Lettre 37 USBEK A IBBEN. A Smyrne Le roi de France est vieux. Nous n’avons poin
Lettre 37 USBEK A IBBEN. A Smyrne Le roi de France est vieux. Nous n’avons point d’exemple, dans nos histoires, d’un monarque qui ait si longtemps régné. On dit qu’il possède à un très haut degré le talent de se faire obéir : il gouverne avec le même génie sa famille, sa cour, son Etat : on lui a souvent entendu dire que, de tous les gouvernements du monde, celui des Turcs, ou celui de notre auguste sultan, lui plairait le mieux ; tant il fait cas de la politique orientale ! 5 J’ai étudié son caractère, et j’y ai trouvé des contradictions qu’il m’est impossible de résoudre : par exemple, il a un ministre qui n’a que dix-huit ans, et une maîtresse qui en a quatre-vingts : il aime sa religion, et il ne peut souffrir ceux qui disent qu’il la faut observer à la rigueur : quoiqu’il fuie le tumulte des villes, et qu’il se communique peu, il n’est occupé, depuis le matin jusqu’au soir, qu’à parler de lui : il aime les trophées et les victoires ; mais il craint autant de 10 voir un bon général à la tête de ses troupes, qu’il aurait sujet de la craindre à la tête d’une armée ennemie. Il n’est, je crois, jamais arrivé qu’à lui, d’être, en même temps, comblé de plus de richesses qu’un prince n’en saurait espérer, et accablé d’une pauvreté qu’un particulier ne pourrait soutenir. Il aime à gratifier ceux qui le servent ; mais il paie aussi libéralement les assiduités, ou plutôt 15 l’oisiveté de ses courtisans, que les campagnes laborieuses de ses capitaines : souvent il préfère un homme qui le déshabille, ou qui lui donne la serviette lorsqu’il se met à table, à un autre qui lui prend des villes, ou lui gagne des batailles : il ne croit pas que la grandeur souveraine doive être gênée dans la distribution des grâces ; et, sans examiner si celui qu’il comble de biens est homme de mérite, il croit que son choix va le rendre tel : aussi lui a-t-on- 20 vu donner une petite pension à un homme qui avait fui deux lieues, et un beau gouvernement à un autre qui en avait fui quatre. Il est magnifique, surtout dans ses bâtiments : il y a plus de statues dans les jardins de son palais, que de citoyens dans une grande ville. Sa garde est aussi forte que celle du prince devant qui tous les trônes se renversent ; ses armées sont aussi nombreuses, ses ressources 25 aussi grandes, et ses finances aussi inépuisables. De Paris, Le 7 de la lune de Maharram, 1713 30 Montesquieu - Lettres persanes - 1721 uploads/Politique/ lettre-37.pdf
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- Publié le Mai 30, 2022
- Catégorie Politics / Politiq...
- Langue French
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