Autour du «signe guttural» Dans son compte rendu d’un article portant sur les s

Autour du «signe guttural» Dans son compte rendu d’un article portant sur les signes initiatiques et paru dans le numéro de mai 1937 de la revue «Le Symbolisme», René Guénon s’exprimait ainsi: «François Ménard, dans une note assez brève, parle Du Geste du point de vue rituel; il s’agit ici surtout de la correspondance des signes ini- tiatiques avec les centres subtils de l’être humain, su- jet auquel il nous est arrivé de faire incidemment al- lusion, et qui mériterait certainement une étude plus ap- profondie»1 [souligné par nous]. Nous tenterons ici d’aller dans le sens souhaité par Guénon, en nous li- mitant au seul «signe d’Apprenti» et en observant la juste réserve que requièrent les questions d’ordre «technique»; il convient, en effet, de ne pas oublier que le sujet des signes initiatiques, bien que désor- mais rendu public, réclame une certaine discrétion. Naturellement, l’objet essentiel des considéra- tions qui vont suivre est à rechercher dans la valeur symbolique2 profonde qui caractérise le signe dont 1 Cf. Études sur la Franc-Maçonnerie et le Compagnonnage, to- me 1, Éditions Traditionnelles, 1975, «Compte-rendu d’ar- ticles de revues», pp. 275-276. 2 Ce caractère devrait être évident mais, s’il était néces- saire de le préciser, voici ce que dit explicitement R. Guénon: «tout geste rituel est un symbole “agi”» (Aperçus sur l’Initia- tion, Éditions Traditionnelles, 1976, ch. XVI, «Le rite et le symbole», p. 119). 5 nous allons parler, valeur qui est d’ailleurs propre à tout ce qui est rituellement accompli à l’intérieur du Temple maçonnique, lieu «très régulier et très éclai- ré»; et nos lecteurs savent qu’il est dans la nature du symbole de renfermer plusieurs significations hiérarchiquement superposées. Nous procéderons donc graduellement. Une première signification du signe guttural, sans doute la plus répandue, est associée à une «pé- nalité» incluse dans le serment qui figure dans les principaux rituels de stricte origine anglo-saxonne3. La finalité déclarée en l’occurrence est d’amener l’Apprenti à garder jalousement les «secrets» qui lui ont été communiqués au cours de son initiation. Or, comme le véritable secret initiatique consiste exclu- sivement dans l’inexprimable, il est évident qu’il ne peut être trahi, étant (comme tel) incommunicable; il est donc plus raisonnable de penser, par exemple, que l’injonction indiquée a pour but de favoriser le développement de la maîtrise de soi, conformément à la phase du travail initiatique dont le terme cor- respond à l’achèvement des «petits mystères». Sur ce point, peut-être est-il opportun de rappeler ce qu’écrivait Guénon: «En d’autres termes, la “disci- pline du secret” constituerait une sorte d’“entraîne- ment” ou d’exercice faisant partie des méthodes propres à ces organisations; et l’on pourrait y voir en quelque sorte, à cet égard, comme une forme atté- nuée et restreinte de la “discipline du silence” qui était en usage dans certaines écoles ésotériques an- ciennes, notamment chez les Pythagoriciens. Ce La Lettre G 3 Dans les Instructions («catéchismes») utilisées à la Gran- de Loge Nationale Française, à la question: «Que signifie ce signe?», l’Apprenti doit répondre: «Que je préférerais avoir la gorge coupée, plutôt que de révéler les secrets qui m’ont été confiés». 6 point de vue est assurément juste, à la condition de ne pas être exclusif; et il est à remarquer que, sous ce rapport, la valeur du secret est complètement in- dépendante de celle des choses sur lesquelles il por- te; le secret gardé sur les choses les plus insignifiantes aura, en tant que “discipline”, exactement la même efficacité qu’un secret réellement important en lui- même»4. C’est là une explication simple, que chacun de- vrait pouvoir comprendre.Toutefois, elle va déjà au- delà de la surface des choses, alors que les profanes montrent que c’est seulement cette dernière qu’ils parviennent à appréhender quand ils accusent la Ma- çonnerie de «puérilité» à cet égard. Mais n’est-ce pas, par contre, faire précisément preuve de puérili- té que d’entendre les paroles rituéliques sur le mo- de littéral? D’autre part, ceux qui auront pu lire dans quelque rituel ancien le texte relatif à la pénalité n’auront pas manqué d’observer que les termes em- ployés possèdent une valeur symbolique évidente. Pour approfondir la question des signes initiatiques, il faudra donc les appréhender en tant que véritables symboles, dont la signification doit être méditée. «À ce point de vue – observe R. Guénon –, le secret dont il s’agit est lui-même un symbole, celui du véritable secret initiatique, ce qui est évidemment bien plus qu’un simple moyen “pédagogique”; mais, bien en- tendu, ici pas plus qu’ailleurs, le symbole ne doit en aucune façon être confondu avec ce qui doit être symbolisé, et c’est cette confusion que commet l’i- gnorance profane, parce qu’elle ne sait pas voir ce qui est derrière l’apparence, et qu’elle ne conçoit même pas qu’il puisse y avoir là quelque chose d’autre que ce qui tombe sous les sens, ce qui équi- Autour du «signe guttural» 4 R. Guénon, Aperçus sur l’Initiation, op. cit., ch. XIII, «Du secret initiatique», p. 94. 7 vaut pratiquement à la négation pure et simple de tout symbolisme»5. À l’appui de ce qui a été dit, nous avons trouvé, dans la première partie d’un recueil de Lectures [Ins- tructions] concernant le degré d’Apprenti, un passa- ge où percent des aspects bien plus intérieurs que n’en laisse paraître le seul sens littéral: «Q. – Les Maçons ont-ils des Secrets? R. – Ils en ont beaucoup d’inappréciables. Q. – Où les conservent-ils? R. – Dans leur cœur. Q. – À qui les révèlent-ils? R. – À personne, sauf à des Frères ou des Compa- gnons. Q. – Comme les révèlent-ils? R. – Par des signes, des attouchements et des mots particuliers. Q. – Comme Maçons, comment espérons-nous les obtenir? R. – Par l’aide d’une clef. Q. – Cette clef, est-elle suspendue ou gît-elle? R. – Elle est suspendue. Q. – Pourquoi est-elle de préférence suspendue? R. – Elle doit toujours être suspendue pour la dé- fense d’un Frère et ne doit jamais rester inac- tive à son préjudice. Q. – Comment est-elle suspendue? R. – Par le fil de la vie, dans le passage de la paro- le [utterance] [entre la gorge et le cœur]». La «clef» dont il s’agit ici est une «langue sincè- re» qui traduit, dans la mesure de l’exprimable, les secrets qui sont dans le «cœur», et, d’après ce que stipule le Masonry Dissected de Samuel Prichard, le fil auquel elle est accrochée mesure «9 pouces ou un empan». L’empan mesurant entre 22 et 24 centi- mètres (ce qui avoisine les 9 pouces anglais), la lon- gueur de ce fil, comme on peut aisément le consta- La Lettre G 5 Ibidem, p. 95. 8 ter, est égale à la distance qui sépare le sommet de la tête de la «racine» de la langue. En d’autres termes, le «fil de la vie», auquel est accrochée la «clef du cœur»6 représente – comme le signale Denys Roman (cf. Réflexions d’un chrétien sur la Franc-Maçonnerie, Édi- tions Traditionnelles, Paris, 1995, ch. VIII, p. 132) – cette partie de l’artère coronale qui va de la couron- ne de la tête à la gorge. Et il n’est nullement fortuit que les deux extrémités de ce segment coïncident avec la «localisation» de deux centres d’énergie sub- tile également pris en considération, par exemple, dans le Yoga tantrique et dans la Kabbale. Si le centre subtil lié à la région gutturale, situé au niveau des deux épaules, peut être mis en rapport avec le couple de Sephiroth qui ont pour attributs la «Miséricorde» et la «Justice», le centre «localisé» au niveau de la couronne de la tête peut se rapporter à la Sephirah suprême, dont le nom hébreu signifie précisément «couronne». Ici, suivant la doctrine hindoue, il est fait allusion à un «centre de la conscience» corres- pondant à un état situé au-delà des limites de l’indi- vidualité humaine7. Ne pouvant présentement déve- lopper ce sujet, nous nous limiterons à ces brefs aper- Autour du «signe guttural» 6 R. Guénon, après avoir signalé que cette expression sym- bolique se trouve dans les anciens «catéchismes» maçon- niques, explique que «Le rapport du cœur et de la langue symbolise celui de la “Pensée” et de la “Parole”, c’est-à-dire, suivant l’interprétation kabbalistique de ces termes envisa- gés principiellement, celui des deux aspects intérieurs et extérieurs du Verbe» (cf. Études sur la Franc-Maçonnerie et le Compagnonnage, tome 2, ÉditionsTraditionnelles, Paris, 1976, «Parole perdue et mots substitués», p. 46, fin de la note 2, repris in «La Lettre G» n° 3, Équinoxe d’Automne 2005, p. 42, note 25). 7 Il existe un rapport entre ce centre d’énergie particu- lier et le degré de Royal Arch qui représente, selon R. Gué- non, «une perspective ouverte sur les “grands mystères”» (cf. ibidem, p. 42 et «La Lettre G» n° 3, p. 38). 9 çus, qui devraient tout au moins permettre au lec- teur d’entrevoir qu’au-delà du sens purement litté- ral la question des signes initiatiques renferme des significations autrement plus profondes. Mais continuons. Certains assimilent le fil auquel est accrochée la «clef» dont nous avons parlé au cable- uploads/Religion/ autour-du-signe-guttural-profondie.pdf

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  • Publié le Oct 14, 2021
  • Catégorie Religion
  • Langue French
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