La sociéié politü}ue á taj111 du xv· sh}cle dans les royaumes ibériques et en E

La sociéié politü}ue á taj111 du xv· sh}cle dans les royaumes ibériques et en Europe: élites, peuple, sujets? Les langages de la propagande Le titre de cette communication, « les langages de la propagande », fait écho au colloque qu'avaient orfanisé il y a quelques années l'École Fran9aise de Rome et l'Université de Trieste . Le tenne propagande revient en effet comme un leitmotiv dans l'historiographie qui traite de l'histoire religieuse et politique de la fin du Moyen Áge. Le programme européen Genese de l 'État Moderne lui a consacré partiellement l'un de ses volumes, auquel a participé notre collegue José Manuel Nieto Soria, lui-meme auteur d'un ouvrage précieux sur ce theme3• Toutes ces publications pennettent de déblayer le terrain en établissant des distinctions a peu pres claires entre des concepts que l'on a trop vite fait d'entremeler: celui de propagande, celui de communication, celui d'idéologie, ou encore celui d' information 4• · En effet, deux constatations s'imposent: tout d'abord, comme Jacques Le Goff le souligne justement, le terme est anachronique. II est d'un usage relativement récent chez les historiens, et il leur est d'abord venu du domaine ecclésiastique (propaganda fide ), avant que les vicissitudes du :x_xe siecle ne lui donnent une coloration décidément péjorative5• Pour le monde médiéval, il faut simplement considérer que le terme propagande s'applique aux messages qui ont une signification politique orientée et notamment une intention légitimante ou dé- ligitimante, sans qu'il s'agisse forcément pour cela d'une entreprise, sinon de lavage de cerveau ou d'intoxication, du moins de communication intensive ! Ensuite, deuxieme constatation, ce message peut etre exprimé par l'intermédiaire de 1 Paolo Camrnarosano, éd., Le forme della Propaganda Politica nel due e nel Trecento, (Collection de l'École Fran~ise de Rome, 201) Rome, 1994. Voir en particulier Ph. Contamine,« Aper~us· sur la propagande de guerre », p. 5-27 et J.-Cl. Maire-Vigueur, « Religione e política nella propaganda rontificia », p. 65-83. lconographie, Propagande et Légitimation, dir. par Allan Ellenius, Paris, 2001 ; aussi en anglais : /conography, Propaganda and Legitimation, Oxford, 1998. 3 Ceremonias de la realeza. Propaganda y legitimación en la Castilla Trastámara, Madrid, 1993 ; voir aussi ses remarques dans Iglesia y Génesis del Estado Moderno en Castilla (1369-1480), Madrid, 1993, p. 183-248 et dans Fundamentos ideológicos del poder real en Castilla (siglos XIII-XVI), 1988, f· 41-44. · Voir lriformation et société en Occident a la fin du Mayen Age, dir. par C. Boudreau, K. Fianu et Cl. Gauvard, Paris, 2005. 5 J. Le Goff, « Conclusions », dans Le forme della Propaganda ... , op.cit., p. 519-528, a la p. 519. 90 Jean-Philippe Genet tous les médias imaginables : les formes architecturales, des plus élémentaires aux plus complexes, les couleurs, les sonneries musicales, les chansons, les cris de ralliement, les processions et les offices, les sculptures, les peintures ( de celles des manuscrits enluminés aux fresques les plus gigantesques ), les bannieres, les panonceaux, les uniformes, tout cela a sur le moment autant de poids sinon plus que les savants traités et les lettres de chancellerie sur lesquels les historiens ont le plus souvent concentré leurs regards. Et chaque fois, le medium colore le message qu'il transporte puisque, comme on le sait, le medium est partie intégrante du message. Les langages de la propagande operent done au sein du systeme de communication, avec un destinataire générique précis, la société politique, dont il s'agit de convaincre les membres en usant des ressources offertes par la sphere publique. C'est a ce pretnier probleme que l'on s'arretera, avant d'en venir a l'un des aspects matériels du systeme de communication, en l'occurrence l'espace monumental, pour revenir, in fine, aux contraintes spécifiques que font peser sur les « langages de la propagande » les caractéristiques du systeme de communication médiévale, notamment en matiere d'usage de l'écrit. *** Dans le contexte du présent colloque, cette thématique de la propagande doit done etre rapportée a la problématique de la société politique, telle qu'elle se définit dans le cadre chronologique et conceptuel de la genese de l 'État modeme a la fin du Moyen Áge, et plus particulierement au xve siecle. Une société que l' on peut entendre, classiquement désormais, dans la tradition des historiens anglais et fran9ais tel Raymond Cazelles6, comme composée de tous ceux qui de pres ou de loin, touchent au pouvoir et a son exercice, soit qu'ils y jouent eux-memes un role, si minime soit-il, soit qu'ils soient attachés a ceux qui l'exercent (par exemple dans le cadre de partis, de retenues, de bandas ou de clienteles), soit enfin qu'ils soient consultés par ceux qui l' exercent. Mais aussi une société que l' on peut comprendre en un sens plus large, c'est-a-dire comme englobant non seulement tous les dépendants des membres de la société politique au sens propre, mais aussi tous ceux qui, a un <legré quelconque, sont affectés par le développement de l 'État modeme, notamment a travers l'impót. S'ils n'ont a leur disposition aucun moyen institutionnel pour exprimer leurs opinions, ils les manifestent au travers d'expressions publiques d'adhésion ou d'hostilité, et jusque par leurs révoltes, la révolte populaire de grande envergure étant précisément apparue en simultanéité avec la genese de l'État modeme et lui étant liée par un lien de causalité (impliquant 6 Aux indications bibliographiques données par Claude Gauvard dans son introduction au présent volume, on ajoutera pour la France Ph. Contamine, « Le concept de société politique dans la France de la fin du Moyen Áge : définition, portée et limite », dans Axes et méthodes de l 'histoire politique, S. Berstein et P. Milza, dir., Paris, 1998, p. 261-272 et pour l' Angleterre, le chapitre I de G. L. Harriss, Shaping the Nation: England 1360-1461, (The New Oxford History of England) Oxford, 2005. Un autre exemple européen intéressant est G. Castelnuovo, Ufficiali e gentiluomini. La societa politica sabauda ne! tardo medioevo, Milan, 1994. Les langages de la propagande 91 notamment la fiscalité), souvent masqué par une répartition arbitraire entre révoltes urbaines et révoltes rurales7• Un autre registre expldré par les jeunes historiens est aujourd'hui celui des « émotions » populaires8 : ce sont la autant de chemins insolites ou du moins non canalisés d'acces a la sphere publique9• Pourtant, ils partagent avec les membres de la société politique « restreinte » 10 les memes instruments culturels d'acces a la sphere publique, meme s'ils ne les possedent pas .au meme <legré : ils font partie de l' ecclesia et sont done tout autant que les puissants assujettis au pouvoir symbolique de l'Églisen, ils connaissent la valeur, les fonctions et bien souvent les contenus de l'écrit dans une société de restricted litterac/ 2, leurs cultures s'articulent avec celle des élites laYques et ecclésiastiques qui les incluent d'ailleurs, ne serait-ce qu'en creux, dans leur orbite dominatrice. C'est done pour l'essentiel en face d'un probleme d'histoire culturelle que nous nous trouvons ici. 11 pourrait etre exprimé ainsi de fa9on simplifiée : comment les messages sont-ils chargés d'un sens et d'un contenu idéologique précis et conscient, en fonction d'un « public » qui n'est autre que la société politique ou l'une de ses composantes ciblées ? Pour que cette formulation ait un sens, il faut toutefois qualifier plus précisément quelques-uns de ses éléments. Et tout d'abord, la société politique médiévale n'est pas un « public ». Sur ce point, les remarques faites par Joseph Morsel lors de la premiere des joumées d'études sur l'espace public organisées par Patrick Boucheron et par Nicolas Offenstadt au LAMOP, sont 7 Voir dans le présent volume l'introduction de l'article de John Watts. La chronologie est relevée dans M. Mollat et Ph. Wolff, Ongles bleus, Jacques et Ciompi. Les révoltes populaires en Europe aux XIV et XV siecles, Paris, 1970. Sur les concepts de révolte urbaine et paysanne, voir, inter alia, J. Dumolyn et J. Haemers, « Pattems of urban rebellion in medieval Flanders », Journal of Medieval History, 31, 2005, p. 369-393 et H. Neveux, Les révoltes populaires en Europe XW-XVIf siecles, Paris, 1997. 8 J. Dumolyn et É. Lecuppre-Desjardin, « Propagande et sensibilité : la fibre émotionnelle au creur des lurtes politiques et sociales dans les villes des anciens Pays-Bas bourguignons. L'exemple de la révolte brugeoise de 1436-1438 », dans Emotions in the Heart of the City (14th-16th century), É. Lecuppre-Desjardin et A.-L. Van Bruaene, éd., (Studies in Urban History, V) Turnhout, 2005, p. 41-61. 9 J~ comprends mal a cet égard les intentions que me prete Claude Gauvard dans l'introduction de ce volume : non seulement je crois etre l 'un des premiers a avoir insisté sur la notion de systeme de communication (J.-Ph. Genet, « Histoire et systeme de communication au Moyen Áge », dans Id., éd., L'Histoire et les nouveaux publics dans l'Europe médiévale (Xllf-XV siecles). Actes du colloque international organisé par la Fondation Européenne de la Science a la Casa de Velasquez, Madrid, 23- 24 avril 1993, Paris, 1997, p. 11-29) et sur l'importance pour sa compréhension du concept d'espace public (Id., La genese de l 'État moderne. Culture et société politique en Angleterre, uploads/Politique/ genet-les-langages-de-la-propagande.pdf

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