux, plus dramatiques et plus concrets que ceux des années soixante, qu’il s’agisse de la question raciale, de la lutte contre la drogue ou de la guerre au Vietnam. Ils tiennent enfin à des facteurs structurels, le passage de la société industrielle à une société postindustrielle, caractérisée par le gonflement du tertiaire et le déclin du secteur industriel, la hausse des valeurs « postmatérialistes » et la « mobilisation cognitive » des citoyens5. Plus instruits, mieux informés, ils seraient plus exigeants, plus autonomes, et à la recherche de formes alternatives de participation politique. 6 À la faveur de ces débats un modèle plus ancien, proposé par Anthony Downs dans son ouvrage classique, An Economic Theory of Democracy (1957), se trouve remis à l’honneur. L’électeur qu’il décrit est le frère jumeau de l’homo œconomicus. Les acteurs politiques sont « rationnels » dans la mesure où ils cherchent à adapter les moyens aux fins qu’ils poursuivent. L’électeur-type ferait son choix sur le marché politique comme le consommateur qui achète une marque de lessive, il voterait au coup par coup pour le parti qui maximise son bénéfice ou son « utilité6 ». Et sa perception des candidats en présence, de leurs promesses futures et de leurs réalisations passées, pèserait plus sur son choix que les affiliations partisanes ou les solidarités religieuses ou confessionnelles. Ce modèle lui-même est aujourd’hui très controversé aux États-Unis7. 7 Ces modèles ont fortement influencé l’analyse électorale outre-Atlantique et connu les mêmes vicissitudes. L’érosion des identifications partisanes, le recul de l’influence de la religion et de la classe sociale et la montée du « vote sur enjeux » touchent à des degrés divers la plupart des grandes démocraties occidentales8. En France en particulier, un pourcentage croissant d’électeurs a le sentiment uploads/Politique/ les-variables-lourdes-en-sociologie-electorale-pdf.pdf
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- Publié le Jul 31, 2021
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