Lfne errtan.ce alg&íerrlre Textes recueillis par Leúa Sebbar Gallirnard Âx"n-Êr

Lfne errtan.ce alg&íerrlre Textes recueillis par Leúa Sebbar Gallirnard Âx"n-Êrs sLrR IMÂGES Jean Darcie! Né le 21 juiliet 1g2O à Blidâ, en Âlgárie. Érudes de letres et de philosophie. Il fonde Caliban, une revue culturelle, en 1947. Ii est ródacteur en chef de L'Express jusqu'en 1964. En 7964, il fonde I-e Nouuel Obseruateur, dont il est aujourd'hui óditorialiste et directeur. Il a publié plusieurs ouvrages, dont les derniers : Ia blessure (Grasset, 1,992). L'ami anglais (Grasset, 1994, prix Âlbert Camus). Voyage au boui de la nation (Seuil, 1995). Dieu est-il fanatíque ? Essai sur une religieuse incapacité de croire (Arléa, 1996). Auec le temps, Carnets, 1970-1998 (Grasset, 1998). I J'*i découverr la banaiité de ..'on enânce heu- reuse en arrivant à Paris. Chacun de rnes arnis ou bien avait honte de ses parents, ou bien se révoltait contre erlx, ou bien les avait perdus dans la guerre, 1a Résistance, l'holocauste. Ils les appelaient (( mes vieux »- Ils évoquaient les scànes oà I'un de leurs parents leur avait procuré Lrne gêne extrêrne devant leurs arnis. Les livres ne racontaient que le malheur d'avoir été jeune et il s'ensuivit une rnode assez intirnid.ante pour que je derneure discret sur ma propre jeunesse. Jusqu'au jolrr oü je brandis mon bonheur courü1e Lrne grâce et oü je rne rnis à évoquer les frustes auteurs de mes jours corrurle des Princes. Ma rnaison faisanr ofiice de F-efug* et de Source. rc2 Une e{ance algéienne II f)a*s ,,,on agérie française, la vie des serrs était méditerranéenne et la vie de l'esprir était, pour moi, parisienne. À vrai dire, elle r. iefugrair *ã*., sous l'influence de rna u grande seur » de ,irrgt_ sept ans ',,on ainée, rue Sébastien-Bottin, aans ta seule N-R.F. c'esr la lecrure de Gide qui m,a invité à connaitre ce privilêg. : être né à gúda. ce sont Les ltJoutitures terestres qui m,ont fait d.écou_ vrir au-delà des laideurs du centre-ville er sa place d'Arrnes provinciale et coloniale, les charnaes du Jardin des oliviers, du Bois sacré, er certe allée d'acacias er d'eucalyprus oü habitaient nos profes_ seurs, c'est-à-dire nos dieux. L'usage voulàt que l'un de ces derniers invitâr un élàve en privé. Mon pêre rn'envia, lorsqu'il apprit que c'étaii ülorr tour, de << visiter » I'un d'entre eux. It avait le culte du savoir, le respect de ceux qui savent assez pour dis- poser du seul pouvoir qui lui en irnpoàt, celui d'enseigner. ce jour-ià, il fir avec rnci la rnoirié du chemin. cornrne il êmir âgé, il rnarquair 1e pas ; adotrescenr, j* rr".rsais le n:r-ien. ,, Il t'est donné de connaitre des geil.s qui "savent", disait-itr, et d'apprencre d,eux des choses importâiltes. » Cornrne si la science avait pour lui des rnystàres que seuls les professeurs pouvarent déchiffrer er rransmettre. Je poursuivis seul me route, ému, effrayé, excité pal h^visite que j'allais faire- c'était I'hiver, c,est-à-dire ra saison oü l'on ne sait pas que res ben.r.io,ràées sont simpre- ment so*ptueuses, ra victoire sur Ia lurniêr., ,,r. t. froid' donnant au coqps je ne sais quoi de convâ- Iescent et de tonique. Arêts sur images 103 III Le professeur était jeune. Il me dit son plaisir de me voir- Je fus bredouilrant .r p*.*tysé. Ma dmi_ dité I'indrnida- IrIe sach-ant problblemenr par quoi corunencer, iI décida de o,e faire entendre un air de musique crassique. Ir mit un disque sur son « pick-up )), puis rn'instalra dans sorl jardin et m'invita à bien regarder Ie ciel. fl *. drr";;; dans cette position, j e devais aisément derriner ce qu'évoquair Ia_ rnusique en question. J,étais à ,,,ile lieues de savoir q,roi que ce soir. Eussé-je êté en mesure de devirler, j'aurais óté ..op affi:ié pour ,,,e concencrer- Le cier é,*it pur, I,air \.i{ infinimeni limpide et léger à travers ies arbres, eü c,est à peine si à I'horizon orr pouvait apercevoir des sries, des fiIets nébuleux. euelle ép.*,rr. , « Cherchez, ou plutôt, dites ce qui vous passe par }a têre », me ciit ie proGsselrr' Je répondis à ,o.r, hasarci : <* Jardins sous L'azur- * Je .rr. souvenais d.,un poàrne qu,il 104 Une enfance algéienne nous avait lu en classe oü il y avait trois fois le mot << azLtr >>- Le morceau à deviner, c'était << Nuages » de Claude Debussy.Je rougis. Je rougissais poLrr un rien. Mais 1à, c'était plus important qu'un examen, et je le rnanquais ! I1 rne fit parler de rnoi, de mes parents, de rnes rêves, de rnes lectures- Au lieu de quoi je répondais en parlant de rrra sceur parce qu'il rne semblait qu e c'êtait un sujet inépuisable et que j'avais déjà constaté qu'il intéressait tout le monde. Il y avait sur r?1a table I-e Rouge et le líoir que ma scur, précisément Mathilde, m'avait fait trire plu- sieurs fois. J'^í cru pouvoir rne rendre intéressant en rêpêtant ce qu'elle disait de Julien Sorel, à savoir qu'il avait eu rnille fois tort de préfrrer Madarne de R*ênal à Mathilde de La Mole. I1 y eut une sorte d'indulgente tendresse dans le sourire du proiesseur. 11 rrre dernanda ce qu'évoquait pour rnoi le nom de Sorel- Alors là, corrutre un singe savant, je répondis d'une seule traite : « Julien, le héros de Stendhal, Georges, le théoricien de la violence, Â1beft, l'historien de la Révolution »- Ce fut au tour de mon hôte de rougir, mais je suppose que c'êtaít de plaisir. Et de gratitude devant rtlon vernis culturel précoce. I1 rre posa la question de savoir si je parlais arabe. « NoI1. )> « Si j'avais envie de l'apprendre ? » ., Non. ,> Il hocha la tête en disant qu'il átait dans le mêrne cas et qu'i1 en avaít honte. (]e ne cornpis pourquoi que des années plus tard i grâce à un autre professeur, rnon arnT Anêts sur images 105 Marcel Dornerc.) I1 rne dernanda aussi si en dehors du latin je faisais du grec. C'êtait non. À pa*ir de ce ÍnoÍrrent, it entreprit de fil'enseigner le grec deux fois par sernaine gratuitement chez lui. Il s'appelle Ândrê Belarnich. I1 vit toujours en cet été de 1996. C'est lui que Carnus a chargé en 1,957 de raduire et d'établir l'édition des ceuvres de Fede- rico García Lorca dans la o Pléiade ». Sur le chernin du retour, je rencontrai rnon pêre. Je rnis ma rnain dans la sienne ave ç la ceftitude qu'il comprendrait qu'il pouvait être fier de rnoi. J'étais heureux. IV Mieux je reconstitue I'aube de mon enfance et moins je trouve les habituelles scànes du folklore « Cagayous » italo-espagnol de ceux qui se sont baptisés eux-mêrnes « pieds-noirs >>. On n'aimait pas le bruit dans rrra grouillante farnille. Ma rnàre et Írra seur ainée noLrs avaient élevés dans l'iciée que crier était vulgaire. C'eüt êtê, de plus, une marque d'irrespect à l'égard du patri.arche qui régnáit sur ses ortze enfants et qui, lui, n'élevait jarnais La voix. Peut*être le Pàre avait-il été habité par ses goCrts de prosreneur des montagrres, sa farniliarité avec les l{abyles (ce juif parlait berbêre et il en était frer), son éloignenlent des gens de ia mer dont il savait eu€, pour ses enfants, elle ítaít 106 Une enfance algérienne une promesse et qu'il considérart, lui, ColÍurle une nnerrece. Selon ses préjugés tenaces, la Írrontagne forrnait des homrnes graves. Tandis que sur les rivages, il n'y avait au rnieux que des charrnellrs versatiles sinon des voyotls- La Méditerranée folklorique se réfugiait place d'Armes et elle était parfois savourelrse. J'entendais les « grands » s'interpeller : Oh Marcel ! ()h Ârnédée ! Pas possible ? Cornrne ça tu es 1à- Bien sür, je suis 1à, et toi oü tu vas ? Oü je vais ? J. vais Par 1à- Et alors ? Alors, voilà- Sacré vieux Marcel ! Putain d'Arnédée ! Ce dialogue lrre surprenait chaque fois car les deux interlocuteurs qui se rencontraient ainsi s'étaient Souvent vus quelques instants auparavant, en IrIa présence. Mais à Blida, on (( faisait » la place d'Armes jalonnée de becs de 8zz, on « faisait » le boulevard Trurnelet, bordê d'orangers et puis on recomrnençait. Cette << pâSSâgiata » concernait esserrtiellernent les hommes. Les ferrrrnes qui s'y aventuraient devaient afrecter de se rendre quelque parf . J'ri souvent obserr,.3 ce riCe avec fires arrris Marcel DeíIieux et Jean Bonneterre. I-e prernier Clait à ia conquête ,Ces Íbmrnes âvec la stratégie de Arrêts sur images 707 Julien sorel- Le second rêvait de voler, corrurre un oiseau, corrurre un avion. Les deux se plaignaient, dês le rnoindre signe de riornphe que 1; pÃre.,,ps manifesrair, qu'il allait bientôr fa110ir affronrer I'insolente beauté des filles. Ils étaient à l'avance las de leur désir anticipé et de la violente imagination qu'ils s'en faisaient. V un jour, Deffieux me fit rougir en me faisant observer que l'un de ',es fràres regardait les femrnes avec une trop visible concupiscãnce. chez moi on ne parlait jarnais ni du sexe ni de la rrrorr. Éror et Thanatos tabous I Nous n'avions pas à nous uploads/Religion/ 01-une-enfance-algerienne-01.pdf

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  • Publié le Nov 07, 2022
  • Catégorie Religion
  • Langue French
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