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Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : erudit@umontreal.ca Article Nicole B. Rapoza Études littéraires, vol. 5, n° 2, 1972, p. 267-290. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : URI: http://id.erudit.org/iderudit/500239ar DOI: 10.7202/500239ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI http://www.erudit.org/apropos/utilisation.html Document téléchargé le 5 November 2014 02:47 « L’Influence de Supervielle sur Éluard » 267 L'INFLUENCE DE SUPERVIELLE SUR ÉLUARD nicole b. rapoza L'influence est un sujet toujours délicat et rarement prouvé de façon absolue. Pour oser s'y aventurer, il a fallu que nous tombions sur une observation de Lucien Becker, qui se de­ mande, en 1938, « si ce n'est pas l'apparition de Supervielle qui a fait disparaître en Éluard tout ce que certaines de ses démarches pouvaient comporter de gratuit, de complaisant1 ». Éluard semble confirmer cette supposition en écrivant à Super­ vielle, le 27 juillet 1949 2 , « . . . de peur d'avoir été injuste envers vous. . . vos poèmes m'aident à vivre. » Jusqu'à quel point, et dans quel domaine le poète de l'espace a-t-il influencé le poète de la chambre ? Les critiques ne les mentionnent d'habitude dans un même paragraphe que pour les opposer l'un à l'autre ; Supervielle est « en marge du surréalisme », Éluard y adhère fermement. Alain Bosquet, par exemple, ne trouve dans leurs ouvrages « qu'un dénominateur commun : l'aptitude à rendre la trouvaille intellectuelle im­ médiatement perceptible à l'instinct 3. » Précisons que quand nous parlons d'influence, il ne s'agit ni de style, ni de per­ sonnalité. À une époque où la poésie cherchait de nouvelles formules d'expression, les deux poètes se contredisaient dans tous les domaines relatifs à leur métier : la conception de l'inspiration, le rôle du poète et la fonction de la parole. Sans vouloir s'écarter du sujet, il semble indispensable de rappeler au lecteur ces divergences, parce qu'elles sont bien plus marquées au début de la carrière poétique d'Éluard qu'à la fin. Ce dernier s'exprime avec l'enthousiasme qui 1 « Reconnaissance à Supervielle », Regains (Cahier Spécial), N° 21 (été-automne 1938), p. 94. 2 Paul Éluard, Lettres de jeunesse, Paris, Seghers, 1962. 3 « Jules Supervielle ou l'amitié cosmique », la Revue de Paris, sep­ tembre 1956. Cité par Tatiana W. Greene, Jules Supervielle, Paris-Genève, Droz & Minard, 1958, p. 175, note 2. ÉTUDES LITTÉRAIRES/AOÛT 1972 268 caractérise sa jeunesse et s'estompera avec les années ; Su­ pervielle ne cache pas sa méfiance quant à la validité de l'écriture automatique4. Moins sujet à s'attarder aux théories que la plupart de ses contemporains, Supervielle nous laisse, avec la Fable du Monde, le plus bel Art Poétique que l'histoire littéraire ait jamais cédé. La distance qui sépare les deux poètes est tout aussi vaste entre les deux hommes. Nous ne prétendons pas peser l'im­ pondérable, mesurer l'insondable, ni nous livrer à des études d'emblématologie, de symbolisme ou de psychanalyse sur lesquels se sont déjà penchés d'excellents auteurs. Au con­ traire, nous comptons aborder le sujet de l'extérieur et de la surface, et substituer la simple observation à l'intellectuel. Supervielle vit dans un monde où hommes et bêtes se côtoyent journellement, tour à tour fraternels ou antagonistes, au centre d'un paysage illimité. Il contemple des montagnes jamais fran­ chies, des nuages que nul gratte-ciel n'intercepte, des étoiles que l'électricité d'une grande ville n'estompe pas. Loin des machines et des voitures, il entend tout ce qui bruit, rampe ou respire et, parce qu'il est poète — comme Giraudoux et Saint-Exupéry — il imagine le reste : la marche de la nuit, dont parlait Baudelaire, les pensées des animaux ; il entend une étoile filante tomber, un nuage en frôler un autre, les morts discuter des vivants. Éluard vit, au contraire, dans l'asphalte et le bruit, avec pour seule protection, des murs, des portes et leurs clés. La civilisation oppressante le force à se recroqueviller pour y échapper. Son ciel est un toit, son règne animal, le chien, son espèce : la femme, les camarades d'armes, les poètes et peintres contemporains. Supervielle est un gnostique, Éluard absolument pas. Il est impossible de déterminer exactement 4 « Le poète, dit-il, ne peut compter sur les moments très rares où il écrit comme sous une dictée » (Marcel Raymond, De Baudelaire au Surréalisme, Paris, Corti, 1940, p. 334). Il ajoutera plus tard que «cer­ tains poètes sont souvent victimes de leurs transes » {Naissances, Paris, NRF, 1951, p. 61), avec plus de discrétion qu'Aragon quand il déclarait dans le Traité du Style, en 1928 : « Si vous écrivez, suivant une méthode surréaliste, de tristes imbécillités, ce sont de tristes imbécillités. Sans excuses. » Raymond Jean étudie la préoccupation d'Éluard pour le mot et l'expression et retrace les étapes suivies par le poète (Paul Éluard par lui-même, Paris, Ed. du Seuil, 1968, pp. 83 sqq.). L'INFLUENCE DE SUPERVIELLE SUR ÉLUARD 269 à quel moment la religion de Supervielle glisse de l'animisme au panthéisme, du bouddhisme au taoïsme, puisqu'elle est, comme lui, sans frontières. Au contraire, l'évolution de l'unanimisme d'Éluard vers une philosophie beaucoup plus vaste est apparente, même s'il n'en vient jamais à remplacer le mot « cœur » par sa sœur plus éthérée, l'« âme ». Ils n'ont, au départ, qu'un trait commun : ils cherchent dans l'amour à écarter l'angoisse que créent la solitude, l'insomnie, l'idée de la mort, à adoucir le sort des hommes, à faire face à la vie. Mais l'amour de Supervielle ressemble peu à celui d'Éluard ; il dépasse le charnel, le visible et le présent de sorte que la distance qui les sépare est à la fois spatiale et temporelle. Voilà les éléments qui ne peuvent ni se nier, ni s'altérer par des mots savants, non plus qu'on ne pourrait ignorer les expériences qui leur sont personnelles. Celles que subit Éluard dans une vie mouvementée l'écartent parfois de Supervielle, mais ce sera sans jamais complète­ ment interrompre le phénomène de gravitation qui l'entraîne dans l'orbite du poète cosmique. D □ □ Rien ne semble indiquer qu'Éluard ait eu connaissance de Supervielle, dans ses premiers recueils. Ce sont Gala et la guerre qui lui fournissent les thèmes de l'amour et de la mort dans le Devoir et l'Inquiétude (1917) ; ses Poèmes pour la paix (1918) voltigent autour du bonheur de son mariage à Gala et de la démobilisation. Le recueil suivant, les Animaux et leurs Hommes, les Hommes et leurs Animaux (1920), mérite qu'on s'y arrête. La poésie surréaliste a fourni ses bestiaires, symboliques en général, à l'époque où ses adhérents s'intéressent aux arts primitifs de l'Afrique et du Pacifique. Supervielle consacre aux animaux une grande partie de son œuvre, indépendam­ ment des surréalistes. De la fourmi au diplodocus, le poète de Montevideo compose sur la faune une véritable symphonie d'où se détache, avec la pureté d'un diapason, la note fran­ ciscaine. Dans ce domaine, l'attitude d'Éluard évolue visi­ blement. ÉTUDES LITTÉRAIRES/AOÛT 1972 270 Le regard qu'il pose sur la vache, le poisson ou le cheval 5, en 1920, lui vient de Buffon : amical, mais supérieur, Éluard évalue les bêtes selon ce qu'elles fournissent à l'homme en lait, en chair, ou en travail. Dans les Nécessités de la Vie (1921) 6, le poète songe probablement au « roi des animaux » de ses livres d'histoire naturelle, quand il écrit avec une certaine suffisance : « Et tous les lions que je représente sont vivants, légers et immobiles, » pour s'apitoyer ensuite, non sur les agneaux, mais sur lui-même : « Martyr, je vis à la façon des agneaux égorgés. » Mourir de ne pas mourir (1924) révèle le premier contact d'Éluard avec Supervielle ; des images apparaissent, insolites dans le répertoire éluardien, familières aux paysages de Dé- barcadères (1922) et de l'Homme de la Pampa (1923). On y trouve un certain sarcasme, quand « l'homme s'enfuit, le cheval tombe » (p. 55), et plus souvent des descriptions : « Il y a aussi, dans une ville de laine et de plumes, un oiseau sur le dos d'un mouton. Le mouton, dans les fables, mène l'oiseau au paradis. » (p. 59) Éluard contemple un « aigle qui défend le mouvement des sphères. . . » («La malédiction », p. 62) et « l'espace. . . qui prend les échos au lasso. » (p. 87) Pendant son séjour en Suisse, il est certain qu'Éluard conva­ lescent avait dû avoir l'occasion de voir des aigles, des nuages et des moutons. Mais le fait qu'il n'y fait pas allusion dans ses poèmes précédents, alors que cet épisode remonte déjà uploads/Politique/ supervielle-eluard.pdf

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