Mots. Les langages du politique 107 | 2015 Discours d'autorité : des discours s

Mots. Les langages du politique 107 | 2015 Discours d'autorité : des discours sans éclat(s) ? La construction de l’autorité en contexte. L’effacement du dissensus dans les discours institutionnels Are authoritative discourses dull and consensual? Michèle Monte et Claire Oger Édition électronique URL : https://journals.openedition.org/mots/21847 DOI : 10.4000/mots.21847 ISSN : 1960-6001 Éditeur ENS Éditions Édition imprimée Date de publication : 23 mars 2015 Pagination : 5-18 ISBN : 978-2-84788-698-6 ISSN : 0243-6450 Référence électronique Michèle Monte et Claire Oger, « La construction de l’autorité en contexte. L’effacement du dissensus dans les discours institutionnels », Mots. Les langages du politique [En ligne], 107 | 2015, mis en ligne le 23 mars 2017, consulté le 24 avril 2022. URL : http://journals.openedition.org/mots/21847 ; DOI : https://doi.org/10.4000/mots.21847 © ENS Éditions Mots. Les langages du politique n° 107 mars 2015 • 5 Michèle Monte, Claire Oger La construction de l’autorité en contexte. L’effacement du dissensus dans les discours institutionnels Qui mobilise la notion d’autorité et étudie sa construction en discours se trouve bien vite sommé de situer sa démarche au regard des positions, aussi célèbres que discutées, de Pierre Bourdieu : en affirmant, dans Ce que parler veut dire, que « l’autorité advient au langage du dehors » (1982, p. 105), le sociologue appelait l’attention sur les mécanismes sociaux de la légitimation, voire de la consécration des « porte-parole », imposteurs dotés du skeptron et représentants privilégiés de l’accès inégalitaire à la parole légitime. Ce dossier, qui s’interroge plus parti- culièrement sur l’autorité des locuteurs institutionnels, n’a nullement pour objet de récuser l’existence ni l’efficience des « rites d’institution » dont l’opérativité sociale et symbolique a si bien été mise en évidence, par P. Bourdieu lui-même, dans La noblesse d’État notamment (Bourdieu, 1989, p. 121). Il paraît pourtant bien difficile de suivre le sociologue sur la voie d’une affirmation aussi radicale que celle qui est rappelée ci-dessus. Nous ne reviendrons pas sur les concep- tions linguistiques et discursives qui sous-tendent une telle position, et aux- quelles Pierre Achard a fait un sort dès la publication de l’ouvrage (Achard, 1983), et nous l’envisagerons plutôt sous l’éclairage des contributions ici rassemblées. Il faudra tout d’abord s’entendre sur le « dehors » dont il peut être ques- tion : le partage entre les locuteurs légitimes et les « sans voix » est un peu vite opéré par P. Bourdieu à l’échelle très large de l’espace social, et l’on verra par exemple, dans l’article d’Isabelle Huré, que des magistrats, locuteurs autori- sés par excellence, adoubés par l’institution et représentants d’une fonction régalienne, peuvent voir leur autorité fragilisée et comme marginalisée, au regard de la parole des victimes, dans le cadre de débats télévisés portant sur la « récidive » : un tel cadrage thématique, qui met l’accent sur le risque couru, induit déjà la prééminence de la parole des victimes, mais surtout le dispositif télévisuel, favorisant l’expression d’émotions, relayant plus volontiers le désar- roi et la souffrance que les propos mesurés et juridiquement contraints des Université de Toulon, Babel EA 2649 michele.monte@univ-tln.fr Université Paris-Est Créteil, CEDITEC (EA 3119) cla.oger@gmail.com 6 • Discours d’autorité : des discours sans éclat(s) ? Michèle Monte, Claire Oger magistrats, tend à miner leur crédibilité ou à réduire la portée de leurs propos. C’est donc bien dans le contexte étroit d’une scénographie particulière qu’il faut envisager la construction de l’autorité, et à cet égard, la force de la parole des magistrats, en passant du prétoire au plateau de télévision, se trouve pour ainsi dire subvertie par le dispositif même dans lequel elle se trouve énoncée. Plus encore pourtant que la définition à donner du contexte d’énonciation, c’est la notion d’autorité elle-même qui fournira l’axe principal de l’interroga- tion, ainsi que les modalités spécifiques de sa construction dans le discours des institutions : dans ce contexte particulier en effet, discours d’autorité et discours autoritaires semblent pouvoir être distingués, non pour établir une distinction de degré ou de valeur, mais bien pour explorer l’inscription, dans les matérialités discursives, de cette crédibilité accrue que suppose l’autorité. Il nous semble en effet que c’est en s’efforçant de dégager l’autorité discursive des liens souvent mal définis qui la rattachent aux discours autoritaires que l’on peut mettre en évidence les formes plus indirectes qu’elle peut prendre dans le discours des institutions : étroitement contraintes, en ce qui concerne les institutions publiques, par les normes de la légitimité démocratique – elle- même en constante évolution (Rosanvallon, 2008) –, ou beaucoup plus géné- ralement par les mutations culturelles qui transforment le rapport aux savoirs et aux autorités réputées les détenir, la plupart des institutions ne sauraient guère aujourd’hui asseoir leur crédibilité sur l’affirmation trop explicite d’une position, ni asséner purement et simplement un point de vue. Dans cette perspective, la légitimation des discours institutionnels pourrait bien se construire de manière diamétralement opposée à l’efficacité des dis- cours autoritaires, dans lesquels affleure sans cesse la force ou même la vio- lence, voire, pour les discours totalitaires, la menace de meurtre (Turpin, 2012 ; Rhétoré, 2012). L’objet de nos interrogations ne sera donc pas la présence rémanente ou résurgente d’une forme de discours « autoritaire » en démocra- tie, que la revue Mots. Les langages du politique (Mots, à l’époque) explorait dans un dossier intitulé Actes d’autorité. Discours autoritaires (Pineira, Périès, 1995) et qui y a fait l’objet de travaux plus récents (par ex. Mayaffre, 2013 ; Yanoshevsky, 2009). Pour autant, l’autorité du locuteur, si l’on veut conser- ver à cette notion une portée spécifique, ne doit pas, à l’inverse, se dissoudre dans une simple crédibilité : toute prise de parole dans l’espace public ne pré- tend pas au statut de parole d’autorité – et peut même au contraire le récu- ser. Le point de vue adopté ici est donc plutôt de considérer l’autorité comme la prétention à un surcroît de crédibilité, qui s’alimente certes au statut social du locuteur et/ou à sa position institutionnelle, mais qui comporte aussi une dimension discursive d’une part, contextuelle d’autre part, toutes deux étroi- tement liées (Oger, 2013)1. 1. Voir notamment le chapitre 7, « L’institution du neutre » (Oger, 2013, p. 237-274). Mots. Les langages du politique n° 107 mars 2015 • 7 La construction de l’autorité en contexte Ce numéro aborde donc bien sûr l’autorité sous les espèces de « l’argumen- tation par autorité », selon les deux formes qu’elle prend dans la terminolo- gie d’Oswald Ducrot (1984, p. 149-158) : deux articles, celui de Stefano Vicari, consacré à l’Académie française et celui d’Anne Régent-Susini, portant sur les catéchismes et controverses du xviie siècle, offrent plusieurs exemples du « rai- sonnement par autorité », qui consiste à attribuer explicitement une proposi- tion à un locuteur extérieur reconnu comme faisant autorité, puis à la reprendre à son compte. D’autres contributions mettent davantage en lumière des phé- nomènes relatifs aux enchainements entre énoncés, qui pourraient être rap- prochés de ce qu’Oswald Ducrot avait appelé l’« autorité polyphonique » : inhé- rente au fonctionnement argumentatif du langage, celle-ci repose sur le fait qu’une proposition P2 tire sa légitimité d’une proposition préalable P1, dont l’assertion, simplement montrée par le locuteur, a par là acquis une force de vérité qui fournit un argument pour P2. Mais on verra que les manifestations linguistiques de l’autorité discur- sive, au sens où nous l’entendons ici, couvrent des domaines variés, allant du lexique au raisonnement en passant bien évidemment par l’énonciation, dont les dispositifs sont très révélateurs, dans les différents corpus étudiés, des efforts des locuteurs pour naturaliser leurs prises de position et les faire passer pour universelles. C’est également en un sens large qu’il faudra comprendre dans ce dossier le recours à la notion d’institution. Débordant le cadre étroit des institutions publiques, celles auxquelles nous nous intéresserons coïncident davantage avec la définition qu’en propose Mary Douglas, de « groupement social légi- timé » (Douglas, 1999) : car c’est bien au sens où les locuteurs sont particu- lièrement reconnus, au sens où ils sont censés détenir un savoir, une compé- tence, une position, une expérience, un savoir-faire qui autorisent leur parole que leur discours peut être, en première approche, qualifié de discours d’au- torité, fût-ce une autorité fragile et contestée. C’est pourquoi on ne s’étonnera pas de trouver dans ce dossier des articles relatifs à la mise en scène télévi- suelle de la parole d’autorité, ou encore au genre de l’éditorial, ici étudié par Thierry Guilbert, et dont Philippe Riutort écrivait : « le discours des éditorialistes emprunte […] beaucoup au discours d’autorité dont il constitue une variante » (Riutort, 2009, p. 142). Par là l’autorité rejoint d’abord les questions posées par l’épistémologie sociale et relatives à la confiance épistémique, que cette confiance en l’au- torité d’une source s’appuie sur des critères supposés rationnels ou qu’elle repose sur une « déférence » socialement construite (Origgi, 2004 ; Id., 2008, p. 43-49). D’autres auteurs d’ailleurs n’ont pas manqué de souligner tout ce que nos discours et nos croyances devaient à des sources autorisées et Marc Angenot a consacré tout récemment à cette question un ouvrage entier, contri- uploads/Politique/ mots-21847.pdf

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