PRÉSENTATION En abordant le thème de la "gouvernabililité", le séminaire de for

PRÉSENTATION En abordant le thème de la "gouvernabililité", le séminaire de formation doctoral organisé par le Centre universitaire de recherches administratives et politiques de Picardie au cours de l'année 1994-1995, restait dans la droite ligne des séminaires des années précédentes, dans la mesure où il s'agissait encore et toujours d'analyser la portée des changements politiqltes qui affec- tent les sociétés contemporaines : après avoir évoqué la nouvelle configura- tion du rapport entre droit et politique (PUF, 1993), les remaniements dans la construction des identités politiques (PUF, 1994) et la réévaluation de la distinction public/privé (PUF, 1995), l'objectif était de s'interroger cette fois sur les conditions de l'exercice du pouvoir. Problème qui comporte une double face indissociable, bien illustrée par le terme même de "gouvernabilité", qui évoque l'aptitude des gl'oupes à être gouvernés mais aussi les techniques de gouvernement à mettre en œuvre pour y parvenir. Le séminaire se présentait dès lors comme le prolongernent et la synthèse de ceux des années précé- dentes, les transformations observées induisant inévitablement un problème de gouvernabilité : comment en effet gouverner des groupes dans lesquels les règles du jeu tendent à être de plus en plus strictes, la conscience d'apparte- nance plus faible et l'investissement dans le collectifplus réduit? A partir d'une appmche large de la gouvernabilité (I), les travaux du séminaire ont permis de rnontrer que la question avait bel et bien pris une dimension nouvelle dans les sociétés contemporaines (II), débouchant sur un processus d'adaptatiorl des techniques classiques de gouvernement (lII).. l 1 La "goltvernabilité "apparaît à première vue COmme un concept pro- blématique, dont la signification ne relève pas de l'évidence; un travail de cla- rification était dès lors indispensable pour dissiper les équivoques qu'il recèle. la Tr·ès à la mode dans les années soixante-dix, le terme a été marqué d'emblée par toute une série de connotations: la "gouvernabilité" a été posée, notamment par les experts de la Tricontinentale (voir M. Crozier, S. Huntirlgton, J. Watanuki, The crisis of democracy. Report on the governabili- LA CO EH ABlUTÉ of d mo ra i ew- ork University Press, 1975), c?mme un pr~blème l II d'· ,'. occidentales se trouveratent COllfrontees, dlt structure (L1!4ue emocra•.1e . le fi . d blo .ge d mécanismes de régulat.ion des demandes socta s ; et ce al/, lL a . d' dl' b '~ ,'t être Sltrmonté qu'au pnx un enca rement ces meca- pro r,eme ne pauv.LL l' . d 'r' . d' at;ql'es La fiorte charge idéologique et po tUque ont t S est fil m ernocr..· . . . , , . . les"e' a contribué à entretentr ltne profonde sltspl.Cwn autOlLr d un rrOILve aLnsl • , . , . on ept susceptible de légitimer un proces~~s,de regre;swn dem,ocratlque. Dans tOILS les cas, le thème de la gouvernabiltte est passe progresSlVe111ent au, second plan, pctr un recentrage sur la question du "gouvernement" : l'accent 1 est mis, non plus Sltr l"'in-gouverrlabilité" des gouvernés, mais SIU' les , défaillances du gouvernement" (]. Leca, "La gouvernance de la France sous la CingLûème Républiqlte : une perspective de sociologie comparative", Mélanges Ql1ermonne, FNSP, 1996, pp. 329 sq) ; et c'est autour de la problé- matique de la "gouvernance" que se structurent dé ormais les débats sur les transformations politiques en cours. La question de la "gouvernabilité" n'en reste cependant pas moins pertinente, dans la me ure où, "plus ouverte et plus probLématiqlte" (F. Rangeon), elle dépasse celles du "gouvernement" ou de la "gOltvernf,LIlce", en les intégrant dans une perpective plus large: au-delà de l'éttlde de la stTuctItre du pouvoir Olt de la mise en évidence des inflexions dans ses méthodes, il s'agit en effet de 'interroger Sttr les conditions sociales de son exercice ; elle permet ainsi une prise de vue globale sur le gouverne11!ent des sociétés, en mettant au centre de l'analyse la relation de pouvoir. La gOlLvernabilité paraît être, sous cet angle un problème récurrent, qui existe, sinon dans toute société (il serait alors inhérent à l'existence de la domination politique), du moins à partir du moment où les actes du pouvoir ne s'imposent plus de plein droit, par la seule puissance intrinsèque, physique OIL symbolique, d'un pOLtvoir ; déjà, à partir du moment où un "espace public" (au sens d'Haberma) s'est formé, à partir du m0111ent où les déci- sions du pouvoir royal ont été exposées au jugement critique d'un public "éclairé" ; et bien entendu dès l'instant où la démocratisation a abouti à pla- cer dans la collectivité des citoJens le foyer, la source, la garantie de la légiti- mité du pouvoir (souveraineté nationale), ainsi qu'à complexifier la strucWre du pouvoir (séparation des pouvoir) : le thème de la "crise de la démocra- tie", d'une extrême banalité. est ainsi réactivé périodiquement, avec pltts Olt moins d'acuité selon les conjonctures historiques, au point d'apparaître comme un élément constitutif de la démocratie (Voir B. Lacroix, "La crise de la démocratie représentative en France : élé111ents pour une discussion socio- logique du problème", Scalpel, 1994, pp. 6 sq.). Plus généralement, le problè- me de la gouve,.,~abilitéprendra une dimension nouvelle au XVIe siècle, avec l'essor dIL gouvernement des conduites, tradzût, comme l'a montré M. Foucault, par l'extension et la généralisation des techniques disciplinaires et la positivité nouvelle acqILise par l'ordre social. 2° L'analyse de M. Foucault mOf~tre bien que le problème de la gouverna- bilité renvoie en réalité aux mécanis111es de contrôle social et de normalisation des comportements. En ré-encastrant la "gouvernabilité" dans le problème plus général de la "gouvernementalité", M. Foucault opère tout à la fois lm PRESENTATION 1 "décentrement", puisqu'il part non plus de l'institution mais des pratiques, et une "extension", puisque la question du gouvernement s'inscrit dans la pers- pective plus large de l'exercice des techniques disciplinaires (C. Gautier) : l'obéissance au pouvoir, la croyance en sa légitimité sont indissociables d'une action plus diffuse de socialisatiOl~ débouchant sur l'acceptation de l'ordre social, l'intériorisation des contraintes collectives, la soumission à l'autorité (CURAPP, Centre, périphérie, territoire, PUF, 1978). Néanmoins, la gouver- nabilité ne mesure pas seulement la plus ou moins grande réceptivité des gou- vernés aux disciplines institutionnelles qui leitr seraient unilatéralement imposées : elle dépend aussi des techniques de pouvoir mises en œuvre, des méthodes de gouvernement. Cette relation est parfaitement posée dans les tmités d'éducation des princes ou manuels de civilité aux XVIe et XVII" siècles (C. Baroche) : pow' pouvoir gouverner autrui, le Roi doit d'abord apprendre à se gouverner lui-même, en maîtrisant son visage, son corps, son maintien, son propos; le contrôle de soi est indispensable pow' prétendre exercer la domination sur autrui. La gouvernabilité est ainsi une ,'elation dialectique entl'e gouve,'nants et gouvernés, qui se déconstruit et r'econstruit sans cesse au fil de l'évolution sociale et politique. Indissociable de lct ,'elation de pouvoir, la question de la gouvernabilité déborde dès lOl's le terrain du politique strictement entendu pour se poser dans toutes les institutions sociales (CURAPP, L'institution, PUF, 1981) : il s'agit toujours en effet, dans l'ensemble des lieux institutionnels, de savoir comment produire du collectif, en obtenant l'obéissance, mieux en emportant l'adhésion des assujettis. La gouvernabilité l'envoie aux modes d'imposition de la domination, passant par l'utilisation combinée de la contrainte et de l'idéo- logie, qui tendent à s'appuyer l'une l'autre en renforçant leurs effets: tout contlne le recours à la contrainte présuppose la diffusion corrélative de repré- sentations destinées à en justifier l'emploi, l'inculcation de nonnes et de valeu.rs a toujours lieu sur un arrièl'e-plan de violence latente - au moins d ordre symbolique. L'évolutùm des sociétés a certes eu pour effet de réduire totljours davantage, dans le cadre du processus de civilisation décrit par N. Elias, le ,-ecours à la violence physique au profit d'une violence symbolique (1. Sommier) : le contrôle social tend à passer PUl' des processus plus distanciés, visant à l'obtenti07~ de comportements confonnes, moins par l'action sur les corps, que par l'intériorisation du regard inquisiteur des institlttions (E. Darras, D. Deharbe) ; et la prison n'apparaît plus comme un dispositif cen- tr'al de contrôle, même si elle garde sa fonction référentielle de marqueur idéologique et si elle permet d'obtenù' un consensus minimal sur les choix de politique pénale (S. Enguéléguélé). Néanmoins, même euphémisée Oil théâtra- lisée, la violence physique reste toujours présente comme menace potentielle, en cas de t"ansgression des commandements du pouvoir: la plâssance de l'Etat peut notamment s'abattre à tout moment sur les déviants; et l'exhibi- tion des attributs de la force mu.térielle pa,' les agents des appareils répressifs est là pour réactiver en permanence le poids de ces rep,-ésentations. Plus géné,-alement, D. Memmi montre bien que la domination sy-mbolique passe elle-même par l'utilisation d'un répertoire de signes évoquant la violence phy- si.que : l'efficacité des mécanismes symboliques de la domination viendrait du 8 LA GOUVERNABTLITÉ fait que, pour certains au moins, "ils signifient la menace, l'éventualité d'un passage à l'acte toujours possible sur les corps" ; ainsi, la violence physique n'est pas purement et simplement évacuée, mais bel et bien présente au tré- fonds de la domination s'ymbolique, à travers uploads/Politique/jacques-chevallier.pdf

  • 45
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager