Dix principes pour rendre le système éducatif plus efficace Philippe Perrenoud

Dix principes pour rendre le système éducatif plus efficace Philippe Perrenoud 1* Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation Université de Genève 2002 Les enquêtes internationales récentes attirent l’attention sur le décalage entre ce que les systèmes éducatifs voudraient faire et ce qu’ils font. Dans une conjoncture marquée par les déficits budgétaires des finances publiques et une culture de l’évaluation aussi simpliste qu’envahissante, il ne faut pas s’étonner que l’efficacité de l’enseignement soit devenue une préoccupation majeure. Elle n’est pas neuve pour autant, presque toutes les réformes scolaires prétendent améliorer l’efficacité de l’école, notamment en luttant contre l’échec scolaire et les inégalités. S’ils savaient comment rendre le système éducatif plus efficace, les pays les plus démocratiques et les plus soucieux de l’éducation fondamentale de tous auraient déjà pris les mesures nécessaires. Nul ne détient LA solution. Du moins peut-on tenter d’apprendre de l’expérience des réformes et des acquis de la recherche. Certes, l’efficacité du système éducatif est limitée par les moyens économiques disponibles. Même s’il donne la priorité à l’éducation, un pays ne peut dégager toutes les ressources nécessaires. Les limites financières sont cependant loin de tout expliquer. Il n’est pas sûr qu’un pays assez riche pour offrir d’excellentes conditions de travail et créer un poste d’enseignant pour cinq élèves viendrait à bout de l’échec scolaire, en l’état actuel des savoirs et des méthodes, des identités et des compétences des acteurs. On se gardera donc de croire qu’il suffit de… Accroître l’efficacité du système éducatif - système d’action complexe et intimement imbriqué à la société - est une tâche très difficile, qui prendra des générations. Il est démagogique d’affirmer qu’une seule réforme peut faire des miracles. Lorsque les gouvernements ou les rénovateurs font des 1 *Courriel Philippe.Perrenoud@pse.unige.ch. Internet :http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/ Laboratoire Innovation, Formation, Education (LIFE) : http://www.unige.ch/fapse/SSE/groups/LIFE 1 promesses inconsidérées, ils provoquent des déceptions qui laissent des traces. L’état du débat sur l’école, entre critiques injustes et effets d’annonce imprudents, indique l’immaturité de nos démocraties, qui préfèrent changer de gouvernement ou de politique plutôt que d’accepter que les réformes s’attaquent patiemment et rigoureusement à des problèmes très difficiles à maîtriser rapidement à large échelle. À un système éducatif qui cesserait de brûler ce qu’il a adoré et de chercher des têtes à couper plutôt que d’assumer une responsabilité collective, on pourrait proposer quelques pistes. Je développerai ici l’idée qu’il faut, pour accroître lentement mais sûrement l’efficacité du système éducatif : 1. Des politiques de l’éducation plus durables, systémiques et négociées. 2. Des établissements qui ont les moyens de leur autonomie et savent rendre compte de l’usage qu’ils en font. 3. Des professionnels compétents, autonomes et réflexifs, engagés dans une amélioration continue et coopérative des pratiques et des dispositifs. 4. Des cadres exerçant un leadership professionnel plus qu’un contrôle bureaucratique. 5. Des curricula flexibles, allant à l’essentiel et visant des objectifs de formation explicites et raisonnables. 6. Des didactiques constructivistes et des dispositifs pédagogiques créant des situations d’apprentissage fécondes. 7. Une organisation du travail scolaire mise prioritairement au service d’une pédagogie différenciée. 8. Une division équitable et négociée du travail éducatif entre les parents et l’école. 9. Des professions fondées sur des savoirs étayés par les sciences sociales et humaines. 10.Une culture de l’évaluation plus intelligente. En amont, mais c’est une condition d’un autre ordre, il importe d’adhérer au principe d’éducabilité de tous et de penser que le système éducatif peut devenir plus efficace. Reprenons une à une ces dix pistes. 1. Des politiques de l’éducation durables, systémiques et négociées Le système éducatif est une lourde machine, dotée d’une grande force d’inertie. Pour réorienter sa trajectoire, il faut du temps, comme pour changer le cap d’un paquebot. 2 L’impatience est mauvaise conseillère. Promettre des résultats en trois ou quatre ans condamne à ne manipuler que des « signes extérieurs de réussite ». Les politiques éducatives ont besoin de temps, de ministres et d’administrations qui ne changent pas de réforme avant même que la précédente ait porté ses premiers fruits. La persévérance ne signifie pas qu’il faut appliquer rigidement un plan détaillé. Une politique de l’éducation, si elle se déploie sur huit à douze ans, doit nécessairement intégrer des évolutions et parfois des bouleversements politiques, des conflits sociaux, des fluctuations économiques, le renouvellement de la haute administration et du personnel politique, et bien d’autres événements difficiles à anticiper. On accroîtra les chances de garder le cap s’il existe un dispositif de pilotage qui puisse soustraire les politiques de l’éducation aux effets de conjoncture, par exemple un conseil supérieur de l’éducation réunissant des représentants des diverses forces sociales. On voit des systèmes éducatifs qui suppriment les notes et reviennent en arrière trois ans plus tard. D’autres qui accroissent l’autonomie des établissements puis la restreignent avant même qu’on puisse en mesurer les effets. D’autres encore qui changent de curriculum alors que le précédent n’est même pas en vigueur dans toutes les classes. Il serait plus sage de « laisser du temps au temps », de ne pas demander des résultats immédiats, alors que l’innovation commence tout juste à s’implanter (Perrenoud, 1998 a). Le constat d’échec s’appuie fréquemment sur une évaluation prématurée, commanditée par un ministre qui entend mettre en évidence l’inefficacité de ses prédécesseurs. Il arrive aussi qu’une réforme soit abandonnée ou oubliée sans qu’on sache ce qui en résulte. Elle est chassée du devant de la scène par une nouvelle potion magique, qui connaîtra le même sort. Ce fonctionnement induit un immense gaspillage de moyens et d’énergies. Plus gravement encore, il démobilise une partie des acteurs, écœurés d’avoir investi des années de leur vie dans une réforme dont on ne sait même pas si elle a produit quelque effet… Moderniser un système éducatif est nécessairement une entreprise systémique ! Il n’y a aucune raison de parier, à tour de rôle, sur la refonte des programmes, de nouvelles formes d’évaluation des élèves, les technologies nouvelles, le renforcement des relations avec les familles, les projets d’établissements, la pédagogie différenciée, les partenariats locaux, l’extension de la formation continue ou la prise en compte des dimensions interculturelles. Toutes ces entrées sont pertinentes, mais aucune n’est suffisante. Seules les politiques qui agissent simultanément dans ces divers registres ont une chance de transformer durablement le système. Dans toutes les organisations, il existe des groupes de pression spécialisés qui prétendent détenir les solutions : les tenants des technologies, les auteurs de moyens d’enseignement, les chercheurs, les militants des mouvements pédagogiques et d’autres encore. Il importe que ces apports soient mis en synergie par un pouvoir politico- 3 administratif disposant d’assez de ressources intellectuelles pour faire œuvre de synthèse et inviter les spécialistes au dialogue. En démocratie, si les politiques de l’éducation sont publiquement débattues puis adoptées par le gouvernement et soutenues par le parlement, elles devraient « normalement » entrer en vigueur. Ce serait compter sans les enseignants, les parents, voire les élèves. S’ils se mobilisent, ils peuvent empêcher la réalisation de réformes pourtant décidées dans la plus grande légalité. Les politiques de l’éducation ne seront fortes que si, décidées légalement, elles sont aussi négociées avec les professionnels et les usagers. Les décisions se prendront alors un peu moins vite, mais les acteurs impliqués dans la négociation soutiendront en général les compromis qui en résultent (Gather Thurler, 2000 c et d, Perrenoud, 1999 a, 2002 f et g). Faute de savoir ou de vouloir mener ce second type de négociations, nombre de ministères se trouvent rapidement isolés, coalisant contre eux des mécontents qui s’opposent au changement pour des raisons diverses et parfois contradictoires, mais suffisantes pour mettre une réforme en échec. Les dispositifs de concertation et de pilotage négocié demandent une certaine « imagination sociologique », pour tenir compte de la culture politique, administrative et syndicale du pays, de la force des associations de parents et d’enseignants, de la configuration des institutions de formation et de recherche. Il n’y a pas de modèle unique, de tels dispositifs sont toujours des bricolages politico-institutionnels fragiles. La concertation sera d’autant plus féconde qu’elle porte sur le développement du système éducatif à moyen terme et dans son ensemble. « L’école fait des réformes, la médecine fait des progrès », note ironiquement Philippe Meirieu. On peut souhaiter que les politiques de l’éducation cessent d’être des machines à fabriquer des réformes pour devenir le moteur de progrès permanents, selon quelques lignes de force clairement dessinées et négociées. Il est certes nécessaire de modifier des lois, de remanier des institutions, mais on devrait considérer ces changements structurels comme de simples facilitateurs d’une évolution continue des pratiques. Bref, si l’on veut rendre l’école plus efficace, il faut s’attaquer aux problèmes avec continuité et patience, renoncer aux effets d’annonce et à la pensée magique, comprendre que la réforme de l’école n’est pas une guerre-éclair, mais une longue marche. 2. Des établissements qui ont les moyens de leur autonomie et savent rendre compte de l’usage qu’ils en font La plupart des pays tendent à accorder aux établissements scolaires une certaine autonomie, au minimum dans l’usage des ressources et l’organisation du travail, parfois 4 dans les choix curriculaires. On demande aussi uploads/Politique/dix-principes-pour-rendre-le-systeme-educatif-dox.pdf

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