1 CARNET 5, IV Il serait bien malheureux qu’on en vienne dans l’Eglise à mépris
1 CARNET 5, IV Il serait bien malheureux qu’on en vienne dans l’Eglise à mépriser ceux qui en sont « encore » au latin, ou que ceux-ci méprisent ceux qui se sont mis au français ! Vatican II a d’abord voulu conserver l’usage du latin et permettre celui des langues vernaculaires. Le Concile a ainsi rendu témoignage à la richesse de l’Evangile, qui mérite d’être annoncé en toute langue. C’est le Christ et son Evangile qui font l’unité de l’Eglise, à travers la diversité des langues et leurs richesses. Tel sera heureux de retrouver le dimanche la liturgie de son enfance et de ses parents, tel le sera de voir une Eglise capable de s’ouvrir à une multitude de cultures. L’application d’une Règle religieuse ne va jamais de soi. Certains frères désireux d’une application stricte, profitent de l’occasion pour faire sentir le « pouvoir » de leur cœur excessivement dur, oubliant par là la loi de charité, le maître « doux et humble de cœur » (Mt 11, 29), à l’école duquel les disciples du Christ doivent se mettre. Lorsqu’il écrit que « Dieu est amour » (1 Jn 4, 8), S. Jean n’emploie-t-il pas le mot « agapè », qui signifie littéralement « tendresse » ? Certains jugent que l’ordinateur, ou du moins internet, est un luxe superflu dont les moines devraient se passer. Imaginez un orchestre sans violoncelle ou sans cor : ne manquera-t-il pas certains sons, même s’ils ne devaient être joués que peu de fois d’après la partition ? L’ordinateur fait partie de l’orchestre de notre civilisation depuis le début du XIe siècle. Comment montrer à un enfant que vous l’aimez si vous ne vous intéressez pas à ce qu’il aime, ou si vous ne prenez jamais le temps de jouer avec lui ? L’ordinateur, internet, sont l’occasion d’une formidable communion autour du génie humain, pour peu que l’on trouve à travers eux le moyen de s’épanouir. Celui qui est toujours prêt à mourir en paix, vivra aussi en paix. « Car elle passe, la figure de ce monde » (1 Co 7, 31) Ce verset a quelque chose de sublime. Il nous parle de contingence, d’éphémère, mais aussi d’attente d’un autre monde et d’un ailleurs où la vie est peut- être plus intense et qui a été inauguré ici-bas lors de la venue de Jésus (Jn 1, 14) : Parousie à la fois proche et lointaine, urgente, même, puisqu’annoncer l’Evangile nous presse. Ainsi l’Amour attend notre humanité tout en la restaurant. Lorsque nous pensons « porter sa croix » pour être digne de Jésus-Christ, ce qui nous vient à l’esprit, c’est d’abord : supporter une maladie, travailler dur, traverser bientôt un deuil, un échec, subir l’abandon de ses amis ou de ses proches, la colère d’un supérieur ou d’un collègue, telle humiliation soudaine, le délire ou l’infirmité d’un frère, etc. Tout cela, ce sont des croix bien visibles, mais elles sont communes à toute l’humanité. N’y aurait-il pas alors une manière plus profonde d’entendre l’invitation de Jésus ? Car si la croix nous effraie spontanément (parfois inconsciemment), c’est que nous oublions qu’elle a toujours symbolisé pour les chrétiens le lieu de notre salut, l’occasion inespérée de notre délivrance, celle du péché et de la mort, sa suivante. De sorte que porter la croix, ce ne peut être autre 2 chose que porter la croix de Jésus, et ainsi le poids de l’amour par lequel il put traverser la souffrance. Ce n’est donc rien d’autre qu’être « fidèle aux promesses de son baptême » (Michel Corbin), sentir par expérience que le Christ vit en nous (Ga 2, 20) parce que son amour vient au secours de notre faiblesse au milieu des épreuves que nous avons à traverser pour tenir bon à notre vocation d’hommes et d’enfants de Dieu. L’expérience chrétienne n’est pas doloriste : lorsque nous disons qu’il est tout à fait normal pour un chrétien d’expérimenter la croix du Christ, c’est à l’occasion de défendre telle ou telle valeur qui se rattache à l’Amour (ou, si l’on veut, au Souverain Bien) que nous pensons. Une lecture fondamentaliste de la Bible consiste à se couper de la Tradition et à vouloir interpréter par soi-même, sans l’aide de personne, le texte tel qu’on le trouve imprimé. Une autre lecture, attachée à la Tradition, se fait à partir de la conscience que l’on a des différentes époques traversées par notre religion. Elle considère que l’histoire du peuple de Dieu a une continuité et que l’interprétation des Ecritures se fait tout au long de cette histoire sainte. Cette lecture aborde donc la Bible à partir des livres des exégètes, des théologiens, des Pères de l’Eglise et des philosophes chrétiens (avec la connaissance des travaux des autres philosophes). « Interdit » s’entend : « inter-dit », donc : « dit entre ». L’interdit est fondé sur la parole et sur la préexistence d’un lien entre plusieurs personnes. Il a une raison, une intelligence verbales. Il doit pouvoir convaincre. Le pouvoir contraint, tandis que la puissance convainc. Un interdit imposé par contrainte, sans explication, n’est plus une « parole entre » : il a toutes les chances d’être enfreint. L’interdit doit son existence et sa force à une relation implicite de confiance. Sans celle-ci, le chaos initial revient, l’anarchie sape le bien commun, l’homme est de nouveau « un loup pour l’homme » (Hobbes). Le travail monastique est à double sens : d’abord, participer à l’avènement du Royaume de Dieu dans les cœurs ; ensuite, subvenir aux besoins de l’abbaye (ce « surcroît » dont parle Jésus). C’est donc un accomplissement de l’Evangile, plutôt qu’un anéantissement du moine dans un labeur effrayant ! Le seul anéantissement permis devrait être celui de notre orgueil parfois considérable et d’autant plus menaçant qu’il ne paraît pas visible aux yeux de celui qu’il atteint : « Préserve aussi ton serviteur de l’orgueil, qu’il n’ai sur moi aucune emprise, alors je serai sans reproche, pur d’un grand péché » (Ps 18, 14). La mortification, tant qu’elle reste humble et discrète, a deux utilités. La première, philosophique, est qu’elle nous affermit dans la liberté de l’esprit, liberté contre laquelle ne cesse de lutter l’orgueil de la chair. La seconde, théologique, est qu’elle nous unit chaque fois un peu plus à l’amour de Jésus offrant sa vie en sacrifice pour le salut des hommes. Celui qui fait pénitence ouvre grand la porte à la rédemption de « ceux qu’il aime » (Jn 15, 13), amis ou ennemis. Cela est utile, tant que la pénitence reste modérée, mais il ne s’agit pas de remplacer Jésus : simplement, de s’unir à lui, la Tête du Corps qui est l’Eglise. Se priver d’un dessert, se lever plus tôt, s’habiller moins chaudement, éviter telle plaisanterie ou tel mot d’esprit : tous ces exemples nous font « aimer beaucoup Dieu en l’aimant petit à petit » (Dom Guéranger). 3 Il faut conquérir la liberté selon l’Esprit et abandonner la liberté selon la chair. Dieu veut des enfants et non des esclaves. L’esclave obéit sous la contrainte, l’enfant est attaché par l’amour qui lui fait comprendre les exigences qui le rebutaient au premier abord. Ainsi, pour entrer dans les vues de nos supérieurs, il faut prendre conscience que la vraie lutte ne se situe pas dans les relation humaines, mais dans le cœur de chacun, entre l’orgueil de la chair et l’humilité de l’esprit, appelé à faire alliance avec l’Esprit de Jésus lui-même, par lequel advient le Royaume. Admirable pensée de sainte Thérèse de l’Enfant Jésus : Jésus est le mendiant d’amour qui demande toujours plus « à proportion de ce que nous lui offrons ». On peut alors penser qu’avec le Seigneur, tout est histoire d’un jeu de libertés. Règle de saint Benoît, chap. 54 : que faire de ce chapitre qui interdit au moine « de donner ou recevoir des lettres (…) sans l’autorisation de l’abbé » ? A l’évidence, ce que vise S. Benoît ici, ce ne sont pas les lettres en tant que telles, qui peuvent édifier, encourager, consoler, être donc de saintes lettres, mais l’activité qui se ferait sans l’assentiment de l’abbé, à l’écart du quotidien de la communauté. Les mauristes, au XVIIe siècle, l’avaient bien compris, eux qui d’un même cœur, écrivaient abondamment à une myriade de correspondants (peut-être excessivement ?), ou encore un Dom Guéranger, début XIXe, qui entretenait une correspondance phénoménale. Mais revenons à S. Benoît : à son époque, recevoir une lettre était un véritable luxe qui creusait inévitablement une fosse entre un moine lettré et son frère illettré. Comment alors éviter jalousies et divisions dans la communauté, sinon en remettant à l’abbé toute activité épistolaire ? Remarquons qu’aujourd’hui, ce sont les mails qui sont devenus plus populaires et les lettres manuscrites qui sont redevenues un luxe, avec la hausse du prix du timbre ! Internet est ainsi devenu un formidable outil d’évangélisation, à condition d’y éviter les vains bavardages. A chacun d’agir en conscience, puisqu’aucun abbé ne peut prendre raisonnablement le temps de lire uploads/Religion/ carnet-5-iv-de-frere-matthieu.pdf
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- Publié le Sep 18, 2021
- Catégorie Religion
- Langue French
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