Georges Martin Alphonse X de Castille, roi et empereur. Commentaire du premier

Georges Martin Alphonse X de Castille, roi et empereur. Commentaire du premier titre de la Deuxième Partie In: Cahiers de linguistique hispanique médiévale. N°23, 2000. pp. 323-348. Citer ce document / Cite this document : Martin Georges. Alphonse X de Castille, roi et empereur. Commentaire du premier titre de la Deuxième Partie. In: Cahiers de linguistique hispanique médiévale. N°23, 2000. pp. 323-348. doi : 10.3406/cehm.2000.925 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/cehm_0396-9045_2000_num_23_1_925 ALPHONSE X DE CASTILLE, ROI ET EMPEREUR Commentaire du premier titre de la Deuxième partie* II est à peu près unanimement admis aujourd'hui que les Sept parties furent entièrement composées sous le règne d'Alphonse X de Castille et qu'une première rédaction fut achevée, comme l'indique le prologue de la version « type British Muséum » de la Première partie, entre 1256 et 1265*. En ce qui concerne le premier titre de la Deuxième partie, dont il va être question ici, un indice, contenu dans la loi 11, permet de fixer en toute certitude un terme ad quem à son - achèvement : la mention de la principauté chrétienne d'Antioche comme entité politique contemporaine des rédacteurs^. Celle-ci, en effet, tomba aux mains des mamelouks en 1268. La rédaction de notre texte est donc certainement antérieure à cette *Unc version préparatoire de cette étude fut présentée, les 6 et 7 mars 1997, aux étudiants en histoire du droit de l'Univcrsidad Complutense de Madrid puis aux chercheurs du Centro de Estudios Históricos du CSIC. Je remercie le Professeur José Manuel Pérez Prendes et les historiens du CSIC (notamment Isabel Alfonso et Ana Rodríguez) pour leurs observations savantes et avisées, de même que Jesús Rodríguez Velasco, aimable consultant du SEMH à l'Université de Salamanque, pour sa contribution constante, en idées et en livres, aux travaux de l'auteur de cet article. Également public dans l'hommage à Françoise Zmantar réalisé par le Centre d'Études et de Recherches Sociocritiqucs de l'Université de Montpellier III. 1) Jerry R. Craddock, « La cronología de las obras legislativas de Alfonso X el Sabio », A.H.D.E., 51, 1981, pp. 365-418 ; José Manuel Pérez Prendes, «Las leyes de Alfonso el Sabio », in Alfonso Xy su ¿poca, Revista de Occidente, 11, 1984, pp. 67-84 ; Juan Antonio Arias Bonct, Pnmera partida (manuscrito Add. 20.787 del Brtttsh Muséum), Universidad de Valladolid, 1975, p. 3. 2) J'ai pris l'habitude de travailler sur l'édition glosée de Gregorio López (Salamanque, 1555 ; fac-similé : Las sute partidas, 3 vol., Boletín Oficial del Estado, 1974). C'est à cette édition que renverront toutes mes références. Néanmoins, je cite le texte sous contrôle de l'édition R.A.H. (Madrid, 1807) et après consultation de l'édition d' Aurora Juárez Blanquer et d'Antonio Rubio Flórez, Partida segunda de Alfonso X el Sabio (manuscrito 12794 de la BJf.). Edición y estudio, Grenade: Imprcdisur, 1991. Fragment étudié: t 1, « Segunda partida », fol. 2r°a-8v°a. Mention de la principauté d'Antioche, fol. 7r°a. 324 GEORGES MARTIN date. Peut-être faut-il même suivre Jaime Ferreiro Alemparte^ lorsqu'il estime que la Deuxième partie était achevée dix ans plus tôt, en 1258. La Deuxième partie est, pour l'essentiel, un long traité de droit politique. Les juristes alphonsins y exposent la nature, l'étendue et l'organisation du pouvoir royal ainsi que la structure et le fonctionnement de la société des laïcs, la Première partie étant consacrée quant à elle à l'Eglise et aux clercs. Le premier titre traite « des empereurs, des rois et des autres grands seigneurs de la terre4 ». La richesse de l'information que livre ce texte sur le projet impérial d'Alphonse X et sur la conception qu'il avait de la royauté, aussi bien que l'importance de la Seconde partie dans l'histoire des traités politiques chrétiens des XIIIe et XIVe siècles ont trop souvent été sous-estimées par l'historiographie. Mon commentaire s'attachera fondamentalement à combler cette lacune. LE PARTAGE DES POUVOIRS Les deux glaives. Le prologue de la Deuxième partie (fol. 2) établit le partage entre « pouvoir spirituel » et « pouvoir temporel » en même temps qu'il justifie rétrospectivement la division de la matière entre les deux premières Parties. L'ordre d'exposition est justifié par ce que « Dieu est premier et commencement et moyen terme et achèvement de toute chose », la Première partie traitant en effet de « la foi catholique de notre seigneur Jésus-Christ » (fol. 2r°a). En revanche, l'emblème gélasien des deux glaives, dont on connaît la fortune et les exploitations antagoniques qu'il suscita, de la part des théoriciens pontificaux et impériaux, au long des XIIe et XIIIe siècles^, figure ainsi le partage : « Ce sont là les deux épées par quoi se maintient le monde : la première spirituelle, l'autre temporelle. L'épée spirituelle tranche les maux cachés, et l'épée temporelle les maux manifestes » (fol. 2r°b). La distinction entre « maux cachés » 3) Jaime Ferreiro Alcmparte, « Recepción de las Éticas y de la Política de Aristóteles en las Siete partidas del rey Sabio», Glossae, 1, 1988, p. 97-133 (pp. 102, 123). 4) Éd. de réf., fol. 2r°a. 5) Voir, par exemple, Ernst Kantorowicz, Les deux corps du roi (lre éd., Princeton University Press, 1957), Paris: Gallimard, 1989, p. 330; ainsi que les synthèses de Robert Folz, L'tdée d'Empire en Occident du V au XlV siècle, Paris: Aubier, 1953, pp. 122 et 154, et d'Anthony Black, El pensamiento político en Europa, 1250-1450 (lre éd., Poltlical thought in Europe, 1250-1450, Cambridge University Press, 1992), Cambridge University Press, 1996, pp. 63-129 et notamment pp. 67, 73 et 75. ALPHONSE X DE CASTILLE, ROI ET EMPEREUR 325 et « maux manifestes » est aussitôt expliquée : « (...) ceci renferme le châtiment de l'homme, au spirituel comme au temporel. Et ces deux pouvoirs s'unissent [dans]** la foi de notre Seigneur Jésus- Christ pour faire justice complètement à l'âme et au corps » (fol. 2r°b). Ces mots sont précédés de la déclaraion suivante : « Parce que la foi ne doit pas être gardée seulement des ennemis manifestes, qui ne croient pas en elle, mais aussi des mauvais chrétiens hardis qui n'y obéissent pas, ni ne la respectent, ni ne la gardent, et que c'est là chose qu'il faut interdire et punir cruellement, ce que \\es clercs] ne peuvent pas faire, puisque leur pouvoir est spirituel, plein de pitié et de merci, notre Seigneur Dieu a placé un autre pouvoir, temporel, sur terre afin que cela s'accomplisse, de même que la justice, dont il voulût qu'elle se fît sur terre par la main des empereurs et des rois » (fol. 2r°ab). Pour abstrait et topique que paraisse le propos, le rapport qui s'établit ici entre foi et justice, âme et corps, maux cachés et maux manifestes nous met en présence, me semble-t-il, d'une proclamation archéo-gélasienne, qui, tronquant et pervertissant les conceptions des théoriciens pontificaux ou des papes eux-mêmes — comme la nécessité, affirmée par Innocent III (1198-1216), de laisser aux laïcs l'exercice du pouvoir coercitif7 -, annonce, en revanche, l'argumentaire des défenseurs de Philippe le Bel contre Boniface VIII -celui, par exemple, de l'auteur anonyme de la Quaestio in utramque partent. Loin d'être conçu comme le bras séculier de l'Église, à l'heure, notamment, de châtier les mauvais chrétiens, le pouvoir temporel, qu'il soit impérial ou royal, couvre tout le champ de la justice et s'étend, sous la forme de la punition temporelle des corps, au champ de la foi, tandis que l'Église se voit strictement enfermée dans l'ordre spirituel de l'âme et de l'invisible. Cette interprétation est confirmée par ce que notre texte dit des pouvoirs en tant que vicariats de Dieu. Le triple vicariat divin. On lit à la fin de la loi 1 du premier titre : « Les sages ont dit que l'empereur est vicaire de Dieu dans l'Empire pour faire justice au temporel de même que l'est le pape au spirituel» (fol. 3r°a). Un peu plus haut dans la même loi, on trouve : « [L'empereur] n'est tenu d'obéir à personne sinon au 6) López « d la fe » (?), fol. 2r°b ; Juárez Blanquer, « m la fe », p. 41. 7) Black, El pensamiento político..., p. 67. 8) Ibtd., pp. 79-80. 326 GEORGES MARTIN pape dans les choses spirituelles » (fol. 2v°b). Double vicariat, donc : temporel, de l'empereur; spirituel, du pape. Limitation de Yauctoritas du pape sur l'empereur à l'ordre spirituel — à la ratio peccati, serait- on tenté d'ajouter. Ici encore, Alphonse s'écarte de l'idée qui, avec quelques variantes conceptuelles, dans différents contextes et avec des implications pratiques diverses, est au centre des conceptions pontificales tout au long du XIIIe siècle, d'Innocent III à Grégoire IX, puis à Innocent IV, puis à Grégoire X jusqu'à, postérieur à Alphonse mais cependant témoin d'une solide continuité, au début du XIVe siècle, Boniface VIII : le pape, vicaire du Christ, est unique détenteur en essence des deux glaives et délègue l'usage du glaive temporel à l'empereur*. En revanche, Alphonse rejoint et prolonge la tradition des Hohenstaufen : celle du vicariat divin immédiat de l'empereur1^. On peut même se demander s'il ne reprend pas des Staufen, et notamment du plus proche et du plus uploads/Religion/ alphonse-x-de-castille-roi-et-empereur-commentaire-du-premier-titre-de-la-deuxie-me-partie-g-martin.pdf

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  • Publié le Jan 28, 2022
  • Catégorie Religion
  • Langue French
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