ANONYMAT DE LA PRÉSENCE VS DIS-PLAY PERFORMATIF. UNE ANALYSE DE COMMENT FAIRE ?

ANONYMAT DE LA PRÉSENCE VS DIS-PLAY PERFORMATIF. UNE ANALYSE DE COMMENT FAIRE ? DE TIQQUN Erik Bordeleau ERES | « Chimères » 2009/1 n° 69 | pages 73 à 92 ISSN 0986-6035 ISBN 9782749234052 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-chimeres-2009-1-page-73.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Erik Bordeleau, « Anonymat de la présence vs dis-play performatif. Une analyse de Comment faire ? de Tiqqun », Chimères 2009/1 (n° 69), p. 73-92. DOI 10.3917/chime.069.0073 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour ERES. © ERES. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 197.28.87.77 - 12/12/2016 00h30. © ERES Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 197.28.87.77 - 12/12/2016 00h30. © ERES La couleur noire renferme l’impossible vivant. Son champ mental est le siège de tous les inattendus, de tous les paroxysmes. Son prestige escorte les poètes et prépare les hommes d’action. René Char Introduction Comment faire? a été publié en 2001 en France dans la revue Tiqqun II, dans la foulée du G8 de Gênes. Le mot « Tiqqun » est un concept messianique provenant de la kabbale et qui signifie « rectification », « réparation » ou encore « amen - dement du monde ». Dans Spurem, Bloch raconte une parabo- le sur le règne messianique qu’il a entendu de Benjamin (lequel la tenait de Scholem) qui en précise le sens: « Un rabbin, un vrai kabbaliste, a dit un jour: pour instaurer le règne de la paix, il n’est pas nécessaire de tout détruire et de donner naissance à un monde complètement neuf; il suffit de déplacer juste un peu cette tasse ou ce petit arbuste ou cette pierre, et ainsi de suite pour toute chose. Mais ce peu est si diffi- cile à réaliser, et sa juste mesure si difficile à trouver, que pour ce qui a trait au monde, les hommes n’y arrivent pas et il est nécessaire que vienne le Messie. » 1 Un imperceptible tremblement dans la finitude du monde, une ouverture sur une zone d’indétermination qui le rend ainsi capable de se faire indiscernable, de se faire quelconque: 73 ERIK BORDELEAU doctorant en littérature com- parée, Université de Montréal ANONYMAT DE LA PRÉSENCE vs DIS-PLAY PERFORMATIF. UNE ANALYSE DE COMMENT FAIRE? DE TIQQUN P O L I T I Q U E Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 197.28.87.77 - 12/12/2016 00h30. © ERES Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 197.28.87.77 - 12/12/2016 00h30. © ERES Erik Bordeleau 74 c’est ce petit déplacement qui devra être accompli pour chaque chose dans le monde messianique, nous indique Agamben. À première vue, On pourrait être tenté de remplacer la phrase « ce petit déplacement qui devra être accompli » par la suivante: « ce petit déplacement qui devra être performé ». En effet, selon son étymologie, dans la performance, quelque chose trouve son accomplissement: elle est per-formée, portée à bout, parachevée. Et pourtant, d’une manière dont nous essaierons de rendre compte tout au long de ce travail, l’utilisation du mot « performer » ici ne serait pas tout à fait appropriée. Il en irait, pour ainsi dire, d’un indésirable éclec- tisme, entre ce qu’on appellera provisoirement le paradigme du performatif et celui, plus ou moins nettement identifiable, du micropolitique. Le texte-manifeste Comment faire? par ti - cipe de ce second paradigme; et de fait, malgré qu’il y soit prioritairement question de corps, de résistance et de présen- ce, le mot performatif ne s’y trouve nulle part. Le mot « performatif » participe d’un découpage fondamental dans la pensée philosophico-politique contemporaine, qui reconduit, en dernière analyse, le partage entre analytique anglo-saxonne et pensée « continentale ». Son rôle central devrait nous indiquer au moins une chose: si, tra di tion nel - lement, la pensée critique se concevait comme conscience éclairée dissipant les ténèbres, on ne peut dorénavant esqui- ver la question de sa mise en chair effective. Cette exigence nouvelle répond à une transformation essentielle du panora- ma politique contemporain: dans un monde où la différence identitaire est progressivement devenue l’instrument principal de domination biopolitique, les luttes pour la reconnaissance d’inspiration hégélienne, qui ont fait le lit de la politique iden- titaire des 20 ou 30 dernières années, sont définitivement dépassées. Plutôt que de revendiquer un quelconque « droit à la différence », il faut désormais penser comment résister à la privatisation de l’existence et à l’impuissance politique à laquelle elle nous réduit. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 197.28.87.77 - 12/12/2016 00h30. © ERES Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 197.28.87.77 - 12/12/2016 00h30. © ERES Une analyse de Comment faire? de Tiqqun 75 Le présent travail se divisera en deux parties: d’abord, nous nous proposons d’esquisser dans ses grandes lignes le para- digme du performatif, à travers une analyse succincte des œuvres de Judith Butler, Richard Sennett et Slavoj Zizek ainsi qu’en commentant quelques réflexions de Marvin Carlson sur l’art performatif. Dans un deuxième temps, nous nous pencherons sur le texte-manifeste Comment faire ?, de manière à faire ressortir une tout autre manière de penser la question du corps et de la présence dans le contexte de la résistance à la mobilisation totale des existences. I. Le paradoxe du dis-play performatif Judith Butler: le pouvoir du performatif Dans le champ philosophico-politique, Judith Butler est sans doute l’auteure qui a développé la conception du performatif la plus achevée. Dans son œuvre, le performatif est porteur d’une promesse politique d’émancipation et constitue la pièce maîtresse d’un système de résistance qui insiste sur le pouvoir insurrectionnel du discours. En forgeant ce concept, Butler entend souligner deux choses: d’une part, le caractère essen- tiellement construit de toute réalité sociale et le système des performances qui crée l’apparence d’une substance continue. Elle écrit: « If the ground of gender identity is the stylized repetition of acts through time, and not a seemingly seamless identity, then the possi- bilities of gender transformation are to be found in the arbitrary relation between such acts […] What is called gender is a perfor- mative accomplishment compelled by social sanction and taboo. In its very character as performative resides the possibility of contest- ing its reified status. » 2 L’identité, sexuelle ou autre, apparaît comme l’objet d’une croyance constamment réitérée à travers des actes de discours dont le caractère performatif représente simultanément leur efficace et leur possibilité de subversion. Butler parlera en ce sens de « performativité tacite du pouvoir », et inversement, de la possibilité d’une contestation politique qui autorise une reformulation inédite du sujet. En cela consiste son projet Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 197.28.87.77 - 12/12/2016 00h30. © ERES Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 197.28.87.77 - 12/12/2016 00h30. © ERES Erik Bordeleau 76 général d’une resignification active des termes de la moder- nité afin de les forcer à « embrasser ceux qu’ils ont tradition- nellement exclus. » 3 Dans ce contexte, le performatif est la clé de voûte d’un système conceptuel résolument anti-essen- tialiste qui formalise un espace de résistance au cœur du pro- cessus de formation de subjectivités. Dans un deuxième temps, l’intérêt du concept de performatif chez Butler réside dans sa manière de problématiser le rap- port au langage, ou plus précisément, de mettre en évidence le fait que toute parole est prononcée par un corps, que le corps est en jeu dans tout discours. Butler est très sensible à ce qu’elle appelle « la vulnérabilité linguistique », « la vulnéra- bilité au fait d’être nommé [qui] constitue une condition per- manente du sujet parlant. » 4 Par exemple, elle soulignera comment « certaines invectives produisent des symptômes physiques qui paralysent pour un temps la victime. » 5 Plus généralement, il en va ici de la question de l’autorité du per- formatif: il s’agit par exemple de savoir si l’usage impropre du performatif peut parvenir à produire un effet d’autorité. Comme l’ont montré aussi bien Benveniste que Derrida, le performatif est inextricablement lié à la loi et à l’autorité. Il nécessite la répétition et est ancré dans la réitération du rituel. Mais est-ce que la puissance du performatif réside sim - plement dans le pouvoir social préalable de celui qui parle? Y a-t-il une possibilité de rupture dans la chaîne de comman - dement des performatifs en vigueur? Ici, Butler fera jouer contre un Bourdieu plus pessimiste un Derrida qui insiste davantage sur l’autonomie relative de la fonction structurelle du signe, et par extension, sur sa force de décontextualisation uploads/Politique/ anonymat-de-la-presence-pdf.pdf

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