AU NOM DE QUOI ? LES REVENDICATIONS DE LÉGITIMITÉ, EXPRESSIONS DE MUTATIONS SOC

AU NOM DE QUOI ? LES REVENDICATIONS DE LÉGITIMITÉ, EXPRESSIONS DE MUTATIONS SOCIALES ET POLITIQUES Hélène Hatzfeld Érès | « Vie sociale » 2014/4 n° 8 | pages 25 à 36 ISSN 0042-5605 ISBN 9782749246352 DOI 10.3917/vsoc.144.0025 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-vie-sociale-2014-4-page-25.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Érès. © Érès. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Les revendications de légitimité, expressions de mutations sociales et politiques Hélène Hatzfeld a uJourd’hui, il est fréquemment question de légitimité dans la vie quotidienne : dans des réunions rassemblant des élus et des habi- tants ou des professionnels et des usagers, mais aussi de manière très large dans la presse et sur internet. qu’il s’agisse de questions éthiques, telles que la procréation médicale assistée, ou les oGm, d’opinions et de choix politiques – notamment ceux qui peuvent avoir un effet encore mal connu –, de personnes publiques, sportifs, écrivains ou chanteurs s’exprimant dans les médias, ou encore d’actions menées par des gens ordinaires pour revendiquer leur droit (à résider en france, à travailler ou étudier…), les revendications de légitimité fleurissent. Curieuse- ment, la légitimité qui a été pendant des siècles l’apanage des puis- sants, des chefs – rois, guerriers, prophètes… –, après s’être étendue à l’exercice des professions, est entrée dans les expressions courantes, sans qu’on la remarque. Cette multiplication et cette diversification de la légitimité sont révélatrices des mutations sociales et politiques profondes que nous traversons et transforment les conditions d’exercice des droits dans la Cité. © Érès | Téléchargé le 30/01/2023 sur www.cairn.info via Université de Limoges (IP: 164.81.239.192) © Érès | Téléchargé le 30/01/2023 sur www.cairn.info via Université de Limoges (IP: 164.81.239.192) 1. hélène hatzfeld, Les légitimités ordinaires. Au nom de quoi devrions-nous nous taire ?, paris, L’harmattan-adels, 2013. Hélène Hatzfeld 26 Vie Sociale n° 8 – 2014 II TOUS LÉGITIMES ? Chacun peut s’en rendre compte facilement : les débats autour de la légitimité sont de plus en plus fréquents, qu’il s’agisse d’en revendiquer ou d’en contester une. pas une réunion publique sans que des membres d’associations reprochent aux élus ou aux experts, venus présenter une enquête ou un projet, leur manque de légitimité, et que les élus rétor- quent que telle ou telle association n’a pas de légitimité à s’exprimer au nom des habitants ou des usagers, parce qu’elle n’est pas représen- tative ou parce qu’eux seuls, élus, ont la capacité de dire l’intérêt géné- ral. plus largement, c’est la demande de justifications de décision ou de prise de position qui devient de plus en plus fréquente : « au nom de quoi… faites-vous, dites-vous, pensez-vous… ceci ? » Ces constats que chacun peut faire dans sa vie professionnelle ou citoyenne sont mesurables. prenons pour preuves des documents écrits, la presse quotidienne 1. Grâce à la numérisation des anciens numéros du Monde ou de Libéra- tion, il est possible de savoir si le terme « légitimité » a connu une augmentation significative d’emploi. Le résultat est éloquent : il a plus que doublé dans Le Monde en vingt ans (de 1987 à 2007), passant de 254 à 549 par an, soit d’un emploi deux jours sur trois à un emploi tous les jours. Et il continue de rester à un niveau élevé. il est aussi possible de voir la grande diversité des sujets auxquels le terme de légitimité est accolé. si les faits internationaux sont de loin les plus concernés, la légi- timité est également invoquée à propos d’individus (qui ne sont pas seulement des hommes politiques mais aussi des personnalités des médias, artistes, journalistes, dirigeants d’entreprise…), de questions éthiques (suicide assisté, mariage pour tous…), de culture (critiques de films ou de livres…), d’économie, d’histoire ; apparaissent encore le sport ou des objets de consommation. on pourrait voir dans cette bana- lisation une perte de sens et la regretter, voire la dénoncer (mais au nom de quoi ?). prenons donc le parti inverse et demandons-nous de quoi cette extension et cette diversification de la légitimité sont le signe. La question que posent toutes ces références si diverses à la légitimité n’est pas : est-ce un « bon » emploi ? mais, qu’apporte le fait de recourir à la notion de légitimité ? que permet-il de dire sur la situation concernée et plus largement sur les représentations de la société, ses valeurs, ses hiérarchisations ? que nous apprennent ces revendications ou dénéga- tions de légitimité sur la façon dont notre société produit ce qui peut être considéré comme légitime : aux yeux de qui ? au nom de quoi ? par quels processus ? que nous disent ces « légitimités ordinaires », des transformations des rapports aux pouvoirs, aux normes, au politique ? © Érès | Téléchargé le 30/01/2023 sur www.cairn.info via Université de Limoges (IP: 164.81.239.192) © Érès | Téléchargé le 30/01/2023 sur www.cairn.info via Université de Limoges (IP: 164.81.239.192) 2. Jean-marc Coicaud, Légitimité et politique. Contribution à l’étude du droit et de la responsabilité politique, paris, puf, 1997. 3. paul Bastid, « L’idée de légitimité », Annales de philosophie politique, n° 7, 1967, p. 3. Au nom de quoi ? Les revendications de légitimité, expressions de mutations sociales… 27 Vie Sociale n° 8 – 2014 II LA LÉGITIMITÉ : AU-DELÀ DE LA LOI si la légitimité a bien un rapport à la loi par son étymologie, ce rapport est particulier. d’abord parce qu’il existe différentes sortes de loi. Le sens le plus courant de loi désigne un ensemble de dispositions législatives et réglementaires élaborées par un groupe d’hommes mandaté à cet effet. Ces lois peuvent être formalisées par un texte écrit ou par une tradition orale – la Grande-Bretagne n’a pas de constitution écrite et elle est en partie régie par un droit coutumier. Ces lois, établies par les hommes, visent à fixer un cadre de règlement aux conflits au sein de la société. appliquer ces lois, c’est agir dans la légalité. il existe un autre type de lois auquel nous nous référons fréquemment : les lois fondées sur le « bon droit », la raison, ou certains codes de conduite propres à des groupes sociaux. Ce sont ces lois qui définissent, selon les pays et les époques, les enfants « légitimes », la « légitime défense » ou les « revendications légitimes » des travailleurs… plus générale- ment, les normes sociales et culturelles sont un élément constitutif de légitimité parce qu’elles sont source d’un accord 2. Ces lois ont la parti- cularité d’être reconnues au sein d’un groupe, restreint ou large. Comme les précédentes, elles sont donc établies par les hommes, mais ne revêtent pas le même degré de formalisme ; elles sont plus incons- cientes, plus enfouies dans les structures sociales. si elles sont parfois formalisées dans des lois écrites, elles sont toujours l’objet de diffé- rends sur leurs fondements. Enfin, aux lois humaines ont souvent été opposées les « lois divines ». Celles-ci sont supposées transcender le caractère imparfait, souvent empreint de partialité, voire franchement injuste et oppresseur, des lois fabriquées par les hommes. alors que la légalité renvoie seulement aux lois humaines, la légitimité renvoie aussi aux lois transcendantes, à des valeurs, à une éthique. mais la différence entre légalité et légitimité ne tient pas seulement à la différence entre types de lois. C’est le rapport à la loi, notamment dans le cas des lois civiles, qui change. « par rapport aux règles qui sont effectivement obéies, selon paul Bastid, il semble que la légiti- mité les déborde. […] La légitimité se réclame d’une idée morale supé- rieure au droit établi 3. » La légitimité met une distance entre le fait concerné et le jugement porté : si une entreprise peut se réclamer de la loi pour justifier la présence de traces d’oGm dans des semences, c’est sur le plan éthique que ses adversaires contestent son action. Cette prise de distance qui caractérise la légitimité a été définie de différentes manières. raymond polin l’exprime par l’idée d’« au-delà » : « de © Érès | Téléchargé le 30/01/2023 sur www.cairn.info via Université de Limoges (IP: 164.81.239.192) © Érès | Téléchargé le 30/01/2023 sur www.cairn.info uploads/Politique/ vsoc-144-0025.pdf

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