HAL Id: halshs-00497950 https://shs.hal.science/halshs-00497950 Submitted on 6
HAL Id: halshs-00497950 https://shs.hal.science/halshs-00497950 Submitted on 6 Jul 2010 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Politique culturelle : le succès d’une catégorie floue Vincent Dubois To cite this version: Vincent Dubois. Politique culturelle : le succès d’une catégorie floue : Contribution à l’analyse des catégories d’intervention publique. Kaluszinski (M.), Wahnich (S.) dir. L’État contre la politique, L’Harmattan, p. 167-182, 1998. halshs-00497950 1 Politique culturelle : le succès d’une catégorie floue Contribution à une analyse des catégories d’intervention publique En janvier 1996, le ministre de la Culture français, Philippe Douste-Blazy, propose à Jacques Rigaud, directeur de cabinet de l’un de ses prédecesseurs —Jacques Duhamel, ministre des Affaires culturelles de 1971 à 1973— de présider une commission consacrée à la «refondation de la politique culturelle de l’Etat». Le temps n’est en effet plus aux appels à la constitution d’une forme nouvelle encore à inventer —«pour une politique culturelle»1— mais désormais au retour sur les «fondements» d’un «modèle» (ce sont les mots du ministre) établi depuis les débuts de la Ve République : «pour une refondation de la politique culturelle»2. Re-fonder : le terme employé dit à lui seul que la politique culturelle est désormais ancrée dans une «tradition» d’intervention publique. Et de fait, la politique culturelle a, en France, accédé au rang de réalité socialement attestée. Qu’un sondage d’opinion à ce sujet puisse être administré, et ne recueille qu’une très faible proportion de non-réponse en constitue, à sa manière et entre mille autres possibles, un indice3. Mais la constitution de la commission dite de «refondation» révèle également autre chose. Elle témoigne aussi de ce qui, à l’analyse, apparaît comme une constante de l’intervention publique en matière culturelle : une incertitude persistante quant à son «fondement», ses objectifs, voire son objet même4. La «commission Rigaud» de 1996 pourrait bien ainsi être la dernière manifestation en date de la double face de la politique culturelle en France : d’un côté, cette politique est effectivement objectivée dans des institutions, des rôles sociaux, des discours ; de l’autre sa définition est un perpétuel recommencement. Cette double face incite à l’analyse. Près de quarante ans après l’objectivation institutionnelle de cette politique dans un ministère des Affaires culturelles, l’interprétation anthropomorphique d’une indétermination liée à la «jeunesse» ne saurait suffire. Pas plus d’ailleurs que ne saurait suffire une interprétation lexicographique qui, en rabattant le problème de l’institutionnalisation des politiques de la culture sur la polysémie du mot culture 1Cette expression sert de titre à un grand nombre d’écrits, au moins jusqu’à la fin des années 1960. Cf. par exemple CHARPENTREAU Jacques, Pour une politique culturelle, Paris, Ed. Ouvrières. Coll. "Vivre son temps", 1967, 230 p. ; ROVAN Joseph, "Pour une politique de la culture", Communications, nº 14, 1969. ; EMMANUEL Pierre, Pour une politique de la culture, Paris, Seuil, 1971, 204 p. 2Titre du rapport publié à la Documentation Française, 1996, 201 p. 3Cf. le sondage IFOP commandé par la commission de refondation et publié dans le rapport, op. cit., p. 173-177. Le taux de non-réponse y est toujours inférieur à 5 %. 4Cf. sur ce point les remarques convergentes de Guy Saez, «Les politiques de la culture» in Traité de Science Politique, Tome 4, dir. J. Leca et M. Grawitz, Paris, P.U.F., 1985 et Ehrard Friedberg et Philippe Urfalino, Le jeu du catalogue, Paris, La Documentation Française, 1984. 2 masquerait justement ce qui fait problème, c’est à dire l’usage de ce mot pour désigner une politique. Et de fait, définir une politique culturelle c’est, pour les agents qui y sont engagés (hommes politiques, fonctionnaires ou intellectuels d’institution), produire une définition de la culture en lieu et place de ceux qui, artistes et intellectuels, en ont historiquement acquis le monopole. En ce sens, l’inachèvement de la définition de la politique culturelle n’est il pas pour partie mis en scène ? N’offre-t-il pas un gage de la non ingérence des agents du champ politico- bureaucratique dans les affaires intérieures du champ culturel ? Un hommage que le «vice» (le formalisme bureaucratique) rendrait à la «vertu» (la liberté et l’effervescence créatrice des artistes faisant fi des frontières) ? On pourrait alors faire l’hypothèse que l’indécision de la politique culturelle, la remise périodique de sa définition sur le métier, constituent moins les signes d’une «faiblesse», d’un «manque», que la voie particulière suivie par son institutionnalisation. Poser la question de l’institutionnalisation, de l’objectivation de la politique culturelle amène nécessairement à un regard historique. Non pas pour faire l’histoire de cette politique, au sens d’un récit des différentes «décisions» qui en déterminent le «contenu» et la supposée «substance»5, mais pour restituer les pratiques par lesquelles un ensemble a priori hétérogène —ou plus exactement dont l’homogénétité n’est pas donnée a priori—d’actes et d’objets ont été subsumés sous le sceau englobant et unifiant d’une «véritable» politique. On verra en l’occurrence que la formation d’une politique étatique de la culture n’a rien d’évident. D’abord, d’importants obstacles s’y sont longtemps opposés. Ensuite, son émergence doit moins à un développement inéluctable de l’action étatique (la culture comme «achèvement», après l’économie, le social…) ou à un quelconque projet préalable des autorités politiques, qu’à un ensemble de facteurs pour partie contingents qui mêlent conjoncture politique et configuration des rapports entre les champs bureaucratique et culturel. C’est alors la manière dont cette forme historique se stabilise et les limites avec lesquelles elle se stabilise qui retiendront notre attention. C’est en l’occurrence dans le flou qu’elle trouve sa stabilité. Le regard historique est alors de nouveau utile, cette fois pour restituer les enjeux qui 5On se réfère ici à l’usage d’origine anglo-saxonne de ces termes qui est fait par des auteurs comme Jean-Claude Thœnig. Thœnig Jean-Claude, «L’analyse des politiques publiques», in Madeleine Grawitz et Jean Leca (dir.), Traité de Science Politique, Tome 4, Paris, P.U.F., 1985, p. 1-60 ; Mény Yves et Thœnig Jean-Claude, Politiques publiques, Paris, P.U.F. Thémis, 1989, 391 p. 3 sous-tendent l’institutionnalisation de la politique culturelle et qu’elle révèle en retour. On verra en effet que c’est dans les conditions particulières d’émergence de la politique culturelle, c’est à dire dans ce qui se joue à travers l’intervention inédite des agents de l’Etat dans la définition de la culture, qu’il faut chercher les raisons de cette forme particulière d’institutionnalisation qu’est l’institutionnalisation par le flou. A partir du cas de la politique culturelle, c’est plus généralement sur les formes politiques de classification qui produisent et que produisent les politiques publiques que l’on souhaite réfléchir. On voudrait ainsi, au delà de l’objet empirique étudié, proposer quelques pistes pour une analyse de la construction des catégories d’intervention publique, destinée à éclairer les deux questions liées l’une à l’autre de la définition des politiques publiques et de l’articulation des pratiques et des représentations dans la production de ces politiques. I. D’une genèse improbable à une institutionnalisation incertaine6 On peut faire à propos des politiques culturelles un double constat analogue à celui qu’établit Luc Boltanski à propos des cadres7. D’un côté, agents sociaux et observateurs témoignent d’une difficulté commune à établir les frontières précises de ce qui se donne comme un agrégat composite, aux limites incertaines. D’un autre côté, ces catégories floues existent bien, puisque des agents sociaux y accordent leur croyance et s’en réclament, que des institutions concourrent à leur objectivation. Si l’on écarte à la fois la tentation d’ajouter une définition aux multiples définitions en concurrence, et donc de trancher dans les conflits dont il s’agit de rendre compte, et celle d’une position de surplomb, décrétant que les politiques culturelles —ou les cadres— n’existent pas, il reste à restituer la construction sociale et historique de ces catégories, et à chercher les raisons de l’incertitude qui les caractérise. Histoire d’un échec prolongé 6Pour de plus amples développements, Cƒ notre thèse, La culture comme catégorie d’intervention publique. Genèses et mises en forme d’une politique, Thèse de Doctorat en Science Politique, sous la direction de M. Offerlé, IEP-Lyon II, 1994, 810 p. 7Boltanski Luc, Les cadres. La formation d'un groupe social, Paris, Minuit-Le sens commun, 1982, 523 p. 4 Faire l’histoire de la formation de la culture comme catégorie d’intervention publique, autrement dit l’histoire de l’institutionnalisation des politiques culturelles comme domaine et fonction légitimes de l’Etat, c’est d’abord faire l’histoire d’un échec, et, pourrait-on dire, d’une impossibilité. En la matière, les processus obsevables dans la première moitié de la IIIe République8 se rejouent dans une large mesure jusqu’à la création du ministère des Affaires culturelles. S’il est un fait que les pouvoirs publics interviennent de longue date dans le domaine artistique9, tout ce qui fait exister socialement une politique fait défaut, jusqu’à une période récente. Tout au long des IIIe et IVe Républiques, uploads/Politique/article-scientifique-politique-culturelle-le-succes-d-une-categorie-floue-pdf.pdf
Documents similaires










-
32
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Dec 04, 2021
- Catégorie Politics / Politiq...
- Langue French
- Taille du fichier 0.4467MB