Mémoire de Master 2 École des Hautes Études en Sciences Sociales Centre Alexand
Mémoire de Master 2 École des Hautes Études en Sciences Sociales Centre Alexandre Koyré La controverse des machines à voter en France Chantal Enguehard sous la direction de Amy Dahan Jury – Amy Dahan-Dalmedico Directrice de recherche au CNRS, centre Alexandre Koyré, – Benoît Lelong Enseignant-chercheur au LATTS, université Paris-Est, Marne-la-Vallée. 14 septembre 2011 2 Introduction En 2007, l'élection présidentielle en France a vu émerger une polémique largement médiatisée portant sur l'utilisation de dispositifs de vote électronique dans quelques dizaines de communes. L'irruption de ce thème peut sembler surprenante puisque des machines à voter avaient déjà été utilisées dans les années 70 sans que ce changement n'entraîne, à l'époque, de semblables conséquences. Ce mémoire de recherche effectue une analyse de cette controverse. Il est donc strictement limité à l'usage des machines à voter en France et ne traite pas du vote par internet. La première partie est consacrée à l'environnement dans lequel s'inscrit le vote électronique. Elle rappelle les caractéristiques d'une élection puis présente l'ensemble des dispositifs techniques de vote automatique. Chaque dispositif est brièvement décrit, des cas d'utilisations sont cités et une typologie est proposée. Les ordinateurs de vote en usage en France, en tant qu'objet principal de la polémique, sont spécialement décrits en fin de chapitre. Le mémoire leur est ensuite exclusivement consacré. Les acteurs de cette polémique sont présentés en deuxième partie. En troisième partie, une chronologie retrace les grandes étapes de l'histoire des ordinateurs de vote en France depuis l'assemblée nationale jusqu'aux récentes élections régionales de 2010. Les sous-controverses identifiées par l'analyse de documents sont ensuite présentées et cartographiées dans la quatrième partie. La cinquième partie effectue une mise en perspective des machines à voter par rapport au développement de la cybernétique, par rapport aux partis politiques, et par rapport aux institutions de l'État. Ce document est très largement illustré de citations de différentes origines : extraits de débats parlementaires, d'articles de presse, de documents municipaux, de réclamations écrites sur des procès-verbaux de bureaux de vote, etc. Nous avons souhaité les reproduire aussi fidèlement que possible, sans corriger les transcriptions originales, afin de faire entendre les différentes expressions, permettant au lecteur d'apprécier la variété de styles et de tons, allant de la langue de bois la plus maîtrisée aux réactions argumentées ou agacées. Il s'agit de faire percevoir quelque peu l'atmosphère du moment. Cette mise en regard permet aussi de déceler des filiations ou des contradictions entre les expressions ou encore de constater des erreurs factuelles (que nous avons parfois signalées). 1 2 1 - Contexte de l'étude : le vote électronique 1.1 - Le vote Le terme de "vote" désigne une multitude de réalités : on vote pour désigner le président de la république de son pays, mais aussi pour éliminer un candidat à la Star'Ac ou choisir les représentants du personnel de son entreprise. À cette diversité des sujets du vote s'ajoute la multiplicité des manières de voter. Ainsi, en France, les électeurs expriment leur choix en choisissant un bulletin parmi d'autres alors que dans la plupart des autres pays les électeurs expriment leur préférence à l'aide d'un "bulletin australien". Celui-ci présente l'ensemble des candidatures offertes et l'électeur choisit en cochant une ou plusieurs cases ou encore en notant un numéro afin d'ordonner les candidatures par ordre de préférence. Le mode de scrutin connaît aussi une diversité remarquable : il existe des scrutins majoritaires (uninominal ou plurinominal, à un tour, à deux tours, etc.) par opposition aux systèmes de représentation proportionnelle (par quotient, par diviseur, de proportion, etc.) ou encore des méthodes alliant ces deux modes de désignation. De plus, les élections s'inscrivent dans un environnement social, juridique, organisationnel et politique complexe caractérisé par de nombreux indices qu'observent les organismes internationaux : déroulement des élections à intervalles réguliers, campagne libre et équilibrée entre les candidats, élections honnêtes, législation électorale, conditions et déroulement des contentieux électoraux, indépendance de l'organisation électorale par rapport au pouvoir exécutif, constitution du registre des électeurs [OSCE 2005]. Le jour de l'élection les procédures en place doivent assurer le respect de plusieurs critères. En particulier : – unicité : chaque électeur ne peut voter qu'une fois ; – confidentialité : l'électeur exprime son choix en votant seul, à l'abri des pressions ; – anonymat : il est impossible de relier un bulletin de vote à un électeur ; – sincérité : la proclamation des résultats est conforme avec les choix exprimés par les électeurs ; – transparence : les partis, candidats, électeurs et observateurs peuvent suivre le déroulement des opérations électorales. Cette étude a pour objet principal le vote électronique. Elle se limite aux situations de vote pour lesquelles le choix des électeurs reste secret et le principe d'unicité (un électeur, une voix) doit être respecté, ce qui implique l'identification des électeurs appartenant au corps électoral et la tenue d'un registre des émargements. Elle ne traite pas des modes de scrutins. 3 1.2 - Dispositifs techniques Le vote électronique, encore appelé e-vote, s'inscrit dans la famille des dispositifs de votes automatiques qui font intervenir un média technique lors d'une ou plusieurs étapes : expression du vote par les électeurs, acheminement des votes, gestion des émargements, dépouillement. Lorsque le média est uniquement mécanique, il s'agit de dispositifs de vote mécaniques, si au moins un des média est électronique, il devient électronique. Toutefois, ce distinguo n'est pas toujours clairement tranché et il existe un continuum entre ces deux familles. Certains systèmes, purement mécaniques, ont vu quelques-unes de leurs fonctions devenir électromécaniques puis informatiques avec l'introduction de logiciels. Nous conservons pourtant cette distinction en en signalant les limites. L'histoire des dispositifs de vote automatique a plus d'un siècle et il existe une grande diversité d'inventions [Jones 2009]. Sans rechercher l'exhaustivité, nous ne présentons que les dispositifs les plus représentatifs. Les premiers dispositifs de vote mécaniques sont apparus au XIXème siècle aux États-Unis. Les électeurs expriment leur suffrage en appliquant une force motrice sur une pièce (bouton, levier) qui, par le jeu d'autres éléments mécaniques, a pour résultat d'incrémenter un compteur correspondant au choix initial ou d'inscrire le suffrage sur un support matériel. Trois dispositifs peuvent être distingués : – machines à levier, – machines à cartes perforées, – machines à voter. Le vote électronique, apparu dans les années soixante, connaît une plus grande diversité : – ordinateurs de vote avec bulletin dématérialisé (OdV-BD), – ordinateurs de vote avec bulletin matérialisé (OdV-BM), – scanners, – stylos numériques, – kiosques, – boîtiers électroniques de vote, – téléphones, – Short Message Service (SMS), – vote par internet, – vote par correspondance hybride. 1.2.1 – Dispositifs de vote mécaniques Machines à levier Le premier dispositif de vote mécanique en service est une machine à levier "Myers Automatic Booth" utilisée pour la première fois en 1892 à Lockport (État de New York). Pendant un siècle, son usage s'est largement répandu à travers les États-Unis d'Amérique. Sa production a cessé en 1982 et son utilisation est devenue confidentielle. Lorsque l'électeur entre dans l'isoloir il fait face à une série de leviers. Chaque levier correspond à un candidat. L'électeur vote en baissant les leviers de son choix (la machine contrôle que l'électeur ne baisse pas plus de leviers que ce qui est permis), ce qui fait tourner les roues des compteurs correspondants. L'ouverture du rideau de l'isoloir provoque la remontée des leviers qui avaient été baissés, un nouvel électeur peut alors voter. 4 Machines à cartes perforées Il s'agit de dispositifs mécanographiques dont le fonctionnement s'apparente à celui des tabulatrices inventées par Herman Hollerith pour effectuer le recensement de 1890 aux États-Unis. Le premier brevet est déposé dès 1893. Chaque électeur exprime son suffrage via une perforatrice qui fait un trou à un emplacement précis d'une carte perforée afin de mémoriser le choix exprimé. Les cartes sont ensuite lues par une tabulatrice (tabulating machine) qui effectue les additions et les éventuels tris nécessaires. Une version électronique de ce dispositif est apparue en 1965 avec Votomatic. Machines à voter Il faut attendre les années 1970 pour qu'apparaissent en France des dispositifs de vote appelés "machines à voter"1. Ils se présentent comme une boîte munie de 16 touches et fonctionnent sans électricité [Alcatel]. Un électeur exprime son choix en appuyant sur un bouton, entraînant une roue dentée qui ajoute une unité sur un compteur de type odomètre mécanique. La machine doit être "réarmée" par le président du bureau de vote pour accepter un nouveau vote. Le dépouillement est réalisé en ôtant un cache qui dissimule les compteurs. Ces dispositifs sont utilisés à petite échelle pendant une décennie pour finalement tomber en désuétude dans les années 1980 suite aux défaillances et pannes répétées et au constat du coût très élevé de leur maintenance par la Cour des Comptes [Graton 2009]. Il s'agit de la première génération de machines à voter. Figure 1 : Préparation d'une touche de machine à voter Alcatel 1 Loi n° 69-419 du 10 mai 1969 modifiant certaines dispositions du code électoral. 5 verrou de la touche poussoir de la touche levier de remise à zéro serrure pour remise à zéro uploads/Politique/ master2-enguehard-ehess-2011.pdf
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- Publié le Apv 03, 2021
- Catégorie Politics / Politiq...
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